Billet invité. Ouvert aux commentaires.
Aubervilliers, pause.
Après avoir évalué une élève dans un commerce d’Aubervilliers, j’attendais sur un banc, au bord du canal la navette fluviale quand une voix douce me sortit de ma rêverie :
– Donne-moi un euro !
Je regardais la jeune fille. L’échange qui suit fut ponctué de très très longs silences.
– Quel âge as-tu ?
– 11 ans.
– Où sont tes parents ?
– Ils sont partis.
– Ah ?
– Tu es toute seule ?
– Non… je suis avec mon frère.
– Où est-il ?
– Il fait la manche au MacDo, là-bas.
– Quel âge a-t-il ?
– Il a cinq ans.
– Où vis-tu ? Dans les campements ? Avec des connaissances de ton pays ?
– Non.
– Tu dors où ?
– Là où tu es.
– Et la police ne t’a pas emmenée avec ton frère ?
– Non.
– C’est pas possible ça !!
– Si.
– Depuis quand ?
– Un an.
Je laissai passer la navette.
– Et toi quel âge as-tu ?
– 57 !
– C’est pas possible ça !
– Si, je vais les avoir après-demain. Tu parles bien le français dis donc.
– Je suis allée à l’école un an.
– Et tu n’y vas plus ?
– Non, pas depuis que mes parents sont partis.
– Partis où ?
– Ils sont retournés en Bosnie
– Et toi tu voudrais retourner en Bosnie ?
– Oui… Je ne sais pas comment y aller.
– Mais c’est incroyable ce que tu dis ! Tu me dis la vérité ? !!!
– Oui.
– Tu n’es pas en train de me raconter des histoires ? Tu me mens ?
– Non… Pourquoi je te mentirais ?
– Je ne sais pas… Tu ne veux pas que je vous emmène au commissariat ? Vous pourrez dormir dans un foyer ou à l’hôtel et puis tu irais à l’école. J’ai des élèves comme toi dans mes classes.
– C’est grand ton école ?
– Oui. Mille élèves.
– Donne-moi un euro.
– Tu as besoin que je vous emmène à la police.
– À trois heures j’irai.
– Pourquoi à trois heures ?
– Je dois acheter une veste pour mon frère, il a froid…
– C’est cher une veste !
– Regarde, il y a Tati, j’ai vu une veste à cinq euros… Après j’irai à la police… J’irai à trois heures.
– À trois heures je ne peux pas vous emmener, je dois reprendre le travail. Tu sais où est le commissariat ?
– C’est loin.
– Non !
– Je n’ai pas de quoi … le bouze.
– Quoi ?
– Le bouze.
– Quoi ? La blouse ?
– Non, le bouss.
– Ah, tu n’as pas de quoi prendre le bus !! Mais ce n’est pas loin, on peut y aller à pied. Tu as besoin d’être protégée, d’être accompagnée d’adultes.
– Qu’est-ce que c’est, adulte ?
– Un adulte est une grande personne, tu es une enfant toi, tu ne dois pas rester seule. Mais comment fais-tu pour te laver ?
– Je vais à Crimée. À Crimée, on a la douche gratuite une fois par semaine. Le samedi.
– Hmmh… C’est pas une vie ça !
– Non. C’est pas une vie…
– Des hommes vont te proposer de te prostituer, des gens peuvent t’encourager à te droguer…
– Oui, des hommes souvent. Je cours très vite.
– Non non, je dois vous emmener.
– À trois heures.
– C’est pas un euro dont tu as besoin, c’est de changer cette situation.
– Oui. Tu vois la dame qui vend des choses par terre, elle nous donne à manger.
– Ah, tu connais quelqu’un ?
– Oui.
– Elle est de ta famille ? De ton pays ?
– Non.
(J’ai laissé passer deux navettes) je dois prendre celle-là car j’ai des rendez-vous.
Oui.
… Je me dirigeais vers la file pour la navette, elle s’éloignait et, montant dans le bateau, elle se rapprochait pour me montrer son petit frère. Elle me fit signe de la main que je lui rendais.
Regardant le soleil et les sillons dans l’eau, mille pensées et émotions se bousculaient. Je décidai de revenir, ce weekend.
Laisser un commentaire