Billet invité.
Si une allocation universelle, dans une de ses versions de gauche, était mise en œuvre, cela amènerait très probablement une grande avancée sociale et une modification profonde des rapports de force au sein d’une société industrielle dite avancée. Cependant, la réalisation d’un tel bouleversement devrait franchir bien des obstacles avant se voir concrétiser : freins psychologiques, mise en cause d’intérêts égoïstes, mutations de la fiscalité rendant le système finançable.
C’est pourquoi, Paul Jorion propose d’aller progressivement vers le don inconditionnel qu’implique l’allocation universelle [1]. Cette option consiste à rendre gratuits, ou quasi gratuits, les biens essentiels, ceux qui sont garants d’une vie digne dans nos sociétés modernes. En fait, c’est déjà le cas grâce à la sécurité sociale et à certaines conquêtes réalisées dans les régimes sociaux-démocrates : les soins de santé ou l’enseignement sont aujourd’hui largement financés par la collectivité et ceux qui en usent ne doivent payer qu’une très faible partie du coût réel, parfois sous forme de ce qu’on appelle un « ticket modérateur » destiné à empêcher des excès que l’apparente gratuité laisserait se développer.
Elargir ce principe à d’autres biens de première nécessité, comme l’eau, l’énergie, un logement correct, la culture, une mobilité minimale, voire une alimentation de base… est une proposition faite notamment par les défenseurs de la décroissance. Au lieu d’une allocation monétaire, on donnerait ici à tous, sans condition de revenus, la capacité d’accéder quasi gratuitement à ce que requiert une vie digne dans une société déterminée. Cela aurait comme inconvénient de brider la liberté du receveur : il ne pourrait consacrer ce « cadeau » à des biens qu’il considère lui comme nécessaires (un écran plat, un parfum de luxe, le dernier smartphone… ?) mais seulement à ce que la communauté dans laquelle il vit considère comme bon et utile. Par contre, cela présente le grand avantage d’être susceptible d’être mis en place pas à pas, faisant prendre conscience qu’il y a d’autres façons d’échanger que le donnant-donnant, le contrat monétaire cher au système marchand.
Les objecteurs de croissance ont attribué à ce système le peu compréhensible nom de « dotations inconditionnelles d’autonomie » mais, en dehors de ce cercle, l’idée se répand peu à peu.
La réalisation concrète de la gratuite peut encore être plus progressive et même autofinancée : par exemple, comme cela a été réalisé en Région bruxelloise, fixer le prix de l’eau de distribution en 4 tranches progressives suivant la consommation, la première quasi gratuite pour les usages minimaux et puis de plus en plus chère, de sorte que les gaspilleurs (en général les nantis) qui atteignent la 4ème tranche financent le cadeau fait aux petits consommateurs. Ce système social et écologique (dissuasion de la surconsommation d’un bien de plus en plus rare) permet d’entrer sans choc brutal dans la logique du don/contre-don que défendent depuis longtemps les partisans de l’anti-utilitarisme regroupés au sein du MAUSS [2].
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* LE BLOG DE PAUL JORION A 10 ANS : Un bilan – Retranscription, le 24 février 2017 : « Maintenant, quand on parle de revenu universel, je préfère parler moi de gratuité pour l’indispensable… »
[1] Dans La Libre Belgique, Le moment serait-il venu d’être socialistes ?, le 7 septembre 2016, dans Se débarrasser du capitalisme est une question de survie (Fayard 2017 : 13-14) et dans Vers un nouveau monde (Solidaris – Renaissance du livre 2017 : 104-110).
[2] MAUSS, Mouvement anti-utilitariste en sciences sociales, acronyme du nom de Marcel Mauss, l’anthropologue qui dans Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques (1923-1924), a montré que certaines sociétés humaines ont fonctionné en suivant la logique du don.
@Pascal (suite) Mon intérêt pour la renormalisation est venu de la lecture d’un début d’article d’Alain Connes*, où le « moi »…