C’EST TERMINÉ !
Billet invité, par Michel Leis. Le billet ci-dessous, ainsi que la réponse de Jean-Luce Morlie, seront mis en débat ici-même vendredi 31 janvier entre 20h et 22h
Quelques réflexions autour des utopies, par Michel Leis
Devant l’ampleur d’une crise dont on ne voit pas la sortie, les utopies font leur retour dans le débat politique et trouvent d’autant plus d’échos qu’elles sont comme une bulle d’oxygène face à la montée des extrêmes. Extension de la gratuité, sortie de la marchandisation, remise en cause de la propriété privée, les directions évoquées sont nombreuses et renvoient pour l’essentiel aux thématiques déjà présentes dans les utopies du XIXe siècle. Le retour des utopies montre combien il est nécessaire de renouveler le débat politique, elles soulignent l’ampleur des changements qui seront nécessaires, mais elles soulèvent aussi la question de leur viabilité dans le temps. Je ne parle pas ici des idées, mais bien des différentes tentatives de concrétisation dont elles ont fait l’objet. À l’heure où trouver des solutions viables devient une impérieuse nécessité, il me semble nécessaire de porter un regard lucide sur l’écart entre la théorie et la pratique. Sans faire œuvre d’historien ou de sociologue (je ne suis ni l’un ni l’autre), je voudrais tenter ici de dresser une typologie simplifiée de ces différentes tentatives et surtout partager quelques questionnements sur ces expériences.
Un premier groupe, un peu en marge de cette réflexion, est celui des utopies de fait. Des individus se rassemblent ou rejoignent une communauté sur la base d’une vérité transcendante partagée. L’utopie sociale existe de facto parce que l’organisation en vue de la satisfaction des besoins matériels n’est qu’une contingence matérielle, indispensable pour organiser la survie, mais totalement accessoire dans la motivation qui rassemble les individus dans cette communauté. Ce cadre spécifique explique pourquoi la répartition des fruits de ce travail se fait le plus souvent sur des bases égalitaires : ce n’est pas un enjeu important de la vie collective. On y trouve principalement des communautés religieuses, en particulier celles qui vivent sur un idéal de pauvreté et de simplicité comme les franciscains. Il est vrai que dans certains ordres religieux, l’accumulation de richesses créées a pris une tout autre ampleur et la hiérarchie cléricale a imposé parfois une répartition beaucoup moins égalitaire des fruits du travail collectif. La hiérarchie cléricale ne s’arrêtait pas aux murs de l’ordre monastique, elle était à même d’exclure de la communauté des croyants celui qui se serait risqué à quitter la congrégation. Ceci explique pourquoi des individus ont pu rejoindre au fil de l’histoire des ordres religieux, non de leur plein gré, mais sous contrainte sociale et familiale, sans pour autant constituer une réelle menace. Pour l’essentiel, ce cadre est peut ouvert aux laïcs, sauf peut-être dans les missions jésuites du Paraguay des XVIe et XVIIe Siècles qui créent une véritable utopie sociale ouverte aux paysans indigènes, mais dont le but premier reste l’évangélisation. Beaucoup d’ordres religieux (quelle que soit la religion) existent toujours aujourd’hui. D’une certaine manière, ces communautés sont des modèles de durée par rapport aux autres utopies sociales, mais la croyance en la vérité révélée (sinon l’acceptation de la foi et des rites) est la principale garantie de cette durée.