C’EST TERMINÉ !
Le fonctionnement de nos sociétés est devenu à ce point opaque que, voudrait-on savoir si on est encore en démocratie, on ne pourrait jamais arriver à l’établir.
C’EST TERMINÉ !
Un projet est né au sein du Blog de Paul Jorion, celui d’une Encyclopédie, au sens de celle de Diderot et d’Alembert, mais pour nos temps à nous.
L’idée est la même : décrire les contours du monde de demain, et ceci de deux façons :
1° en prenant toute question aussi haut en amont que possible,
2° en définissant chaque concept au sein du nouveau paradigme que constitue le monde de demain.
Exemple de question prise en amont :
« Réformes structurelles de compétitivité » ? Protectionnisme ? Libre circulation des capitaux spéculatifs ? Transnationales situées dans des paradis fiscaux, voire même nulle part ?
Réponse en amont : Chambre de compensation multilatérale internationale au sens de Keynes – bancor.
Taxe Tobin ? Glass-Steagall Act ? Bonus des traders ? Salaires extravagants des dirigeants d’entreprise ?
Réponse en amont : interdiction de la spéculation.
High Frequency trading ? Dark pools ? Volatilité des marchés financiers ?
Réponse en amont : fixing quotidien
Revenu universel ? Retraites ? Disparition du travail ?
Réponse en amont : gratuité
Exemple de concept défini au sein du nouveau paradigme :
Gratuité : mode de circulation normal des biens et des services (antonyme : marchandisation)
Capital : dans un cadre de marchandisation, ressources manquant là où elles sont nécessaires pour la production ou la consommation…
Prix : dans un cadre de marchandisation, expression en argent du rapport de force entre l’acheteur et la vendeur…
« Réformes structurelles de compétitivité » : dans un cadre de marchandisation, alignement des salaires sur ceux des Bangladesh
Le projet est ouvert à tous : une nouvelle page du blog sera réservée exclusivement à l’Encyclopédie, au XXIème siècle. Vos contributions sous forme d’articles – de même que vos remarques – seront reçues au cours de sessions sur la page Les débats du blog de Paul Jorion, la première ayant lieu ici le mercredi 12 juin de 15h à 17h.
Aucune restriction n’existe quand au contenu des articles – si ce n’est bien entendu l’exclusion du plagiat, les billets présents sur le blog constituent le matériau dans lequel on peut bien entendu piocher à sa guise, ainsi que le contenu de mes livres.
Le mot d’ordre de l’Encyclopédie, au XXIème siècle est emprunté à John Maynard Keynes : « Personnellement, je n’attends de résultats probants que d’une seule méthode : assener la vérité sans merci – cette méthode là marche, en dépit de sa lenteur ».
Qu’est-ce que cela donne ?
Difficile à dire, mais cela vaut la peine de voir.
Cela ne peut pas être pire de toute manière que ce que nous offrent nos dirigeants !
C’EST TERMINÉ !
Cela a commencé sur le mode « À quoi bon ? », pour terminer sur les chapeaux de roue et sur le mode « Allons-y, y a rien à perdre ! ».
Formidable !
Mardi 4 juin, de 15h à 17h, ici-même !
C’EST TERMINÉ ! 185 commentaires en deux heures, c’est très bien, et on a bien avancé !
Billet invité. Une discussion relative à ce billet a lieu ici lundi 20 mai, de 20h à 22h.
Une petite phrase lue sur le blog de Pierre Sarton du Jonchay m’a, en un flash, fait comprendre ce qui me posait problème, c’est tout bête, vous allez comprendre… la phrase dit cela :
Ce diagnostic repose sur le modèle de régulation financière et monétaire inspiré de la philosophie politique d’Aristote et de Thomas d’Aquin interprétée par Keynes en système monétaire d’économie politique.
… et m’a bien fait entrevoir que l’objectif serait donc de revenir à une situation pré-thatchérisme en partant du principe sans doute que ce ne serait qu’une étape, mais qu’il fallait bien commencer par là, par remettre les pendules à l’heure…
Le problème, c’est que les pendules n’ont jamais été à l’heure, même avant les années 70…
Pour illustrer ce que je dis j’aimerais vous faire part d’un souvenir… le souvenir d’une manifestation des ouvriers de Moulinex je crois, demandant à la direction de ne pas supprimer des emplois… je ne me souviens plus la date exacte mais ni la date ni l’entreprise n’ont d’importance dans cette histoire tant le cas est devenu la règle…
Je me souviens que ce jour-là j’ai senti que quelque chose était en train de revenir… l’escroquerie, l’aveuglement, la honte et le chaos d’une société qui redevenait terrifiée par le pouvoir.
Quelques mois avant, des manifestations d’ouvriers demandaient de meilleures conditions de travail, un meilleur statut, une reconnaissance financière et de réels changements de société… et là, en quelques mois, quelques semaines… tout s’était renversé : on demandait quasiment pardon d’exister, on demandait du travail et du pain…
Alors voilà, ce que je crois c’est qu’il ne faut pas demander le retour à une finance moins folle, ça n’est pas juste… parce qu’un monde où la finance serait moins folle ne suffirait pas à être supportable… voilà ce qui me gène dans le discours ambiant… d’un côté, « la compétitivité » des gros c… et de l’autre, « la fin du néo-libéralisme »…
Cette alternative ne peut pas être porteuse d’espoir… Il faut plus… il faut comprendre qu’il faut demander plus, qu’il faut vouloir plus et qu’il faut arrêter de vivre dans une société qui nous fait honte… le changement des règles sur la finance suivront mais ce ne sera plus l’objectif premier… l’objectif sera plus haut… La fin d’une organisation basée sur la pression, les contraintes et les menaces….
Car souvenez-vous ce qu’il y avait avant le néo-libéralisme… des usines monstres et des patrons bien-pensants… et la honte au front pour les autres…
La vidéo : c’est l’image, le flash dont je parle au début…
C’EST TERMINÉ !
Le Monde a eu l’amabilité de mettre ma chronique en « une » de l’édition en ligne, non sans en avoir modifié le titre, qui est devenu « Aligner les salaires français sur ceux du Bangladesh » : le scénario du pire.
Parler de « réformes structurelles de compétitivité » c’est accepter le principe d’un moins-disant salarial au plan international : c’est admettre qu’il existe un pays où le niveau du salaire de subsistance est le plus bas, et que ce salaire de subsistance du travailleur le plus misérable de la planète doit jouer le rôle d’un « attracteur » pour l’ensemble des salaires à la surface du globe.
Le salaire moyen au Bangladesh étant aujourd’hui cinq fois plus faible qu’en Chine, j’ai choisi de traduire dans mes conférences l’expression obscure « réformes structurelles de compétitivité » par « aligner les salaires français sur ceux du Bangladesh », une phrase dont la signification est identique mais présente l’avantage d’être comprise aisément par tous mes auditeurs. En utilisant cette expression polémique, je ne pensais cependant pas qu’une actualité tragique en ferait à ce point résonner la pertinence.
Le 24 avril, l’effondrement à Savar, un faubourg de Dacca, du Rana Plaza, un immeuble de huit étages rassemblant un grand nombre d’ateliers de confection aux conditions de travail dickensiennes, a causé la mort de plus de onze cents personnes, des femmes essentiellement.
À la vue d’étiquettes de marques familières mêlées aux corps sans vie au milieu des gravats, l’indignation est à son comble. La presse financière internationale n’est pas en reste : à de telles situations où des ouvrières et des ouvriers sont renvoyés dans des locaux en voie d’effondrement et aux issues de secours bloquées par une « police industrielle », elle connaît la réponse. Son nom, affirme le Financial Times, c’est la syndicalisation, qui permet aux travailleurs de faire valoir leurs droits. Tout occupés à échapper à l’enfer du monde rural pour découvrir la paix relative des ateliers urbains (migration qui en vingt ans a fait baisser la pauvreté de moitié), les Bengladeshis auraient négligé la protection qu’offrent les syndicats. Sans doute, mais peut-être ont-ils en mémoire le syndicaliste Aminul Islam, dont le cadavre portant les marques de sévices fut retrouvé l’année dernière abandonné sur une autoroute.
La révélation spectaculaire des conditions dans lesquelles est produit dans le tiers-monde notre low-cost occidental modifiera-t-elle la philosophie de nos dirigeants ? Il en faudrait certainement plus car nous vivons dans un monde où, si les individus sont encore ancrés dans une logique territoriale, les entreprises ont cessé de l’être depuis plus d’un siècle. Par le biais de l’instrument juridique qu’est le « trust » anglo-saxon, les individus les plus fortunés, grâce à des montages fondés sur l’anonymat qu’autorisent les havres fiscaux, ont le moyen d’accéder à titre personnel au pouvoir dont disposent les transnationales : pouvoir économique mais aussi pouvoir politique en raison du poids que l’argent permet d’exercer sur le mécanisme démocratique. Dans le cadre actuel, la logique du moins-disant salarial est l’un des principes de base de l’économie de marché, à preuve l’indifférence des populations à l’annonce de ces « réformes structurelles de compétitivité ».
L’horreur de Rana Plaza restera-t-elle sans conséquences ? Rien n’est moins sûr cependant, car c’est la philosophie du « moins-disant » sous toutes ses formes qui se retrouve aujourd’hui sur la défensive depuis que l’affaire Cahuzac a mis sur la sellette le moins-disant juridique et fiscal des havres fiscaux, et que l’inviolabilité qui faisait leur force s’est vue compromise dans la résolution de l’affaire de Chypre. Si en effet les sommes déposées sur un compte dans un havre fiscal ont cessé d’y être en sécurité, c’est l’édifice entier qui s’effondre.
Et c’est là que se situe le talon d’Achille du moins-disant salarial : dans le fait que les opinions publiques sont désormais en rébellion ouverte contre la philosophie du moins-disant dans toutes ses manifestations. Ce ne sont pas les dirigeants eux-mêmes qui ont mis le holà mais la réprobation générale les a obligés d’installer des coupe-feu dans l’urgence pour contenir la vague d’indignation. Qu’on pense à la promptitude de la réponse, même si ce n’était pas une transparence voyeuriste que réclamait de la classe politique, l’opinion, mais bien plus banalement, des gages d’honnêteté.
Le moins-disant juridique et fiscal a atteint le seuil de l’intolérable parce qu’il instaure en régime idéal la piraterie que les grosses entreprises – transnationales de fait – exercent sur l’économie mondiale : prédation par elles des entreprises plus petites, confinées quant à elles de par leur taille sur le territoire national et contribuant seules par le versement de l’impôt aux frais de maintien de l’ordre commercial, ordre dont les transnationales bénéficient sinon gratuitement, du moins avec un rabais considérable. Ces transnationales n’en voient pas moins le contribuable voler à leur secours en période de vaches maigres, pour régler non seulement leurs pertes économiques réelles mais également leurs paris spéculatifs perdus, illustration tragique du principe de « privatisation des profits, socialisation des pertes ».
Le moins-disant salarial des « réformes structurelles de compétitivité » relève de la même logique exactement que le moins-disant fiscal : il s’agit là aussi, par la baisse des salaires, de maximiser la part de la richesse créée qui passera en dividendes et en bonus extravagants que les dirigeants des plus grosses entreprises s’octroient à eux-mêmes.
C’est fini !
159 commentaires en deux heures, un samedi du long week-end de l’Ascension ! Et j’avais pourtant dit que j’étais convalescent ! Et vous m’avez obligé à des copier-coller de scripts de vidéos ! Enfin, on avance !
Cher Monsieur Jorion,
Depuis que vous vous êtes « retiré » dans le « blog des amis… », je suis dans le noir ! Vos débats animés me manquent. Alors, par pitié, ouvrez la fenêtre, afin que le « simple spectateur » que je suis, puisse voir un peu de lumière… je ne vous dérangerai pas, je resterai silencieux, et pour vous et vos amis cela ne changera rien. Je sais bien que vous allez régulièrement nous informer de la progression de vos réflexions, mais je me sens « enfermé dehors » alors que je voudrais simplement voir « l’Histoire en marche ».
Bien cordialement,
D.P.
Le « chat » à propos de ce sondage et de la vidéo EST TERMINÉ !
Google Trends (on met les noms qu’on veut, c’est juste un exemple).
Le paysage politique en France aujourd’hui
Future Thinking France, Institut d’études de marché et sondages, et SSI, fournisseur d’échantillons pour les professionnels du marketing, ont mené un sondage auprès d’un échantillon de la population française sur les intentions de vote si l’élection présidentielle avait lieu dimanche prochain.
C’EST FINI !
LE PAYSAGE POLITIQUE EN FRANCE AUJOURD’HUI
Si l’on prend les chiffres des élections les plus récentes, 80% des électeurs français inscrits ont voté aux élections présidentielles (2012), 55% des inscrits ont voté aux législatives (2012) et 40% aux élections européennes (2009).
Les abstentionnistes se situent en-dehors de l’échiquier politique traditionnel (celui que constituent les partis politiques) : ils manifestent par leur abstention soit leur hostilité à ces partis, soit leur indifférence à l’égard du processus législatif tout entier.
Sait-on pour autant où se situent ceux qui votent ? On pourrait le penser, si l’on comptabilise leurs bulletins individuels, mais le vote de protestation a pris une telle ampleur que la comptabilisation des bulletins de vote ne donne encore d’indications fiables que sur qui a pris la peine de venir voter pour les sortants, et qui a voté contre eux. Quant aux abstentionnistes, on peut considérer qu’ils ont voté avec leurs pieds (ou plutôt sans leurs pieds) contre les deux, autrement dit à la fois contre ceux qui sont pour les sortants et contre ceux qui sont contre eux.
Voyons comment réinterpréter à l’aide de cette nouvelle grille de lecture, les élections législatives françaises les plus récentes : celles de juin 2012.
— Anti-(pro-sortants et anti-sortants) abstentionnistes : 45% de l’électorat
— Pro-sortants : 40%, soit 22% de l’électorat (55% de 40%)
— Anti-sortants : 57%, soit 31% de l’électorat (55% de 57%)
Il faudrait pour bien faire entrer dans les subtilités : une partie des électeurs du Front National au premier tour (13,6% des électeurs, soit 7,5% de l’électorat), ont voté au second tour pour des candidats UMP, et leur vote pro-sortants est en réalité un vote anti-(anti-sortants).
Un gouvernement d’union nationale : pro-sortants + anti-sortants, représenterait les votants, soit 55% de l’électorat.
Le vote de protestation est plus facile à déchiffrer quand se présente aux élections un parti protestataire, c’est-à-dire officiellement « anti-(pro-sortants et anti-sortants) », comme ce fut le cas aux élections législatives italiennes de février 2013. En voici les résultats :
— Anti-(pro-sortants et anti-sortants) abstentionnistes : 25% de l’électorat
— Anti-(pro-sortants et anti-sortants) Cinque stelle : 25,5%, soit 19% de l’électorat (75% de 25,5%)
— Pro-sortants : 10,5%, soit 7,9% de l’électorat (75% de 10,5%)
— Anti-sortants : 64%, soit 48% de l’électorat (75% de 64%)
Si l’on rapproche alors les élections législatives en France en 2012 et en Italie en 2013, on obtient ceci, en pourcentages de l’électorat :
France juin 2012
— Anti-(pro-sortants et anti-sortants) : 45%
— Pro-sortants : 22%
— Anti-sortants : 31%
Italie février 2013
— Anti-(pro-sortants et anti-sortants) : 44% (25% + 19%)
— Pro-sortants : 7,9%
— Anti-sortants : 48%
Si l’on ignore l’histoire du vote législatif en France et en Italie (ce qu’il ne faudrait jamais faire bien entendu !), on pourrait être tenté de rapprocher les 45% du vote français anti-(pro-sortants et anti-sortants), constitué uniquement d’abstentions, des 44% du vote italien anti-(pro-sortants et anti-sortants), constitué lui pour partie d’abstentions et pour partie de votes pour un parti politique officiellement protestataire.
La différence entre l’Italie et la France, c’est le vote pro-sortant : 7,9% seulement pour Mario Monti, 22% pour l’équipe Sarkozy-Fillon. Point commun des deux équipes sortantes : leur alignement que j’appellerai « atlantiste » : les sortants rejetés sont des partisans affirmés du point de vue ultralibéral du « consensus de Washington », soit la politique officielle du Secrétariat au Trésor américain telle que définie par l’École de Chicago.
L’Italie étant bloquée, passons à la France d’aujourd’hui.
Après une campagne électorale anti-atlantiste, François Hollande (« Mon adversaire, c’est le monde de la finance », le 22 janvier 2012 au Bourget), met en place un gouvernement atlantiste et se cale dans cette position, contre vents et marées, et en dépit de sondages de plus en plus abyssaux. Les alliés externes de sa majorité manifestent leur opposition à son atlantisme de manière de plus en plus véhémente, tandis que le gouvernement Ayrault se scinde, une minorité anti-atlantiste (Montebourg-Hamon-Duflot-[Taubira ?]) se exprimant ses opinions de manière de plus en plus audible.
François Mitterrand, s’était rallié à l’atlantisme. Depuis, et que les électeurs français aillent voter ou restent chez eux, manifestent ou aillent au foot, votent pour des candidats atlantistes ou votent massivement contre eux, l’atlantisme résiste vaillamment à toutes les alternances démocratiques : pareil au sphinx et au phénix combinés, il demeure imperturbablement aux rênes de la république et du gouvernement.
Billet invité.
Parvenus à ce stade de la crise dans sa dimension politique et sociale, une interrogation toute simple s’impose : pour quelles obscures raisons, que ce soit aux États-Unis ou en Europe, ceux qui sont en responsabilité (comme ils aiment jargonner) sont-ils incapables d’en sortir ? Que cherchent-ils à obtenir ?
Les prises de position des plus péremptoires d’entre eux sont connues : « Pas d’impôts supplémentaires pour les riches ! » et « Taillez dans l’État-providence ! », désignant à chaque fois la même victime. De fait, les uns continuent de bloquer toute adoption d’un budget aux États-Unis, et les autres coupent dans ceux-ci sans se soucier du désastre. Dans les deux cas, une véritable fuite en avant s’ensuit, en défense du statut des nantis, de leur fortune, de leurs aises et privilèges. C’est aussi simple que cela. En Europe, ce sont des pays entiers qui sont détruits, des générations qui en subissent les effets, condamnés au nom de la Rédemption.
Dans un monde qu’ils pressentent comme allant être secoué par des convulsions, eux-mêmes soumis alors à de menaçantes tensions, un réflexe de protection prévaut, il se traduit par la volonté de ne céder sur rien. D’où l’intransigeance dont on voit les effets. Les mécanismes financiers qui permettaient de partager à peu de frais (ils étaient au contraire sources de profit) ne fonctionnant plus comme avant, seule une dictature éthérée peut faire obstacle à la véritable horreur que représente le partage. On aura identifié celle du marché. Et comme la nature fait bien les choses, celui-ci est contrôlé par ceux qui ont du bien. On ne dira jamais assez la force de ce réflexe, que l’on appelait autrefois l’instinct de classe, et la conviction profonde qui règne chez ceux qui, pour le coup, le partagent. Pour s’en rendre compte et être édifiés, il suffit pourtant de les fréquenter.
Certes, le monde va changer, impliquant de céder de la place aux nouveaux riches des pays émergés et dans un geste de charité de réduire un peu l’extrême pauvreté, comme le demande la Banque Mondiale. On a sa bonne conscience. Il va aussi falloir prendre quelques précautions. Elles consistent de plus en plus fréquemment à se protéger en se réfugiant derrière des murs de toute nature ; nous voici ainsi revenus au temps des châteaux forts. La mode contemporaine est à la location longue durée des îles grecques, le marché s’est dernièrement ouvert. Mais c’est l’argent qui doit être avant tout protégé. Dans ce domaine, les choses se compliquent, car il faut céder du terrain et donc ruser. Des gages doivent être donnés, comme s’il était temps de remettre en selle des autorités politiques démonétisées, afin qu’elles puissent continuer à imposer la mise en œuvre de réformes structurelles destinées à pérenniser le partage inégal. Le débat portant sur le rythme.
Les voies de l’évasion fiscale ne vont plus être les boulevards d’antan. C’est comme la corruption qu’il a fallu apprendre à pratiquer moins grossièrement. En fin de compte, tout se résume à garder une longueur d’avance, comme les sportifs coupables de dopage vis-à-vis de leurs contrôleurs. Mais les temps sont décidément indécis. Il a aussi fallu se résoudre à emprunter un chemin dangereux, celui du « bail-in » des banques qui doivent être renflouées, et de mettre à contribution leurs actionnaires et leurs créanciers pour les sauver. En Europe, le poids du désendettement est finalement trop lourd pour être supporté par les finances publiques, amenant à écorner le capital privé, (puisque les voies de la monétisation et de la mutualisation de la dette sont fermées).
Les banques ayant pignon sur rue et les mécanismes usuels de l’évasion fiscale sont encore loin d’être des coupes-gorges, mais il faut anticiper. Les gestionnaires de fortune et autres « family office » ne se laisseront pas prendre par surprise ! Et, tant que les personnes morales, les trusts et les fiducies resteront hors de portée, SWIFT, Euroclear et Clearstream opaques, le mal sera véniel car on en connait les remèdes. Les montages financiers seront plus compliqués, voilà tout. Il faudra seulement avoir les moyens d’y accéder, c’est à dire de se les payer. Comme l’industrie du luxe, celle de la finance de l’ombre n’a pas de soucis à se faire.
Dans ce beau schéma, une question gênante reste tout de même posée : à force de détérioration de la situation sociale et politique, l’emprise idéologique craquant et les faux-semblants perdant leur consistance, le croquemitaine anonyme du marché ne va-t-il pas finir par être identifié ? En mettant à contribution les actionnaires et en agitant à nouveau le chiffon rouge des paradis fiscaux, n’est-il pas donné une incitation à aller plus loin ?
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VIENT DE PARAITRE : « LA CRISE N’EST PAS UNE FATALITÉ » – 280 pages, 13 €.