Retranscription de Le temps qu’il fait le 14 juillet 2017. Merci à Olivier de Taxis !
Bonsoir, nous sommes le vendredi 14 juillet 2017 et si j’ai un peu tardé dans la journée à enregistrer une vidéo, c’est parce que hier dans la soirée a été publiée la vidéo de la table ronde qui a eu lieu il y a exactement une semaine à Aix-en-Provence, aux Rencontres économiques d’Aix-en-Provence et où je me trouvais dans un panel (comme on dit maintenant), avec en particulier la Ministre de la santé, Madame Buzyn. Il y avait également Monsieur Guy Vallancien, un chirurgien, un pionnier de la chirurgie robotique, avec des idées très intéressantes sur ce qui sera l’avenir de la médecine.
Et donc hier soir, j’ai découvert cette vidéo. Il y avait un streaming qui circulait, dont tout le monde m’a fait remarquer qu’il était absolument inaudible, ça datait du jour précédent, mais à partir d’hier soir donc cette vidéo a été disponible. Et quand je regarde comme ce matin (je me regarde moi-même pour savoir comment j’ai fait), quand je me vois moi-même dans une vidéo que je mets en ligne, je suis moins motivé à enchaîner aussitôt à raconter une autre histoire. Il me semble que cette discussion était d’un bon niveau.
Elle était d’un bon niveau : on n’avait pas essayé, comme ça arrive malheureusement parfois dans les tables-rondes, de faire plaisir à tout le monde et de mettre tous les gens qui estimaient qu’ils devaient être là et qu’on ne pouvait pas refuser pour une raison quelconque, non : ça avait une certaine tenue.
J’espère que vous allez regarder ça. C’est intéressant. C’est bien.
Personnellement je vous ai déjà expliqué que quand je parle à un endroit, je n’ai pas la moindre idée si j’ai dit ce que je voulais dire ou non. C’est seulement après (comme un robot) que je peux regarder si je suis content de ce que j’ai fait. Et là j’ai le sentiment en le regardant, d’avoir dit effectivement tout ce que j’avais envie de dire à l’intérieur de ce format un peu particulier que certains n’aiment pas du tout, où on vous donne 10 minutes et puis on vous permet éventuellement de parler encore cinq minutes, et puis encore cinq minutes, etc. Mais voilà, j’avais envie de mentionner un certain nombre de choses, et je crois que j’ai eu la possibilité de le faire.
Ça c’est mon actualité. J’ai aussi participé encore plus récemment, c’était mardi, à une discussion assez intéressante sur l’intelligence artificielle à Lille, à la Catho de Lille. Il y a des réflexions qui sont faites maintenant sur les machines et leur responsabilité. Qu’est-ce que ce sera une voiture autonome ? – Comment est-ce que ça va, comment dire, interagir avec nous ? Et en particulier, il y a eu une intervention très intéressante d’une philosophe qui s’appelle Katherine D. Evans. Une Canadienne qui nous a proposé deux systèmes de moralité indépendants pour la machine autonome en insistant sur le fait que la moralité d’une machine ce n’est pas une moralité comme la nôtre qui pourrait, comment dire, dépendre d’une représentation, d’une prise de conscience de nous-mêmes, que c’est quelque chose qu’il faut lui imposer de l’extérieur. Il faut l’inscrire à l’intérieur de son code. Malheureusement l’article dans lequel elle va mentionner tout ça n’est pas encore publié et donc j’attends un petit peu avant de vous en parler. Mais retenez ce nom : Katherine D. Evans, une jeune Canadienne qui a une réflexion importante par rapport à ce qui va se passer dans nos rapports entre êtres humains et la machine.
Alors ce n’est pas souvent le cas que ce qui me paraît être l’actualité qui me concerne moi spécialement, ce soient mes lectures, mais c’est le cas.
C’est le cas : j’ai terminé de lire un livre qui s’appelle To be a Machine de Mark O’Connell : un livre très important, publié en mars de cette année, publié en anglais et en américain, dont je vais vous faire un compte-rendu avant de m’intéresser à certains paragraphes en particulier, que j’expliquerai, dont je ferai un commentaire : un commentaire de texte. C’est un livre extrêmement important. C’est quelqu’un qui parle donc du transhumanisme mais pas du tout en tant que spécialiste de la question : en tant que professeur de littérature anglaise à l’université de Dublin et qui vient donc avec une certaine – comment dire – une certaine naïveté par rapport à ces questions mais qui en parle d’une manière absolument excellente. Je vous en parlerai. C’est extrêmement important.
Alors un autre livre dont je voudrais vous parler, c’est le livre que je lis en ce moment et qui est un livre absolument fondateur. C’est par un auteur qui est connu, qui s’appelle Kurt Vonnegut [1922-2007] qui est un auteur américain dont on a beaucoup parlé à propos en particulier d’un livre qu’il a écrit qui est un mélange, je dirais, de considérations de type philosophique et de son expérience de la guerre de Corée [non : de la Seconde guerre mondiale] qui s’appelait Slaughterhouse-Five, dont on a d’ailleurs fait un film – lui aussi intéressant.
Il a commencé sa carrière de romancier en écrivant un livre qui s’appelle Player Piano, en 1952, qui n’a eu aucun succès au point que j’ai pu maintenant (à un prix très modeste) m’acheter une première édition de ce livre, et c’est un livre qui parle de maintenant : c’est un livre de la société automatisée. Et ça a été publié, imaginez-vous, en 1952, à partir simplement de considérations de gens comme Von Neumann, comme les inventeurs de la cybernétique : Norbert Wiener, etc.
C’est une projection en 1952 d’un monde qui sera entièrement automatisé et toutes les conséquences que cela aura.
[Petit à petit la mouette rieuse accompagne le passage de la description du piano mécanique]
Alors, c’est extraordinaire : comme je vous l’ai dit, le livre n’a pas eu de succès, ça a été traduit en français sur un malentendu total – je ne sais plus comment on a appelé ça en français [Le pianiste déchaîné] mais on n’a pas compris manifestement que Player Piano ça veut dire : piano mécanique. Pourquoi piano mécanique ? Parce que c’est la première instance d’un robot dans notre société : ce piano qui marche automatiquement, dont on voit les touches qui bougent. Alors un livre, je vous en parlerai d’une manière systématique par la suite : c’est une représentation du monde actuel produite il y a plus de 50 ans par un véritable visionnaire.
Kurt Vonnegut est mort maintenant. On a fait des films à propos de ses livres comme je viens de le dire. Un penseur très important. Véritablement un visionnaire de ce que le monde allait devenir. Il commence une réflexion en disant : – voilà, le patron appelle sa secrétaire, sa secrétaire va lui taper son manuscrit et je me dis : – ben voilà : il y a quelque chose qu’il n’a pas vu quand même. Eh bien il l’a vu ! Il nous dit : un patron qui a encore une secrétaire qui tape ses manuscrits, c’est un truc de pur prestige parce que cela n’est absolument plus nécessaire : tout ça a été remplacé par la machine. Mais il nous représente une société dystopique, une société absolument, je dirais, en voie de disparition à partir de cette automation, de cette informatisation qui n’a pas véritablement été comprise et surtout pas maîtrisée par les personnes impliquées.
Voilà. Deux lectures très importantes : Mark O’Connell dont je vous parlerai beaucoup plus longuement et également ce livre d’il y a très longtemps, de 1952, dont je vous parlerai aussi énormément pour l’analyser parce que… une personne qui peut se projeter comme ça 60 ans dans le futur; c’est une personne qui a beaucoup de choses à dire non seulement à son époque mais qui nous parle encore véritablement maintenant.
Voilà, allez, à bientôt !
Paul, Je n’ai vu de ce film, il y a longtemps, que ce passage (au début du film, je crois)…