Un régulateur, Une banque, Une VaR et une seule (I) Le dilemme des grandes banques, par Bruno Iksil

Billet invité. Bruno Iksil est l’auteur ici de « Bruno Iksil, surnommé « La baleine de Londres », nous dit ce qui s’est vraiment passé ». Il nous offre ici un nouveau feuilleton sur le contexte de ces événements.

En 2017, la population mondiale est de 7.5 milliards d’individus et le
G7 (USA, Royaume-Uni, Japon, Allemagne, Canada, France, Italie) en représente 10% au plus.

Les régulateurs sont confrontés à un dilemme spécifique avec les grandes banques

Le régulateur historique de tutelle de JP Morgan était la Réserve Fédérale depuis 1913. Il avait autant à cœur de garantir la solidité de la banque que sa capacité à produire des bénéfices satisfaisants. L’un n’allait pas sans l’autre pour une banque cotée sur les marchés financiers. Le dilemme était évident dès 1907 : si le régulateur ne faisait rien, tôt ou tard les marchés prendraient peur et ce serait la panique. Mais voilà, si une critique formulée contre une banque entamait son image de marque, cela affecterait sa valorisation en bourse et ses profits futurs, ce qui appellerait donc des provisions plus importantes, ce qui fatalement enfoncerait un peu plus la profitabilité de la banque, etc. La mise sous tutelle ou la faillite expéditive devenaient trop vite la seule alternative ensuite. Le régulateur risquait de déclencher ce qu’il redoutait le plus… Le dilemme avait conduit à un scandale majeur entre 1929 et 1933 (cf. l’affaire George et Richard Withney, ainsi que la commission Pecora). Le problème se solda par la loi Glass-Steagall entre autres, la création des grandes agences de refinancement comme Fannie Mae ainsi que la création de la SEC (Securities and Exchange Commission) en 1934.

En 1992, la SEC prend en main le risque que les produits dérivés font courir aux banques (et aux marchés par voie de conséquence) dans la droite ligne des enseignements de la Grande Dépression. Elle fait la promotion du ‘mark to market’ [cote-au-marché]. C’est simplement un consensus sur les prix, point de départ indispensable avant de définir les provisions qu’il est prudent de maintenir en prévention des crises.

Comment déterminer ces calculs projectifs et donc assez spéculatifs en soi sur le plan intellectuel ? JP Morgan fait la promotion de la VaR [Value at Risk] qui rapidement devient la pierre de touche de ces calculs de réserves à prendre au détriment des profits et des actionnaires. La VaR, au-delà du chiffre brut qui la résume, sert en effet de révélateur du risque majeur de liquidité, que les mathématiciens appelleraient plutôt « risque de corrélation ». Ce risque là peut prendre d’autres noms : concentration, visibilité, peur panique, incertitude des prix, réaction en chaîne, dilemme du prisonnier…

Le problème alors pour la banque autant que pour le régulateur se manifeste dans ce que le jargon financier appelle « la consommation de la VaR ». C’est bien moins le chiffre de la VaR que ce qui le constitue qui compte. On regarde surtout comment cette VaR représente effectivement au jour le jour l’exposition de la banque sur les marchés. En effet, si la banque affiche une VaR très supérieure au risque de valorisation qu’elle constate a posteriori au jour le jour par son « mark-to-market », cela signifie que la firme s’expose indûment. Elle devra réduire la voilure ou bien améliorer son « mark-to-market » qui s’avère imprécis, voire faire les deux à la fois. Dans un cas comme dans l’autre, c’est un désaveu suprême pour une banque de renom : elle ne maîtrise pas ses risques et/ou ne maîtrise pas son processus de valorisation.

En outre, si la banque ne dégage pas assez de profitabilité sur la VaR qui est effectivement consommée, ce sont les actionnaires qui la lâcheront bien vite pour des firmes affichant de meilleurs ratios. Et les régulateurs ne veulent pas hériter d’une telle situation où une firme de grand renom se trouve en désamour structurel avec les investisseurs. Car alors ils doivent s’occuper activement de lui trouver un point de chute. C’est là la grande leçon de la Grande Dépression : le secteur bancaire n’est pas un secteur de l’économie comme les autres même s’il est côté en bourse comme les autres. Depuis ce temps, les marchés se sont modernisés et étendus… Mais le dilemme persiste.

(à suivre…)

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