Voici la traduction d’une interview de Douglas Bravo en 2015. Son point de vue, émanant d’un proche de Chavez avec lequel celui-ci rompit les relations en 2010 ou 2011 « quand il choisit le chemin du modèle soviétique » éclairera du dedans une situation le plus souvent brouillée par les informations disponibles en langue espagnole et limitées aux platitudes géopolitiques en langues française et anglaise.
Dans un pays où une dictature massacre un peuple en révolte, sinon déjà en révolution, et où le pétrole attire les convoitises des impérialismes russe et états-unien, chacun espère que la situation ne bascule pas dans le sens d’une Syrie sud-américaine, mais rien n’en prend le chemin. Quand bien même « la troisième voie » que Douglas Bravo promeut semble floue, ses analyses des forces sociales en présence au Venezuela dans le contexte d’une économie de rente et le long terme historique auquel il se réfère permettent d’appréhender ce dont est capable un État qui est synonyme de capital à l’égard de son peuple.
Merci aux traducteurs Laurence M.F.C., François Bélijar, Jean-Luc Kratzer…
schizosophie
Douglas Bravo (Troisième Voie): « Ici, on abandonne la souveraineté »
Selon l’ex-guérillero : « Il est vrai que sous les précédents gouvernements les ordres étaient de fermer les journaux et les stations de radio/TV, mais maintenant la nouvelle stratégie c’est : acheÌ€te-le, passe-le, paie-le deux fois plus ».
le 6 décembre 2015
Víctor Amaya pour La Razón
OctogeÌnaire et espeÌrant encore voir advenir un nouvel ordre politique mondial, Douglas Bravo fait de son appartement du Parc Central un bunker pour les ideÌes. EntoureÌ de livres, de presse, de documents et d’archives, il observe le Venezuela, non en lui meÌ‚me mais comme partie de la dynamique globale. D’esprit encore « guerrillero » – le plus renommeÌ de l’histoire locale et le dernier à se deÌmobiliser – il assure avoir documenteÌ une bonne part de l’histoire non raconteÌe des luttes veÌneÌzueÌliennes.
Il se souvient d’Hugo Chavez comme d’un ami bien que son passage par le Parti de la ReÌvolution VeÌneÌzueÌlienne (PRV) fut fugace, d’avoir trahi des ideÌologies, de s’eÌ‚tre engageÌ le 4 feÌvrier et d’avoir oÌ‚teÌ son caracteÌ€re civil à la reÌbellion, de s’eÌ‚tre converti en un manitou exploitant peÌtrolier polluant, et de l’avoir fait prisonnier en 2009. « Mais j’ai un caracteÌ€re coriano* » dit-il. L’amitieÌ deÌpasse les confrontations politiques. Il le sait car il accumule des amis de toutes tendances politiques, avant et maintenant. Tout en continuant de lire et d’eÌcrire, il assure qu’un TroisieÌ€me Chemin est possible, ainsi qu’il nomme sa proposition. Il a des envies de reÌvolution.
* de Cora ville du Venezuela, Santa Ana de Cora, eÌtat de FalcoÌn (NDT)
En feÌvrier 2009 vous avez parleÌ d’une « secousse populaire ». En avril de cette anneÌe, de « la reÌbellion de la multitude ». Cela arrivera-t-il ?
Ces deÌclarations se correspondent comme un moment explosif grandiose que vit le Venezuela et la planeÌ€te. Il ne s’agit pas d’une reÌvolte pour produire des changements au sein d’un gouvernement, mais de creÌer une nouvelle civilisation. Cette reÌvolte qui vient est une rupture avec l’ordre eÌtabli.
Quelle influence aura le VeÌneÌzueÌlien dans un tel processus ?
Ici le Pacte de Punto Fijo* gouverna pendant 40 ans et deÌtruisit la conception du deÌnommeÌ « monde occidental » dirigeÌ par les EÌtats-Unis. Chavez est le produit de beaucoup de choses, pousseÌ par les eÌmotions du 27 feÌvrier qui se capitaliseÌ€rent de façon neÌgative avec un autre pacte : celui du marxisme stalinien. Les deux modeÌ€les mondiaux, celui des EÌtats-Unis et celui du marxisme capitaliseÌ par la Russie ont eÌchoueÌ. Les gens s’en rendent compte à travers la miseÌ€re. Les deux modeÌ€les du capitalisme occidental et oriental ont eÌchoueÌ au Venezuela.
* Punto Fijo ville du Venezuela, eÌtat de FalcoÌn ; pacte politique conclu en 1958 entre les 3 grands partis veÌneÌzueÌliens (WikipeÌdia) (NDT)
Alors où allons-nous ?
Vers une nouvelle civilisation. Des mouvements se leÌ€veront, contre ce gouvernement, il y aura une agitation sociale. Le Venezuela a la possibiliteÌ, en raison de l’eÌchec de ces modeÌ€les, de produire un troisieÌ€me chemin, une troisieÌ€me force.
D’ouÌ€ ce chemin peut-il surgir si les structures du pouvoir sont aligneÌes sur ces modeÌ€les preÌfabriqueÌs ?
Celui qui gouverne aujourd’hui parle au nom d’un socialisme qui n’existe pas. Nous sommes le premier pays destructeur eÌcologique d’AmeÌrique Latine, et en meÌ‚me temps le Venezuela s’aligne sur le socialisme marxiste qui a eÌchoueÌ, et c’est pourquoi nous parlons de capitalisme d’EÌtat. Nous l’avions dit : une nouvelle bourgeoisie para-eÌtatique monterait, une bourgeoisie qui deÌtient plus de capital que la bourgeoisie aristocratique et de surcroiÌ‚t geÌ€re la rente produite par le pays, se l’approprie et nous a conduit au deÌsastre.
Parmi le leadership actuel, quelqu’un est-il proche de cette ideÌe de rupture ?
Nous ne pouvons pas eÌcarter les courants qui viennent du gouvernement. Victor Paleo fut vice- ministre de l’eÌnergie et il en partit parce qu’il a commenceÌ à parler. Orlando Chirino fut le dirigeant syndical de Chavez, il est parti et il a son parti politique. Et un groupe de militaires et de preÌ‚tres, dont on ne peut pas dire le nom crurent que l’eÌ€re à laquelle ils aspiraient avait commenceÌ, puis ils se rendirent compte que c’eÌtait le plus grand eÌchec.
Y en a-t-il malgreÌ tout qui se tapissent dans le gouvernement et son statut quo, mais savent dans leur for inteÌrieur qu’ils bondiront ?
EÌvidemment. Il y a des hommes et des femmes qui eÌtant dans le gouvernement, vont faire partie des leÌgions qui seront l’avant-garde de cette nouvelle eÌ€re historique. C’est un processus mondial mais le Venezuela peut casser rapidement et ceci commence en s’affrontant à ce gouvernement qui a deÌtruit l’eÌconomie, a causeÌ un deÌsastre eÌthique et une frustration immense.
Comment une socieÌteÌ peut-elle se dresser contre un gouvernement si elle est appauvrie, frustreÌe et en train de faire la queue ? Peut-elle avoir l’impulsion neÌcessaire, l’acharnement et le temps pour le faire ?
Lors de la prise de la Bastille, le peuple europeÌen ne pensait pas que ce serait la rupture avec des sieÌ€cles et des sieÌ€cles de domination eccleÌsiastique et feÌodale et qu’il en reÌsultat qu’apreÌ€s la reÌvolution française toute l’Europe fut amoureuse du progreÌ€s, l’industrialisation, la fraterniteÌ. Il est certain qu’un nouvel « accord de Yalta » est en train de se preÌsenter entre Poutine et Obama, les deux policiers mondiaux pour arreÌ‚ter cette nouvelle reÌbellion, ce « SieÌ€cle des LumieÌ€res »*, mais d’une nouvelle teneur. Cet accord arrive jusqu’au Venezuela, alors qu’une branche du gouvernement fait alliance avec une branche de la MUD** car il n’est pas opportun de deÌloger compleÌ€tement le gouvernement par une greÌ€ve geÌneÌrale qui renverserait le gouvernement, mais empeÌ‚cherait la MUD d’y acceÌder. Ici, quand la prise de la Bastille eÌclate, tout le monde s’en va.
* Tout bien reÌfleÌchi, je pense que l’ideÌe est celle là : dans le sens de « Mouvement philosophique et culturel du XVIIIe sieÌ€cle qui met l’accent sur la preÌeÌminence de la raison humaine et la croyance dans le progreÌ€s » selon l’expression du dictionnaire de la Real Academia Española (NDT)
**MUD Mesa de la Unidad Democràtica (coalition de l’opposition) (NDT)
En avril 2009 vous avez parleÌ d’une « greÌ€ve geÌneÌrale ouvrieÌ€re » qui pourrait deÌboucher sur une assembleÌe constituante. Cela reste-t-il un sceÌnario reÌalisable ?
Bien suÌ‚r. Les probleÌ€mes des travailleurs, des employeÌs universitaires, les infirmieÌ€res, les ouvriers peÌtroliers, les entreprises en faillite de Guyane, Corpoelec, les probleÌ€mes indigeÌ€nes, la classe moyenne briseÌe comme on ne l’avait jamais vu. Tout ceci propulse un torrent qui vient de la montagne et entraiÌ‚ne tout. C’est comme ça que ça va se passer. Cette greÌ€ve geÌneÌrale peut prendre n’importe quel nom, mais elle sera deÌclencheÌe par un eÌveÌ€nement provocateur. Tous ceux qui se sont deÌtourneÌs, il faut les unir pour que le Venezuela puisse se sauver.
Ceci allait se produire même Chavez vivant ?
La faute fondamentale en revient à une eÌquipe gouvernementale dans laquelle Chavez eÌtait la force principale et deÌterminante. S’il avait veÌcu, les choses se seraient preÌcipiteÌes plus rapidement.
On qualifie toujours ce gouvernement de dictature militaire ?
C’est une dictature de l’eÌpoque moderne, qui viole tes droits humains, et liqueÌfie le vrai concept de syndicalisme, les partis politiques interviennent depuis le TSJ*. Il est vrai que lors de gouvernements anteÌrieurs on supprima des journaux et des stations de radio et de télé, mais maintenant, il y a un nouveau modeÌ€le : ‘acheÌ€te-le, passe-le paie-le deux fois’. La violation des DDHH* s’est institutionnaliseÌe en meÌ‚me temps que la violation de l’EÌtat par la drogue, la violation de la souveraineteÌ par les accords eÌconomiques, y compris les entreprises mixtes. Pourquoi aucun autre pays de l’OPEP ne souscrit-il des accords d’entreprises mixtes ? Ainsi livre-t-on la souveraineteÌ.
* TSJ : Tribunal Supremo de Justicia, sommet du pouvoir judiciaire au Venezuela (NDT)
** DD HH Derechos Humanos
Maduro acheÌ€ve son mandat preÌsidentiel ?
Un accord pour qu’il ne l’acheÌ€ve pas passe par un accord entre La Russie, les EÌtats-Unis, et Cuba. Il est possible qu’il leur convienne de sortir Maduro car il est treÌ€s affronteÌ à la population, les ouvriers, eÌtudiants, les indigeÌ€nes, le monde intellectuel, les journalistes. Ça se passera peut-eÌ‚tre comme cela s’est deÌjà passeÌ. Nous y sacrifions pour ne pas modifier le processus qui avance.
Le Chavisme comme processus, comme ideÌe, comme facteur unificateur, s’est acheveÌ ? Ce qui subsiste en sont les restes?
Le chavisme en a pris un coup au niveau populaire, mais aussi au niveau des intellectuels. Avant, le Gros Mec disait « Maduro va au diable, je reste avec Chavez », maintenant c’est « Chavez, va te faire foutre ».
Luis Miquilena a affirmeÌ que Chavez fut une grande escroquerie. Vous le soutenez ?
J’utiliserais un autre terme. Des milliers de gens qui ont professeÌ une ideÌologie, l’ont abandonneÌe, trahie. Chavez professait une ideÌologie de rupture avec le capitalisme occidental et sovieÌtique et il ne l’a nullement mise en pratique.
Vous avez continueÌ à eÌ‚tre ami avec Chavez jusqu’à la fin ?
Nous eÌtions amis. Il m’envoyait des messages à travers des personnes. Ceci a perdureÌ jusqu’à ce que la crise se voie. Quand il a pris le chemin de suivre le modeÌ€le sovieÌtique, ce fut la dernieÌ€re fois qu’il m’envoya un message. C’eÌtait en 2010 ou 2011.
Vous conversez avec Ali Rodriguez, avec Jose Vicente Rangel, avec Tarek Willam Saab – son pupille -?
En deÌpit des diatribes politiques, j’ai maintenu la croyance en l’amitieÌ. Je ne les vois pas, ça fait longtemps que je n’ai pas parleÌ avec eux, je sais quel grand effort va venir du peuple pour changer ça, ils vont eÌ‚tre dans une situation difficile. Peut-eÌ‚tre essaieront-ils de s’incorporer à cette tourmente populaire.
Cette anneÌe vous avez dit que le pouvoir eÌtait concentreÌ à Miquilena, puis au PPT,* ensuite à Jose Vicente Rangel et maintenant à Diosdado. Quel est le plus puissant ?
Diosodado repreÌsente une force eÌconomique et militaire. De plus : quand il est arriveÌ au pouvoir, il eÌtait antisocialiste et eÌtait bien vu des EÌtats-Unis. Je crois qu’il est toujours bien vu par certains eÌleÌments. Il n’a pas fait de putsch contre le socialisme. Il est toujours un eÌleÌment reÌel de pouvoir comme Jose Vicente en ce moment.
*Patria Para Todos parti politique fondeÌ le 27 septembre 1997 situeÌ à gauche es.wikipedia.org (NDT)
Quelle part de pouvoir deÌtient Maduro ?
Une crise l’a toucheÌ et il a duÌ‚ assumer des forces antagonistes, comme auparavant Chavez. On a limiteÌ son pouvoir.
En 2011 vous avez deÌfendu l’abstention comme faisant partie de cette « greÌ€ve geÌneÌrale ». En face de 6D : vous allez voter ?
Je ne me suis pas inscrit. Je n’ai jamais voteÌ. L’abstention n’est pas deÌfinitive. Quand nous convoquerons, avec un nouveau pouvoir, une constituante, je voterai. Mais pour l’instant, non.
Le 6 deÌcembre s’inscrit-il à l’inteÌrieur du processus de rupture que vous eÌbauchez ?
C’est un point geÌ‚nant pour les deux forces. Pour le gouvernement, parce qu’il sait que la majoriteÌ est contre lui. Pour la MUD, aussi car il y a une contestation de la MUD, par les syndicalistes, les universitaires qui disent que la MUD ne sait pas s’opposer.
Paul, Je n’ai vu de ce film, il y a longtemps, que ce passage (au début du film, je crois)…