Billet invité.
Le XIXème Congrès du Parti Communiste Chinois se prépare en ce début d’automne dans un contexte international qu’on a connu meilleur ! Contrainte de revoir à la baisse ses objectifs économiques à cause d’une croissance qui s’essouffle et de mettre un frein à certains investissements de ses entrepreneurs capitalistes en direction de l’étranger pour limiter les risques de casse, la Chine n’a pas actuellement tous les vents favorables en poupe. Elle vient d’accueillir à Xiamen (Fujian) une assemblée plénière des BRICS, les « grands émergents » fédérés par la crise du capitalisme international en 2008 : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud qui, ensemble, représentent 40% de la population mondiale et entraînent environ 50% de la croissance planétaire. Les participants à ce sommet annuel ne sont pas tous… au mieux de leur forme économique et ne pèsent plus (pour l’instant !) assez lourd pour constituer un pôle économique et monétaire capable de s’installer face aux Etats-Unis dans l’autre plateau de la balance et d’entreprendre de saper l’hégémonie mondiale du dollar. Il est bien évident que, face à cette menace à court ou moyen terme, les Etats-Unis mettent en jeu (et c’est de bonne guerre ! C’est l’inverse qui serait une anomalie) toutes les cartes dont ils disposent pour contrecarrer ce projet : coup de pouce probable à la déstabilisation politique du Brésil, rapprochement stratégique avec l’Inde depuis une dizaine d’années pour contrer la position de facto dominante de la Chine dans l’organisation, huile sur le feu dans la mise sous embargo de la Russie par l’Europe… C’est la règle normale du bras de fer et de toute situation de rivalité à chaud !
Une autre cause de l’impact politique relativement limité des BRICS sur la marche du monde, à l’heure qu’il est, doit être cherchée dans le fait que la Chine, qui apparaît comme leur chef de file peu contestable, « n’a pas de projet pour le monde« , comme le notait en 2012 François Godement, « ni de modèle alternatif de gouvernance internationale, sinon pour rendre celle-ci aussi peu intrusive que possible. » C’est une position très chinoise : charbonnier est maître chez soi, toute ingérence dans les affaires du voisin est une offense peu pardonnable et jamais, au cours de sa longue histoire, la Chine n’a prétendu imposer à d’autres son modèle de gouvernement (sans doute est-ce de l’orgueil : quel peuple hors de celui « du Milieu » pourrait viser à une telle « harmonieuse présence sous le Ciel » !). Depuis 2012 et l’arrivée aux affaires de Xi Jinping, la Chine, toujours sans « modèle de gouvernance » pour le monde, a pourtant le projet d’y déposer sa « marque » par ses alignements de pions façon jeu de go : ce sont les « nouvelles routes de la soie » qui doivent bientôt ceinturer pacifiquement le globe. Pour mener ce projet à bien, la Chine se doit d’entretenir les meilleures relations possibles avec le reste du monde. Cette nation que nous repeignons si spontanément, et négativement, en « bastion idéologique obtus » (d’une époque révolue !) fait tous les jours la preuve, dans cette entreprise, de son extraordinaire souplesse idéologique et de son absence d’a priori dans les tractations que routes, voies ferrées et ports accueillants nécessitent. La Chine n’a pas moins de 22 722 km de frontières terrestres et ce avec pas moins de 14 pays ! Et il n’y a pas que les pays frontaliers que la Chine doit faire, à un moindre degré, entrer dans son jeu : le chemin de fer Yiwu-Madrid traverse, pour arriver jusqu’en Espagne, le Kazakhstan, la Russie, l’Ukraine, la Pologne, l’Allemagne et la France ! Le pragmatisme de la Chine est total quand il s’agit de relations internationales et apparaître sinon en soutien, du moins en partenaire de régimes jugés chez nous peu fréquentables ne lui pose pas de problème majeur. De toutes façons, la Chine ne pourrait-elle pas nous dire que nous-mêmes, états occidentaux, sommes toujours finalement contraints de nous rabattre sur une forme quelconque de pragmatisme, mais qu’avant d’en arriver là, nous dépensons en pure perte temps et énergie à élever des protestations et à faire des remontrances ? Elle est particulièrement bien placée pour le savoir : nous aboyons tant et plus à propos de ses manquements aux droits de l’homme et, finalement, la caravane de nos contrats économiques passe sans grogner sous ses fourches caudines !
Charbonnier se veut maître chez soi, mais il a des voisins…
Cet été, ça s’est un peu grippé avec l’Inde. Une fois de plus ! Un bout de route goudronnée chinoise à la limite occidentale du Bhoutan a déclenché les sonnettes d’alarme de New Delhi. Avec l’Inde, le contentieux frontalier n’est pas nouveau. Les frontières dans toute la Haute Asie Centrale sont un inextricable sac de nœuds. Une véritable bouteille à l’encre héritée de l’hégémonique présence anglaise dans le secteur jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale. Leur tracé a en effet été arbitrairement dessiné par les Britanniques dans la « Convention de Simla » en 1914 : c’est dans l’Himalaya la malheureuse Ligne McMahon, jamais renégociée, que Pékin refuse de ratifier sans discontinuer depuis l’avènement de la République de Chine en 1925. A vrai dire, Londres vient tout juste, au bout d’un bon siècle, de dénoncer partiellement cette Convention de Simla en reconnaissant la suzeraineté de la Chine sur le Tibet, mais qui a entendu parler de ce tardif rétro pédalage ? Et le reste de ce terrain ultra-dangereux n’est toujours pas déminé ! On se souvient que, lors de l’indépendance qui lui a été accordée par la Couronne britannique en 1947, l’Inde a été séparée du Pakistan devenu un état souverain. Sauf qu’une Fée Carabosse rôdait autour du berceau de ce nouveau-né ! Une malédiction était inscrite dans son acte de naissance sous la forme, là aussi, d’une Ligne tracée quelques décennies plus tôt par l’Angleterre, la Ligne Durand, soit 2430 km de crêtes montagneuses qui, en 1893, dans le cadre du « Grand Jeu » anglo-russe, furent décrétés sur le papier tenir lieu de frontière entre l’Afghanistan (que le Lion britannique n’avait pas réussi à se mettre sous la dent) et le nord du Raj.
Quand cette ingénieuse invention a quitté les lambris dorés sous lesquels elle avait été pompeusement paraphée pour la réalité du terrain, elle s’est immédiatement révélée être l’un des plus désolants nids d’embrouilles qu’on ait à ce jour fabriqués : l’Afghanistan n’a jamais voulu reconnaître cette pseudo frontière qui divise artificiellement des tribus pachtounes parlant la même langue et qui est donc par nature extrêmement poreuse. Nos bulletins d’information parlent de « zones tribales » pour évoquer cette poudrière où le terrorisme islamiste trouve un terreau de premier choix et où l’enchaînement des guerres depuis un demi-siècle concentre tous les trafics (drogue et armes) et semble devoir continuer à décimer la population sans la moindre lueur d’espoir de pacification. L’artificiel Pakistan, créé de toutes pièces par le colonisateur, était de toute façon si peu viable en l’état des frontières de 1947 qu’il a dû, après une guerre civile terriblement sanglante, reconnaître en 1974 l’indépendance d’une partie de son territoire oriental sous le nom de Bangladesh. Reste un gros contentieux entre Inde et Pakistan, la question du Cachemire qui, elle, n’est toujours pas réglée et donne lieu à escarmouches plus ou moins violentes. La Chine, revenons vers elle, a des frontières avec tous ces pays : 3380 km avec l’Inde, 523 avec le Pakistan, 76 avec l’Afghanistan, 470 avec le Bhoutan et 1236 avec le Népal. Il ne s’agit d’ailleurs pas de véritables frontières, mais de « limites de contrôle » (LOC), simples avatars de la fameuse Ligne McMahon. Très « amie » du Pakistan (les ennemis de mes ennemis sont mes amis), la Chine est en conflit larvé mais permanent avec l’Inde. Etant donné l’altitude, la météo trois jours sur quatre ingrate, la complexité du relief et l’absence de réels postes-frontières permanents sur ces incertains tracés, il est bien évident que chacune des parties en présence peut y dénoncer à son gré (sans avoir véritablement tort ni raison) des empiètements inacceptables et qu’il y a là autant de casus belli qu’une nation belliqueuse peut en rêver ! Il y a eu une guerre éclair sino-indienne d’octobre à novembre 1962 que la Chine a remportée prestement et haut la main. Evidemment, les très bonnes relations qu’à cette époque l’Inde entretenait avec l’URSS, alors que la Chine venait de rompre bruyamment avec ce Grand Frère Soviétique, n’étaient pas étrangères aux mobiles de cette guerre. Depuis, les « incidents de frontière » ont été nombreux : quelques accès de fièvre qui se manifestent surtout par des rodomontades pas forcément meurtrières. Durant ces derniers mois, suite à une incursion indienne sur le territoire chinois à partir du Sikkim, l’hostilité est montée d’un cran. Des pierres ont volé de part et d’autre ainsi que quelques noms d’oiseaux, mais sans recours aux armes ! New Delhi voit d’un mauvais œil le Bhoutan, sur lequel elle exerce un protectorat de fait sinon de droit, être fortement tenté de céder aux sirènes du commerce, donc des bonnes relations, avec la Chine (des élections sont proches au Bhoutan). Et Pékin ne peut faire moins que montrer les dents à l’Inde qui se laisse circonvenir par Washington et qui donne asile au Dalaï Lama et à ses partisans (car le Tibet est évidemment au cœur du sac de nœuds) ! L’incident est désormais clos, jusqu’à la prochaine fois, Modi et Xi ayant eu la sagesse de se retirer conjointement sans rien perdre de leur face.
Une autre des frontières de la Chine peut être considérée comme « assez chaude » : celle qui la sépare du Vietnam (1281 km). Si les deux pays peuvent (vus d’ici) être considérés « du même bord » communiste et théoriquement « frères », leur relation est celle d’une famille désunie où règne la zizanie ! La Chine a soutenu idéologiquement et matériellement le Vietnam dans son affrontement avec les USA, mais rien ne va plus depuis la réunification de la péninsule en 1975. Un véritable conflit armé s’est même déroulé sur cette frontière en 1979, de peu de durée et d’assez faible intensité, mais manière tout de même d’administrer un coup de règle sur les doigts d’un Vietnam trop offensif et de rappeler qui est le maître du jeu dans cette Asie du sud-ouest. Depuis, l’ambiance est détestable : les Chinois du Vietnam, de très ancienne implantation (au temps où la péninsule était chinoise), commerçants et pêcheurs pour la plupart, sont en butte à une hostilité de type raciste et de véritables émeutes les désignent périodiquement à la vindicte de la population. L’épineuse « question des îles », les îlots Spratleys et Paracels que les deux états revendiquent, constitue une nouvelle pomme de discorde et le Vietnam en appelle dans ce conflit rampant au soutien de son « napalmeur » (on ose ce néologisme ?) d’hier (qui ne se fait évidemment pas prier !) contre la Chine.
Notes : Ouvrage cité : « Que veut la Chine ? De Mao au capitalisme » François Godement (2012 Ed. Odile Jacob)
Ouvrage conseillé pour se plonger dans le mic-mac contemporain des zones tribales pakistano-afghanes : « Pukhtu« Doa (2015 Ed. Série Noire Gallimard 2 tomes)
… à suivre : Le long des frontières chinoises (2) : Russie et Corée du Nord
Paul, Je n’ai vu de ce film, il y a longtemps, que ce passage (au début du film, je crois)…