Billet invité. Ouvert aux commentaires.
Que l’on ait suivi avec émotion les pérégrinations de Cyril et Samantha dans Le Gamin au vélo, film réalisé en 2011 par les frères Dardenne, n’est pas nécessaire pour se plonger avec passion dans les notes écrites tout au long du tournage par Luc Dardenne : Sur l’affaire humaine, livre paru en 2012 à la Librairie du XXIème siècle des éditions du Seuil.
S’interrogeant sur le destin possible de son principal protagoniste, Cyril, adolescent victime de la violence de l’abandon, Luc Dardenne creuse au plus profond de notre humanité pour y trouver la peur qui nous concerne tous de manière universelle et archaïque, celle de mourir.
L’auteur se demande si la mort de Dieu, annoncée par Nietzsche, peut vraiment être assumée par notre condition humaine, tant celle-ci se retrouve littéralement démunie, dans la brutalité de l’instant de son surgissement, de toute possibilité de la penser. C’est ainsi qu’interrogeant les philosophes, Luc Dardenne perçoit comme une sorte d’échappatoire, pour ne pas dire de consolation, dans leur représentation de la peur de mourir, celle-ci arrivant toujours au moment où on s’y attend le moins et déjouant toutes nos programmations.
Cette peur est aussi fondatrice de notre humanité, accompagnatrice de notre devenir car c’est elle qui nous menace sans arrêt et nous oblige à pallier notre immaturité par la recherche des meilleures solutions posées par la nécessaire adaptation à notre environnement. Cependant, la venue au monde, traumatisante et irrévocable, ne peut s’opérer sans fracas qu’à une condition : celle qu’un autre être humain puisse donner sa vie pour nous, nous aimer d’un amour infini. C’est donc bien la « mère », en-dehors de toute catégorie de biologie ou de sexe, qui va créer un intermède de temps quasi éternel pour que le petit d’homme puisse s’adapter progressivement et familièrement au temps linéaire, sagittal, irréversible.
Donner la vie, c’est donc mettre l’enfant sur le chemin de la mort et il ne réussira à y imprimer ses pas que si un autre a su, pour lui, en affronter l’issue. Si ce n’est pas le cas, il se refermera dans un espace protégé et, refusant d’en sortir, voudra tuer autrui qui le ramène, par son existence, à sa condition de séparé. Il se pourrait aussi que le désir de rester dans l’éternité le pousse à rechercher la puissance qui le rendra invincible, mais surtout opaque, inerte. La question du livre se pose ainsi : « Comment sortir de la peur de mourir sans tuer ? » (p. 69).
Au-delà de la destruction de toutes les représentations consolatrices, religieuses ou idéologiques, Kafka nous suggère cependant que nous sentons tous qu’il y a quelque chose d’indestructible en nous, qui nous rassemble dans un sort commun. Mais nous mourrons, notre corps vieillira, nous abandonnera, et notre seule manière de vivre notre destinée humaine est de nous ouvrir aux autres, dans l’incertitude des jours qui passent. De plus, en redonnant à un nouvel être l‘amour infini qui nous a portés, nous ne nous consolons pas de notre finitude mais nous acceptons de participer à la grande chaîne de l’existence.
« Nous vivons dans un contexte de sécurité mais psychiquement nous sommes dans un contexte de survie développant une constante et maximale attention aux signaux de mortalité » (p. 175). Actuellement, l’être humain tend à protéger égoïstement son corps, à vouloir le rendre éternel, au détriment de ce don d’amour infini dont il devient incapable : ainsi disparaît l’éducation.
Au final, Luc Dardenne attribue à l’art deux fonctions : celle de représenter la souffrance, mais aussi le lien avec autrui, avec la vie et nous refermons le livre en nous disant qu’il nous a montré ce qu’était le possible chemin vers l’humanité, fragile lueur dans l’obscurité de la mort qui nous entoure.
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