rtbf, La Première, Jour première, Paul Jorion : L’état du socialisme, le lundi 19 juin à 8h30
Mes propos ont très largement été retranscrits dans rtbf : « Le Parti socialiste français est mort »
Le PS français vient de se prendre une claque historique. Il y a cinq ans, il occupait encore 284 sièges à l’Assemblée nationale. Aujourd’hui, il n’en a plus qu’une trentaine. Est-ce le signe d’un déclin généralisé pour les formations socialistes en Europe?
Les socialistes payent la présidence de François Hollande
Le journaliste Marc Sirlereau a suivi pour la RTBF ces élections françaises. Il explique: « C’est sans doute le plus mauvais résultat de la gauche française depuis des décennies. Mais au sujet du PS, il faut bien dire que c’était prévu depuis des mois. Ça s’était déjà confirmé lors du premier tour de la présidentielle, avec les 6 % de Benoît Hamon. Ce dimanche, le PS a reçu une nouvelle gifle avec 30 sièges sur 577. Les socialistes payent la présidence jugée ratée de François Hollande et la division du parti entre les frondeurs. C’est-à-dire ceux qui veulent rester fidèles au PS, ceux qui se disent prêts à aider Emmanuel Macron et ceux qui sont déjà partis chez Emmanuel Macron ».
Toutefois, dans cette lourde défaite « tout le paradoxe est de voir qu’il y a quand même un nombre important de députés d’En Marche qui viennent du PS, à l’image des ministres d’Emmanuel Macron. On peut citer Gérard Collomb, l’ancien maire de Lyon, Christophe Castaner ou Richard Ferrand qui incarnait l’aile droite du PS. »
En France, tout va vite
Alors quel avenir pour le PS français? « Pour l’instant, c’est très flou, » explique Marc Sirlereau, « ce qu’il faut quand même dire, et on l’entend un peu partout du côté des militants socialistes, il faut redéfinir une ligne politique claire au PS, ce qui va arriver par la suite. Ce fut tout le problème du quinquennat de François Hollande. Il n’y avait plus de ligne, mais un grand écart permanent entre le courant Hamon-Montebourg à la gauche du parti et le courant social libéral qui a suivi Emmanuel Macron. Donc, sur cette base-là, le PS doit se reconstruire. Comment ? Il y a des courants qui sont déjà annoncés, des nouveaux groupes qui vont se créer, avec Benoît Hamon, d’autres avec Christiane Taubira ou Anne Hidalgo, la maire de Paris. Ca part donc un peu dans tous les sens. Ce qu’on peut dire, c’est que la page du PS, sous sa forme actuelle, est sans doute tournée. Et ce, alors qu’il y a 5 ans, le Parti socialiste contrôlait quasiment toute la politique française. Comme quoi Emmanuel Macron doit faire attention, en France tout va vite ».
Monsieur Hollande n’est pas parvenu à avoir une politique et il a discrédité le parti socialiste
De son côté, l’anthropologue et sociologue Paul Jorion explique: « La principale cause, c’est la présidence véritablement calamiteuse. On n’a jamais vu ça dans l’histoire française, à quelques exceptions près. Monsieur Hollande n’est pas parvenu à avoir une politique et il a discrédité le parti socialiste. Ceci dit, comme il a aussi été dit, ce parti était fracturé depuis longtemps, depuis les années 70. Quand il y a eu la grande vague libérale, il y a eu une partie du Parti socialiste français qui s’est libéralisé et qui suit maintenant Monsieur Macron. Il y a aussi l’autre partie qui n’a jamais pu prendre véritablement une identité, il y a une petite tentative effectivement avec Monsieur Hamon, il y a beaucoup de gens qui sont partis pour suivre la France insoumise de Monsieur Mélenchon. Le Parti socialiste français, à mon avis, est mort. »
Par ailleurs, souligne Paul Jorion les politiques dites de droites appliquées par Hollande ont joué un rôle: « Il y a une très grande déception quand Monsieur Hollande, au discours du Bourget, dans sa campagne électorale, a dit ‘mon ennemi, c’est la finance’ et puis s’est couché vraiment devant les milieux financiers d’une manière qui a vraiment désarçonné les gens qui avaient voté pour lui parce qu’il tenait ce genre de propos. Les électeurs du PS ont été trahis en 2012 et ils l’ont fait payer par la suite. La plupart, ce n’est même pas en allant voter pour d’autres partis, mais c’est en restant chez eux. Avec le 56 % d’abstention hier, on peut dire que la plupart des socialistes français, les gens qui pensent encore au socialisme sont restés à la maison, c’est simplement ça l’explication ».
Et en Belgique?
Cette débâcle peut-elle préfigurer celle du Parti socialiste belge francophone ? « Il y a une chose qui est vraie pour tous les partis socialistes européens, c’est qu’ils se sont véritablement fracturés entre une droite et une gauche. La fonctionnarisation et la professionnalisation de la politique conduisent à ces drames qu’on voit, c’est-à-dire que les gens ne savent plus pourquoi ils sont dans un parti, que leur comportement ne reflète absolument pas les engagements qu’ils ont faits au niveau des idées et on se partage les petits sous qu’on trouve ici et là. C’est lamentable ! On avait vu un peu une préfiguration, ça peut être dans l’engouement de la jeunesse américaine pour Monsieur Sanders, il faudrait faire venir un nouveau type de personnes dans la politique, mais pour ça il faudrait déprofessionnaliser très fort le métier de représentant, de parlementaire, de sénateur. »
Les partis socialistes, sous leur forme actuelle, sont-ils donc amenés à disparaître ? « Il me semble qu’ils sont tous fracturés parce qu’il y a eu un glissement et, effectivement, une partie des gens qui se disaient socialistes se sont en fait converti à un libéralisme, qui n’est pas un libéralisme de choc, mais qui est un libéralisme de fait d’accepter cette logique que les salaires sont la seule variable d’ajustement, que quand la croissance est inférieure au taux d’intérêt qu’on imagine, il faut donner de toute manière aux rentiers, qu’on va puiser ça dans les salaires parce que c’est le seul endroit où on peut le trouver. Quand les gens du parti socialiste acceptent ce genre de raisonnement, ils trahissent l’idée même de socialisme. »
Il faut qu’on réexamine l’idée du socialisme
Pour Paul Jorion, si Elio Di Rupo veut redresser le PS belge, « il faut qu’il y ait des nouvelles idées. Il faut qu’on revienne, il faut qu’on réexamine cette idée de socialisme. L’idée de socialisme, c’est une idée excellente, elle est liée à l’idée de l’État providence, qu’on ne devrait jamais appeler comme ça parce que c’est péjoratif, mais cette idée que les salariés ont droit comme les autres au partage d’une richesse, qui est une richesse énorme. Et la disparition de l’emploi, du travail va encore rendre les choses plus aiguës et les salariés seront dans des positions de plus en plus difficiles en raison de la mécanisation, de l’automatisation. Il faut repenser le schéma de notre société, que tout le monde puisse vivre ensemble, sinon on va vers une société entièrement séparée, avec des riches qui voudront se débarrasser des pauvres, qui sont là simplement pour encombrer les rues. »
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