Billet invité. Ouvert aux commentaires.
Sans concertation préalable avec la CNAF, l’USH et autres organisations s’intéressant au logement et à l’habitat, le gouvernement a décidé d’un « coup de rabot » sur les prestations d’aides au logement, pensant ainsi récupérer 100M€ afin de boucler la réalisation du budget 2017 pour ce qui concerne les aides personnelles.
Le ministère chargé du logement (Ministère de la Cohésion des Territoires) envisage une réforme importante à l’automne et sollicite actuellement appel à suggestions via son site.
Toutefois, ce site n’est accessible qu’aux professionnels du secteur ou aux associations concernées.
Immédiatement après l’annonce de cette amputation, le commissaire européen aux affaire économiques, Pierre Moscovici y a été de son commentaire, – redondant venant de la Commission de Bruxelles : « la France a besoin de réformes structurelles ».
Alors que l’on sait qu’au contraire, c’est cette Europe trop orientée ‘Marché’ qui a besoin de réformes structurelles, le référendum de 2005 l’a bien mis en évidence.
S’il est avéré que les APL distribuées sont essentiellement captées par les bailleurs, les raboter risque de ne rien changer à cet état de chose, et les diverses réformes envisagées dans différents rapports ne pourront guère changer les choses de manière définitive (inclusion de l’aide au revenu imposable, fusion du RSA, des APL de la PPE, etc.).
L’on sait par ailleurs que structurellement, le manque d’emplois, et donc le manque de revenus, pèse sur le niveau des aides qui dès lors ne peut que marquer une tendance à la progression.
Autre particularité : selon la Cour des comptes, plus de 50% des bénéficiaires des aides personnelles résident dans le parc social et couvrent ainsi 35% des loyers versés aux bailleurs sociaux, ce qui représente ainsi plus du tiers de leurs ressources propres, contribuant à alimenter leur excédent brut d’exploitation (chiffres 2011 de la C.C.), permettant d’améliorer en principe leur capacités d’investissement, s’ils ne dilapident pas leurs ressources en dépenses ou salaires fastueux pour une armée de directeurs (l’on se rappellera de ce qui avait fait scandale il y a peu d’années pour le plus important bailleur social de Paris).
Le gouvernement se polarise actuellement sur ce sujet des APL, alors que l’aide au logement est un ensemble de concours de la puissance publique ; pourquoi n’évoque-t-on pas les aides spécifiques se traduisant par des TVA réduites, des aides à la construction de logements sous forme d’abattements d’impôts, d’exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties, etc. ?
La gestion des aides est également relativement coûteuse, en cause, la complexité de sa mise en œuvre, les régimes juridiques différents, car il faut savoir que bien que distribuées par les CAF, les APL dépendent du ministère ayant le logement dans ses prérogatives alors que les aides plus anciennes telles que l’ALF et l’ALS relèvent du régime juridique de la sécurité sociale.
Le problème du logement reste décidément un problème récurrent pour chaque gouvernement : depuis 1990, l’on a vu l’adoption d’une nouvelle loi pratiquement tous les 2 ans sans résoudre le problème sur le fond !
Le Conseil d’État dans son rapport général de 2009 concernant le droit au logement remarquait : « … la gouvernance du logement s’est profondément transformée au cours des dernières décennies. En particulier, les lois de décentralisation et la montée en puissance du marché font que l’État ne maîtrise plus à lui tout seul tout les leviers du logement. Il convient donc de se sortir de ce « milieu du gué » et de repenser la gouvernance du logement. »
Le marché, le mot est prononcé, le logement dans son ensemble n’échappe pas au mouvement général de marchandisation : il faut réaliser du profit, l’Europe veille et fait respecter ses directives spécifiques, pas question de laisser se développer le secteur du logement social trop aidé par l’État ou les systèmes de logements coopératifs, les Pays-Bas se sont déjà fait rappelés à l’ordre concernant la part trop importante de logements sociaux qui amputent des parts de profits potentiels pour les bailleurs privés.
Mais lorsque les profits deviennent trop voyants et échappent à l’impôt, les autorités consentent à se mobiliser un peu, comme à Paris où près de 20.000 logements ont été perdus pour la location classique et ont été transformés en machines à cash grâce à la location touristique au travers de Airbnb.
Le pouvoir parisien laisse croire également qu’il se préoccupe du logement, – logement social en particulier -, mais à l’examen, il apparaît des choses bien différentes, ainsi :
– l’une des plus anciennes réalisations sur le site de la caserne Dupleix (15e arr.), sur un total de 1.096 logements, seuls 420 sont dédiés au social, le reste est privé.
– sur les emprises SNCF, Paris rive gauche (13e arr.) en cours de réalisation, sur les 6.000 logements, 50% sont ou seront affectés au privé, idem pour les 1.500 logements étudiant, 50% privés.
Le plus remarquable est la construction des Tours Duo (180 et 120m de hauteur) qui vient de débuter : aucun logement, mais un hôtel de luxe, des boutiques, des bureaux, des restaurants, des bars …
L’investissement étranger (canadien) s’est réalisé avec la participation d’une banque française, 50% à hauteur de 500M€, les travaux ont été gelés jusqu’à la signature du contrat de location des bureaux (il faut bien que l’investisseur soit certain de rentrer dans ses billes…).
– le site de l’ancienne caserne de Reuilly (12e arr.), 580 logements sont prévus dont 50% en logements sociaux et étudiants, 20% à loyers intermédiaires et, – nouveauté -, grâce à la loi Macron du 6 août 2015, le dispositif VEFA permettra à Paris Habitat (organisme HLM) de vendre 30% du projet aux investisseurs privés qui se régalent par avance, pensez donc, la ville de Paris et Paris Habitat rachètent le site de la caserne Reuilly à l’Etat avec une décote par rapport au prix du foncier local, c’est gagnant + gagnant.
– quant à la SNCF, elle vient de signer également avec la ville de Paris pour la cession de diverses surfaces pour de prochains projets : Chapelle-Ordener, Charenton, etc.
De plus, SNCF, grâce à la réforme ferroviaire votée le 4 août 2014, s’est dotée d’une filiale dédiée à l’immobilier, l’une de ses réalisations au coeur du quartier des Batignolles (Paris 17e arr.), 28.000 m2 de logements cédés à des promoteurs et de deux immeubles de bureaux en co-promotion avec Sodearif, filiale de Bouygues Bâtiment Ile-de-France…
Il faut également remarquer pour le cas de Paris – en zone très tendue concernant le logement, que les organismes de logements HLM construisent peu de logements accessibles aux couches de populations les plus modestes ou des plus défavorisées via les PLAI, mais ils privilégient, parmi le public éligible au logement social, plutôt les couches les plus aisée via la construction des PLUS et des PLS qui pourront générer des loyers plus ‘profitables’.
D’où l’obligation de fait pour les plus défavorisés d’aller vers des logements aux loyers plus abordables en banlieue et grande banlieue (Seine Saint-Denis, Val d’Oise …) ces logements sont en réalité des logements de relégation où l’on retrouve une énorme proportion de gens issus de l’immigration, habitant l’une des plus fortes proportion de logements sociaux (52,7% à Sarcelles !).
On touche là un problème qui est celui de la mixité sociale qui est pourtant l’un des objectifs assignés aux organismes de logements sociaux et qui n’est absolument pas réalisé dans l’état actuel des choses.
« Le logement a perdu sa fonction sociale et est plutôt vu comme un véhicule pour la richesse et la croissance des actifs. Il est devenu une denrée financière, dépouillée de son lien avec la communauté la dignité et l’idée de la maison. Le monde financier a essentiellement agi sans aucune considération du logement comme un droit humain et les états sont complices : ils ont soutenu les marchés financiers d’une manière qui a rendu le logement inabordable pour la plupart des résidents » a déclaré Mme Leilani Farha dans son récent rapport présenté au Conseil des droits de l’homme de l’ONU.
Le poison de la marchandisation s’insinue de plus en plus dans tous les compartiments de ce qui relevait de la vie sociale.
Que va-t-il également advenir de la loi DALO, loi qui a été plaquée sur un fatras de lois et règlements entremêlés, entre droit privé et droit administratif, loi qui dans les faits se révèle inappliquée, laissant les prioritaires sans solution de logement et même sans solution d’hébergement, en raison du problème conjoncturel posé par l’afflux récent des migrants qu’il faut également héberger en urgence.
La gestion purement comptable de l’État, conduit de la part des préfets, à accorder de plus en plus le concours des force de police lors des procédures d’expulsion locatives ; ce qui est visé, c’est la diminution du budget du ministère de l’Intérieur consacré à l’indemnisation des bailleurs à qui l’on a refusé la mise en œuvre de l’expulsion.
Par ailleurs, la pression sur l’État via le contentieux du DALO, se réduit car, bien qu’il ne diminue pas en nombre, le montant des astreintes imposées par le juge administratif en dernier ressort se contracte, et de toute façon, ces astreintes ne sont versées qu’à un fond de développement de l’habitat. Ces astreintes n’exercent donc aucune pression effective sur l’État puisque les fonds concernés restent dans son environnement.
La seule voie ouverte au prioritaire n’ayant pas eu satisfaction concernant son logement, ou relogement, est celle d’une requête autonome de plein contentieux mettant en cause la responsabilité de l’État, cette voie est peu suivie car elle implique l’intervention d’un avocat et également d’un avocat spécifique si l’affaire vient à aboutir devant le Conseil d’État.
La décision du CE peut également être prise en opposition au jugement de la Cour Européenne des Droits de l’Homme lorsque cette dernière a à juger de l’infraction à l’article 6-1 de la convention européenne des Droits de l’homme et des libertés fondamentales.
L’argument de la France, mise en cause devant la CEDH, est d’avancer systématiquement ‘le manque de logements disponibles’ ; argumentation rejetée au regard de l’obligation de résultat de la part de l’État, lequel toutefois ne réagit pas plus.
La construction de logements sociaux étant toujours, au cours du temps, largement inférieure aux prévisions, d’autres pistes sont évoquées pour récupérer des logements à attribuer.
L’une des pistes évoquées dans certains rapports pour rendre ‘plus fluide’ l’attribution de logements dans le domaine HLM est de mettre fin au concept de maintien dans les lieux, améliorant ainsi le taux de rotation des locataires, par deux mesures : l’orientation vers le secteur privé des locataires dont les revenus sont les plus élevés et l’éviction des personnes âgées occupant un logement ne correspondant plus à la taille de la famille.
Cette dernière action recèle toutefois un problème sociologique dont l’importance ne peut être ignorée. En effet, le fait pour une personne âgée de perdre un certain nombre de repères et se retrouver dans un autre environnement est préjudiciable à sa qualité de vie et induit un stress néfaste pouvant obérer son espérance de vie. De plus cela va à l’encontre de la tendance actuelle, qui veut qu’en raison du vieillissement de la population, l’on tende à maintenir les personnes âgées dans leur cadre de vie actuel le plus longtemps possible.
Et bien sûr également – mais cela n’est pas affirmé de manière officielle – l’accroissement des procédures d’expulsion. Procédures qui sont la conséquence du phénomène structurel de baisse de l’emploi salarié et de la baisse des revenus mettant en difficulté un grand nombre de locataires.
La marchandisation du logement est-elle inéluctable ?
Des solutions existent pourtant, César de Paepe (socialiste belge) proposait dès 1868 un système communal de gestion du logement (s’inspirant de Proudhon) qui rendrait chaque locataire propriétaire de son logement sa vie durant.
De Paepe s’est longuement penché également sur le problème de la propriété du foncier et y fait également des propositions (voir son ouvrage Des Services Publics).
Plus près de nous, Cuba, par la promulgation de la loi de réforme urbaine du 14 octobre 1960, donnait la propriété de son logement aux locataires ayant payé leur loyer au propriétaires durant une période variable selon l’année de construction du logement et l’évaluation de l’amortissement de celui-ci. Actuellement, il n’est permis de détenir qu’un logement principal et un logement secondaire, pour les citoyens ou les étrangers disposant du permis de séjour. La terre (le foncier) reste la propriété de l’État, l’on ne peut qu’en être l’usufruitier.
Plus actuel, un économiste enseignant à Science Po, propose un système inspiré de la métaphore « le concours de beauté » de J.M. Keynes pour illustrer le fonctionnement du marché boursier, visant à enclencher une baisse des loyers:
Pour rencontrer et l’objectif de 25% de logements sociaux pour chaque municipalité, et l’objectif de mixité sociale, ne pourrait-on imaginer que pour chaque projet d’investissement d’un quelconque promoteur privé, il soit obligatoire de prévoir l’affectation de 25% au domaine social, cela aurait l’avantage de lutter contre la ghettoïsation, phénomène que peut générer le 25% au niveau municipal global, cela est particulièrement perceptible à Paris où l’on observe une forte disparité entre les arrondissements alors que, globalement, Paris atteint le taux de 20% de logements sociaux.
Autre avantage socio-économique, cela agirait comme une contre-réaction sur le phénomène de spéculation immobilière observé dans les grandes villes – dont Paris – car il est bien évident que les promoteurs devront faire un effort conséquent sur leur marge afin de pouvoir vendre leurs réalisations à des acheteurs pas forcément heureux de côtoyer des ‘gueux’ sur leur palier !
Toujours dans cet ordre d’idée, l’État, au travers d’une régie nationale, pourrait se porter acquéreur de biens vendus dans les quartiers les moins dotés en logements sociaux, exerçant ainsi une pression à la baisse dans ces quartiers.
Cette possibilité, la DPU actuelle (droit de préemption urbain) devrait être modifiée et dévolue à l’État plutôt qu’aux municipalités pour une meilleure application.
Un gisement de logements possibles se trouve également dans ce que l’on observe en matière de logements non affectés, une action de l’État serait la bienvenue via une forte taxation des logements vacants, ce qui serait incitatif pour la remise sur le marché de la location ou tout le moins récupérer de la substance fiscale à affecter aux actions dans ce domaine.
Le taux de vacance des logements selon l’INSEE (chiffres 2016) atteint une moyenne de 8,2%, il est de 6,9% à Paris, mais, ce qui est plus remarquable, c’est la progression fulgurante de 2006 à 2016 : elle atteint 4% par an, alors que la période antérieure ne laissait apparaître qu’une progression de moins de 1%, sauf durant la période de 1986 à 1991 où il a été de 2%.
La progression, quant à elle, du nombre global de logements durant la période 1986-2016 n’a été que de 1%.
Des solutions existent donc, autres que raisonner en fonction du profit purement financier.
Le droit à un logement décent fait partie des droits fondamentaux des êtres humains, il faut aborder cela avec une autre optique que celle utilisée actuellement.
C’est ce que propose également Paul Jorion dans ses écrits, mais qui va oser parmi les représentants politiques, changer les choses et se diriger vers un véritable socialisme dans ce domaine qui relève d’une telle importance ?
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