Retranscription de Le temps qu’il fait le 6 octobre 2017. Merci à Pascale Duclaud !
Bonjour, nous sommes le vendredi 6 octobre 2017 et je me trouve dans une chambre d’hôtel comme vous pouvez le voir, dans la bonne ville du Havre, en Seine-Inférieure… Ah non ! On ne peut plus dire ça : il faut dire « Seine-Maritime ». Nous sommes dans le politiquement correct et plus rien n’est « inférieur » : tout est supérieur dans le monde dans lequel nous vivons – comme nous pouvons le constater à tout moment autour de nous.
Ce qui me rappelle que dans quelques heures, je débattrai avec MM. Jacques Attali et Joël de Rosnay, du monde en 2517 (excusez du peu !). On verra – « on discutera de… » – ce qu’il restera encore. Alors, pour être un peu sérieux sur le sujet, comme vous le savez si vous suivez un peu mon actualité, ma réflexion, j’imagine six grands scénarios possibles. Les voici rapidement :
Dans le super-pessimiste : l’extinction pure et simple – hypothèse que j’ai envisagée dans le bouquin qui s’appelle Le dernier qui s’en va éteint la lumière. Hypothèse dont je parle assez souvent ces jours-ci – hypothèse de type Elysium si vous allez au cinéma, c’est-à-dire une humanité à deux vitesses, la partie riche étant tentée par l’exterminisme, c’est-à-dire la suppression, comme gêneurs, de la partie qui ne sert plus à rien, constituée de ce que M. Karl Marx appelait le prolétariat et qu’on appelle le salariat maintenant et qui concerne toutes les personnes dont les revenus sont essentiellement constitués du fait qu’on les paye pour le travail qu’ils font – ils ou elles. Ça c’est la deuxième hypothèse vraiment dans le super-pessimiste.
Troisième hypothèse. Troisième hypothèse, dans la catégorie semi-optimiste / semi-pessimiste selon le point de vue qu’on adopte : la solution « post-humaine ». C’est-à-dire que notre génie technologique va nous permettre de constituer, de construire, des machines qui vont nous survivre, qui seront nos successeurs, mais où nous serons incapables de conserver notre planète pour nous-mêmes et où nous disparaîtrons en tant qu’espèce.
Autre scénario quelque peu apparenté : le scénario Interstellar. C’est-à-dire que nous sommes incapables de conserver notre planète en bon état et elle disparaît comme lieu d’habitat possible pour nous. Mais ! mais notre génie technologique nous permet d’aller conquérir d’autres planètes ailleurs dans d’autres systèmes stellaires ; et nous continuerons d’habiter là.
Autre solution possible : la solution « transhumaine ». Nous vivons dans un environnement de plus en plus dégradé mais nous utilisons les perfectionnements de la médecine pour nous adapter à cela. Nous nous modifions génétiquement – comme fait la compagnie Monsanto pour le bien de l’humanité 😉 – pour pouvoir continuer à vivre dans cet environnement en dégradation permanente.
Dernière possibilité, la possibilité optimiste celle-là, qui consiste à conserver notre planète, à commencer à vivre de manière renouvelable, à constituer un environnement durable – et quand j’utilise ces mots, je les utilise dans le bon sens, c’est-à-dire pas dans le sens du greenwashing, c’est-à-dire d’une petite couche, d’une couche extrêmement fine, de verdâtre, à la surface de ce que nous faisons – et, voilà : de véritablement nous adapter au fait que nous avons une planète, qu’on aimerait bien la garder, qu’on aimerait bien continuer à vivre ici et le mieux possible pour bien faire. Malheureusement… malheureusement notre système économique n’est pas du tout adapté à cette solution optimiste. Il faudrait que nous en changions entièrement et en particulier que nous nous débarrassions entièrement de ce système « capitaliste » qui, lui, est uniquement… – pas tellement le capitalisme – disons capitaliste dans sa version surtout ultralibérale qui, lui, est absolument incompatible avec la survie de notre espèce dans de bonnes conditions à la surface de la Terre et qui conduit inéluctablement à l’un des cinq autres scénarios qui, eux, sont du type catastrophe ou semi-catastrophe, ou quasi-catastrophe, etc.
Alors voilà : comme nous ne sommes pas prêts pour le moment à adopter une remise en question véritable de l’ultralibéralisme, tout ce que nous avons à notre disposition, ce sont des populismes de type choses déjà connues : nazisme, fascisme italien, etc. qui nous semblent à certains d’entre nous comme étant – voilà – une solution, la solution à nos problèmes. Il faudrait qu’il y ait une troisième voie qui apparaisse – et que j’appelle moi d’un terme éculé et qui surtout a été mis à n’importe quelles sauce, surtout récemment – qui est le terme « socialisme » mais qui renvoie véritablement à quelque chose dont un espoir était né dans la première moitié du XIXe siècle. Espoir déçu de révolution sociale, qui est mort essentiellement dans les révolutions de 1848 et puis finalement, baroud final, par exemple dans la Commune de 1871 à Paris.
Alors entretemps, qu’est-ce qui se passe ? Eh bien voilà, on est sur les rails de – dans le meilleur des cas – de la solution Interstellar. C’est-à-dire que nous puissions quand même échapper à cette planète de justesse.
Alors, d’un côté : signes de craquements. Signes de craquements, faisons un petit peu un récapitulatif pour la semaine : le Brexit.
Le Brexit n’avance pas, figurez-vous. Pourquoi essentiellement ? Eh bien les Européens se plaignent parce qu’ils ont en face d’eux, à Bruxelles, des Anglais qui disent le contraire les uns des autres. Dernier épisode de cette déroute : le discours de Mme Theresa May où elle s’est fait interrompre par un type qui « n’avait pas l’air… », « qui n’avait pas l’air » d’être un chahuteur. Il avait l’air d’être tout à fait à sa place : il avait d’ailleurs le badge. Mais ce qu’il a donné à Mme Theresa May pendant son discours – il lui tendait un papier que la salle à pu prendre pour, euh, pour un papier avec quelque chose d’important à dire – mais non, non ! c’était sa feuille de renvoi ! C’était sa feuille de licenciement : le formulaire anglais pour vous annoncer que vous êtes licencié (rires) ! Pendant ce temps-là, la pauvre madame avait des quintes de toux qui l’empêchaient de prononcer une phrase, mais c’était un très beau symbole de l’effondrement de ce système britannique en ce moment : un craquement !
Je ne vous parle pas des craquements aux États-Unis parce que M. Trump s’en charge par ses tweets, de nous annoncer comment il est en train de saborder son propre système, le pays où il est. M. Trump, c’est le symptôme de ce qui ne va pas aux États-Unis. Il y en a un autre d’ailleurs : c’est ce monsieur, je crois qu’il s’appelle Eric Paddock si j’ai bon souvenir (si ce n’est pas Eric, je vous l’indiquerai en dessous. Eric, c’est peut-être le nom de son frère [P. J. en effet], je mélange peut-être les choses [P. J. oui, il s’agit de Stephen Paddock)). Mais alors là, il y a quelque chose de très intéressant dans l’information qu’on obtient ces jours-ci : c’est que si vous voulez, aux États-Unis, être un véritable gagnant, qu’on vous invite dans les plus grands palaces, qu’on vous offre des repas gratuits, que quand vous arrivez, on vous donne des billets gratuits pour aller à des concerts parmi les meilleurs, eh bien il y a une chose à faire et ce n’est pas de se battre dans la vie, d’essayer de gagner ou de faire des milliards ou des millions comme le propose un certain président de la république… non ! soyez un joueur compulsif ! Soyez un joueur compulsif et les casinos mettent l’argent nécessaire pour vous faire revenir parce qu’ils savent qu’un jour ou l’autre ils auront ramassé tous vos sous de toute manière, même si vous gagnez pendant une certaine période. Venez donc ! Venez ! Et parmi les chiffres que j’ai vus, un tiers (!), un tiers des frais de fonctionnement des casinos est constitué de ces « freebies » comme on dit aux États-Unis, de ces petits – Voilà – de ces primes, de ces privilèges, de ces petits cadeaux qu’on vous fait. Un tiers ! Un tiers des frais des casinos en cadeaux faits aux joueurs compulsifs pour qu’ils viennent, et qui sont les véritables grands gagnants du système, l’attention n’étant attirée sur leurs comportements curieux que quand ils se rendent responsables d’un massacre.
Où est-ce qu’il y a encore d’autres signes d’effondrement… Ah ! Bien sûr, bien sûr : en Espagne ! N’oublions pas l’Espagne où une région entière, la plus riche certainement, décide de faire sécession par des moyens, comment dire ? « artisanaux », en n’ayant pas fait tout ce qu’il fallait faire pour que ça se passe correctement, et ainsi de suite. Vraiment du travail d’amateurs ! Et si cette affaire se termine bien, eh bien ce sera un miracle, parce que les craquements… Bien entendu, ça ne marche pas trop !
Alors toujours dans l’actualité de notre système Interstellar, pendant ce temps-là, eh bien là ça va bien, parce qu’en particulier, il y a une nouvelle puce qui a été inventée par la compagnie Intel, qui s’appelle Loihi. Et si vous suivez un peu l’actualité de l’intelligence artificielle, vous savez que M. Yann Le Cun qui est un chercheur français de l’intelligence artificielle, parmi les meilleurs, et qui travaille pour la compagnie Facebook, est assez pessimiste sur certains progrès qui peuvent être faits. En particulier, il a une vision assez négative sur ce qu’on a encore à faire sur ce qu’on appelle l’apprentissage non supervisé. Eh bien, bonne nouvelle de ce côté-là : la compagnie Intel a mis au point une puce qui va apprendre d’elle-même ; elle mime le comportement d’un système nerveux de type humain. Elle va intégrer l’ensemble de l’information qui lui vient de l’extérieur pour apprendre, pour devenir plus intelligente. C’est une réponse, un peu, au pessimisme de M. Le Cun. Voilà un domaine où on est en train de faire un progrès considérable. Et on parle de mettre, du côté d’Intel, de mettre cette puce en circulation à partir de 2018 ! Alors 2018, c’est vraiment tout près !
Euh, quoi encore ? Dans cette direction-là : oui, une petite nouvelle personnelle. Ça me fait très plaisir, c’est que le congrès qui va avoir lieu à Bruxelles, congrès international du transhumanisme qui s’appellera Transvision et où il y aura des vedettes du mouvement comme Mme Natasha – j’oublie la première partie de son nom mais la seconde c’est More parce qu’elle a été ou elle est l’épouse de M. Max More qui est bien entendu une personnalité considérable dans le mouvement – pardon, Mme Natasha Vita-More, personnalité éminente du mouvement transhumaniste, sera là, de même que M. David Pearce, une autre vedette, de même que M. James Hughes. Voilà, ça ce sont des noms qui comptent dans le transhumanisme, ainsi bien entendu que M. Marc Roux lui-même, le président de Technoprog en France. Mais ces personnes m’ont demandé d’intervenir dans leur colloque et je prendrai la parole parmi ces personnalités éminentes de ce mouvement. Et non seulement cela, mais aussi, on m’a invité à participer aux trois jours qui sont réservés aux militants du transhumanisme. Alors comme vous le savez, je ne suis pas un militant du transhumanisme mais je traite cette question avec sérieux et avec respect – ce qui n’est pas le cas de… je traite le mouvement transhumaniste, et les transhumanistes avec respect, ce qui n’est pas absolument le cas de tout le monde – et c’est sans doute cela qui me vaut cet honneur d’être considéré comme étant suffisamment des leurs pour pouvoir assister à l’ensemble de leurs présentations.
Alors voilà ! Je crois avoir fait un petit peu le tour de ce que je voulais vous dire. Encore une petite remarque quand même : ça c’est une lecture que j’ai faite hier. Vous savez que je termine ce livre qui s’appelle Qui étions-nous ? et où j’essaye de rassembler tous les éléments qui nous permettraient d’avoir une boîte à outils la meilleure possible pour essayer d’aller vers La solution optimiste, c’est-à-dire la solution d’une espèce qui continue de vivre sur sa planète dans un cadre qui lui soit favorable. Je m’étais convaincu dans ce livre qui était vraiment en voie d’achèvement, qu’il y avait une objection, une objection majeure au fait de prétendre, d’affirmer, que la Chine est le seul pays en ce moment, la seule culture, qui soit véritablement armée pour pouvoir assurer la survie de l’humanité. Il me semblait que même là, il manquait quelque chose. Et alors hier – et là c’est intéressant sur le fonctionnement de l’inconscient, de l’intuition – j’avais pris un livre dans le train qui me conduisait de Vannes à Paris puis de Paris au Havre et je me le reprochais un petit peu parce que ça m’apparaissait un livre parlant de choses vraiment frivoles par rapport à mon projet de terminer ce livre. Je me disais : « Pourquoi est-ce que tu vas t’amuser à lire ça alors que tu devrais te concentrer à terminer ton écriture ? C’est quelque chose qui n’a pas grand rapport, pour autant qu’elle en ait aucun, avec ce que tu essayes de faire ». Et alors là, à ma surprise – à la surprise de ma conscience, peut-être pas de mon inconscient (rires) – dans ce chapitre que j’ai lu de ce livre, il y a L’élément qui prouve qu’en Chine, il y a depuis le IIIe siècle avant Jésus-Christ, dans la pensée, cet élément, cet ingrédient dont je considérais qu’il manquait pour pouvoir avoir du côté de la Chine une boîte à outils de très bonne qualité dans la tentative de survivre à la surface de notre planète. Parce que vous le savez, si ces signes de craquements apparaissent chez nous, il n’y a pas de signes de craquements équivalents en Chine. Au contraire, la Chine semble être sur une bonne voie par rapport au projet de survie, même si nous avons, nous Européens, à partir des valeurs de notre culture, qui sont sans doute justifiées – d’une certaine manière ou d’une grande manière – des éléments à reprocher à la manière dont les choses se passent en Chine, en particulier les progrès de l’hyper-surveillance qui sont assez inquiétants du point de vue de ce que nous considérons comme les libertés individuelles. Mais ! mais ! mais ! ceci dit, par rapport à la possibilité de remettre en question le capitalisme, et surtout dans sa version ultralibérale, la Chine est beaucoup mieux équipée que nous puisque nous, quand nous cherchons des alternatives, nous ne trouvons qu’un populisme débridé et plus ou moins délirant, plus ou moins fondé – comme le nazisme par exemple à son époque – sur une construction théorique plus ou moins fantaisiste fondée surtout sur des visions mythologiques, complotistes et autres, etc. Alors voilà : le travail de l’inconscient, le travail de l’intuition, me fait tomber sur cette chose qui me prouve que, non ! Qui me prouve que, non, la Chine en dispose dans sa boîte à outils. Et là j’insiste, pas de manière non-conflictuelle, parce qu’il faudrait par exemple synthétiser certains éléments d’une grande opposition classique en Chine entre confucianisme et taoïsme ; il faudrait concilier certains éléments venant de ces deux horizons qui peuvent parfois être extrêmement conflictuels, dire des choses qui apparaissent comme le contraire l’une de l’autre, les mettre ensemble. Voilà ! Je vais faire ça avant de terminer le livre. Je vais faire ça, au moins, reprendre cet élément, dont je ne vous dis pas ce que c’est, hein ! Je vais l’ajouter pour montrer que, à mon objection jusqu’ici que la Chine elle-même n’était pas entièrement équipée, cette objection est tombée : ça existe ! là, dans la pensée de Tchouang-tseu au IVe siècle avant Jésus-Christ, l’élément qui manquait, le « missing link ».
Voilà. Je vous en parle plus tard bien entendu. Je vous tiens au courant. À la semaine prochaine ! Voilà, au revoir !
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