Billet invité. Ouvert aux commentaires.
Être acteur ou actrice, ce n’est pas seulement mettre son physique au service d’un rôle ou d’un texte, c’est aussi mettre en jeu son potentiel de sensibilité, de manière souvent inconditionnelle et généreuse. L’affaire Harvey Weinstein suscite beaucoup de réactions et de témoignages associés à ce milieu professionnel, et c’est à juste titre, car il s’agit autant d’une insulte aux personnes, au métier – un des plus vulnérables – qu’un abus concernant l’accès à la profession, au sens le plus neutre du terme.
Que le débat se propage comme une traînée de poudre au sujet des relations entre hommes et femmes est une autre affaire, surtout s’il mélange plusieurs aspects de notre vie commune.
Un débat chez Laurent Ruquier, dans l’émission du 30 septembre 2017, « On n’est pas couché » mettait en présence Sandrine Rousseau, auteur du livre Parler, dans lequel elle narre les agressions sexuelles dont elle a été victime de la part de Denis Baupin, représentant éminent de son propre parti EELV et l’écrivain Christine Angot, mettant en jeu d’une part la représentation de la volonté de mettre fin à tous les abus de pouvoir dont souffrent les femmes, à cause de comportements maltraitants et machistes, et d’autre part la revendication par Christine Angot du statut propre de l’écrivain, s’engageant toujours au nom de sa personne, et dépassant par cette parole celui de victime pour atteindre l’absolu de la liberté humaine.
Ce que remet en cause Christine Angot, c’est la possibilité de rigidifier cette parole « libre » par une série de prescriptions dont la pire serait la formation « à l’écoute de – différentes plaintes », cet art de l’écoute étant une donnée rare et remarquable de nos capacités, à utiliser donc avec prudence et discernement, le risque étant que ce formatage débouche, même si le mot est absent, sur la délation, caractéristique bien connue des régimes totalitaires.
Dans le même esprit que cette formation à l’écoute de victimes potentielles, est proposé sur Internet un tableau de classification de comportements admissibles ou non, allant de la drague, passant par le harcèlement pour en arriver à l’agression proprement dite. Malgré le caractère dangereux et formel de ce genre de recensement, on peut y percevoir une certaine logique, la notion de consentement y apparaissant comme la frontière entre le respect de l’individu et son manque de considération.
Dans cette panoplie d’attitudes jugées abusives ou non, seule la drague, définie comme un compliment neutre adressé à une tierce personne, échappe à la notion d’abus. Ainsi, siffler dans la rue en vue de manifester son intérêt voire son enthousiasme relèverait d’une attitude « rabaissante » pour celle (celui ?) à qui cette manifestation est destinée. Ce point est à l’ordre du jour d’une prochaine règlementation, suite aux multiples réactions hostiles aux propos de la ministre Marlène Schiappa, selon qui il n’y aurait là dans le sifflement rien d’autre que d’anodin.
Plusieurs remarques peuvent être soulevées par rapport à ce nouveau « délit » dont serait investi le Code français.
Tout d’abord, les limites de cette répression sont difficilement évaluables : s’agit-il dans cet « acte » de complimenter la personne ou de lui porter atteinte ? d’établir un dialogue ou de harceler ? L’incohérence apparaîtrait ensuite entre une telle mesure répressive et la liberté d’expression, entre autres dans la communication entre les sexes, les femmes revendiquant aujourd’hui comme il se doit la possibilité de faire le premier pas dans un esprit égalitaire. De plus, le caractère punissable de cet « acte » vise directement une certaine catégorie de la population – comme l’a bien souligné un sociologue dans Libération – qui n’agit pas nécessairement par mépris mais bien souvent par ignorance du code social jugé correct. Enfin, cette mesure ferait sans doute se retourner Jacques Prévert dans sa tombe, lui qui prenait plaisir à ensoleiller les rues par des silhouettes féminines, bien chantées aussi par Juliette Gréco et Léo Ferré.
Ce que met en question cette manière nouvelle de légiférer, ce sont les limites de notre propre acceptation du « politiquement correct » qui, si nous n’y prenons pas garde, finira par envahir et détruire notre langage verbal et non-verbal mais aussi, avec son anéantissement, nos propres capacités de jugement et d’émerveillement par rapport au monde qui nous entoure.
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