Billet invité. Ouvert aux commentaires.
La diffusion de l’Ode à la joie de Beethoven au Louvre le soir de l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence peut être comprise comme un symbole d’adhésion à l’Union européenne. Ce choix contrastant avec la multitude de drapeaux tricolores qui étaient agités pendant que cet hymne était diffusé et que le président élu marchait seul vers la tribune où il allait s’exprimer in vivo face à ses supporters. Mais ce choix ne va-t-il pas au-delà d’une référence à l’inscription politique et culturelle de la France dans l’Europe ? Ce show s’est fait dans un site lieu d’une pyramide…, tout proche du palais des Tuileries qui furent aussi la résidence du premier consul à partir de 1800, puis de l’Empereur. Et Beethoven a été, un temps seulement, un admirateur de Bonaparte. Il dédia sa Symphonie héroïque à celui que l’on a qualifié de ni monarchiste, ni républicain… ou de mi monarchiste, mi républicain. Son adulation cessa quand celui-ci se fit couronner empereur, rompant ainsi avec les espoirs démocratiques qu’avait portés la Révolution française. La comparaison avec Emmanuel Macron a été faite par son parcours fulgurant dû à son âge, puisqu’on doit remonter à Bonaparte pour trouver un chef d’Etat français plus jeune que le nouvel élu. Les historiens pourraient aussi insinuer que ce sont des banquiers qui financèrent le coup d’État du 18 Brumaire et rappeler que ceux-ci furent récompensés par la création de la Banque de France. Ils en devinrent les actionnaires et elle bénéficia du monopole de l’émission des billets de banque (dans un premier temps à Paris seulement).
La comparaison ne limite sans doute pas à la jeunesse de celui qui prend les rênes du pouvoir et à sa proximité avec le monde financier. Dans son discours au Louvre, le président élu a affirmé vouloir étonner à nouveau l’Europe et le monde par les réformes qu’il souhaite entreprendre. N’est-ce pas ce que promit et fit Bonaparte ? Et son audace fut aussi sa volonté de rompre avec les conflits entre factions politiques du Directoire qui paralysaient le pays. Il entreprit des réformes institutionnelles qui marquèrent la France pendant des décennies, et inspirèrent bien au-delà de ses frontières et de son temps. Et nous en sommes en partie encore les héritiers.
Mais, la comparaison s’arrête sans doute là.
Bonaparte, dans un premier temps, s’était entouré de nombreux savants, comme il l’avait fait pour sa campagne d’Egypte où 165 savants et ingénieurs l’avaient accompagné ; savants en particulier réunis dans le mouvement désigné comme celui des Idéologues. On trouve aujourd’hui autour d’Emmanuel Macron beaucoup de gestionnaires, respectables certes, mais dont l’ambition dans le renouvellement intellectuel paraît limitée. Il s’agit surtout, selon leur propre expression, d’adapter le pays. Et en particulier aux principes de la concurrence et au moule néolibéral qui met les États au service des marchés. Les intellectuels qui le soutiennent sont surtout connus pour avoir médiatisé les idées d’autres ; mais pas non plus pour leur caractère innovant. Rien de nouveau, si ce n’est l’affichage d’un ni gauche, ni droite. Peu de choses à voir par exemple avec les débats qui portèrent au pouvoir François Mitterrand trente-six ans plus tôt.
Parmi les multiples idées nouvelles actuelles, qui rompent avec les XIXe et XXe siècles, il y a celles qui dépassent l’opposition Marché/État pour reconnaître et développer des communs gérés notamment par la société civile. Celle-ci n’y est pas réduite au rôle de roue de secours pour compenser les dégâts de la libre concurrence et de la bureaucratie. La faible attention que le nouveau président manifeste aux questions de transition énergétique par exemple ne fait qu’illustrer cette lacune. Mais la problématique des communs ne se limite pas au champ environnemental puisqu’elle peut s’appliquer aussi à la propriété intellectuelle et du vivant et jusqu’à la finance et la monnaie. Cette révolution des communs est absente de sa pensée idéologiquement tragiquement datée.
Enfin, limite plus forte encore d’une comparaison entre Bonaparte et Macron : leur rapport à la démocratie. Le premier n’avait pas à rechercher une majorité parlementaire démocratiquement élue pour appliquer ses réformes, ni à se soucier d’une future réélection pour pérenniser et poursuivre ses réformes au-delà d’un quinquennat. Il agissait en tant que despote éclairé. Le nouveau président, avec la recherche d’une légitimité des urnes peut être considéré comme démocrate. Mais la vision d’un monde bipolaire opposant une majorité à ses opposants apparaît elle aussi tout aussi datée. Ne méconnaît-elle pas l’enrichissement contemporain du concept de démocratie fondée non pas seulement sur des consultations avant de décider mais sur la reconnaissance de la contestation et de l’opposition des minorités afin de parvenir à des réformes en profondeur se faisant avec (et non pas contre). Cela implique par le dialogue l’ensemble des parties prenantes. N’est-ce pas d’ailleurs la façon la plus efficace de gérer un commun par une subsidiarité ascendante allant du local au global. L’enquête par porte à porte auprès des Français par les militants du mouvement En Marche ! est certes innovante mais n’est qu’un sondage d’opinion nouvelle manière. Elle n’a rien d’une cogestion des intérêts a priori contradictoires. La retransmission de la marche d’un homme seul vers la foule assemblée dans la cour du Louvre n’augure pas d’un tel changement et d’une telle modernité… qui pour le coup aurait bien pu étonner l’Europe comme Bonaparte le fit en un autre temps. De façon contradictoire, il veut instituer la négociation interne aux entreprises. Mais, pour y parvenir… l’imposer par ordonnances.
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