Billet invité. Ouvert aux commentaires.
A vrai dire je ne pensais pas que mon billet susciterait autant de réactions. Je n’y suis pas très habitué. J’ai demandé à Paul Jorion de pouvoir y répondre car j’ai senti au-delà d’un intérêt pour le thème un certain scepticisme chez pas mal de commentateurs. Je connais assez bien les arguments qui sont avancés : « la participation c’est la collaboration de classes » et « dans tout ça qu’est-ce que vous faites du capitalisme et de la concurrence forcenée qui ont envahi la planète ? »
En envoyant le billet à Paul Jorion sur la question taboue du partage du pouvoir au sein de l’entreprise je ne pensais pas proposer LA SOLUTION pour régler les problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui. Toutefois au-delà d’une doctrine construite qui est un préalable indispensable je pense qu’il faut bien … commencer par quelque chose sachant que je suis intiment convaincu que cette question du partage du pouvoir dans le monde économique est un passage obligé pour modifier en profondeur la situation inique que les salariés subissent aujourd’hui. On ne peut pas simplement s’en tenir à un discours général sur la nécessaire révolution et « la critique du système » et apostropher ceux qui proposent des pistes concrètes pour commencer à déblayer le terrain.
Changer en effet les rapports de pouvoir au sein de l’activité quotidienne principale de millions d’hommes et de femmes c’est amorcer un vrai changement dans les rapports sociaux et contribuer à la poursuite de l’objectif d’émancipation qui est à la source de tout projet politique. C’est aussi s’attaquer à un des attributs du droit de propriété « l’abusus » qui, faut-il le rappeler, est un des fondements du capitalisme.
Notons d’ailleurs sur ce point le discours réitéré d’Emmanuel Macron lors de débats télévisés et de rencontres lors de conflits sociaux avec les salariés (Whirlpool et Pentair) concernant le rappel du nécessaire respect du droit de propriété des entreprises et des multinationales en l’espèce, montrant par là même son incapacité et sa volonté à ne pas faire la différence entre le droit de propriété lié à un bien issu du travail personnel (maison d’habitation, automobile) et un bien issu de l’appropriation privative d’un travail social et collectif dont les décisions unilatérales peuvent avoir des conséquences incalculables pour des milliers d’hommes et de femmes.
Voilà pourquoi je suis également très dubitatif lorsque j’entends qu’il faut revenir à l’état initial avant la Loi El Khomri comme si la situation antérieure était satisfaisante du point de vue des relations sociales dans l’entreprise.
Et puis je suis bien obligé en 2017 de constater surtout dans le monde économique que l’article 1 de la déclaration des Droits de l’homme et du citoyen est toujours mis à mal et que malheureusement nous n’avons pas vraiment avancé d’un pouce depuis désormais une quarantaine d’années.
La déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 reconnait l’égalité des droits en effet. Ce droit fondamental est le premier auquel se réfère d’ailleurs expressément notre Constitution dans son préambule
« Les êtres humains naissent et demeurent libres et égaux en droits. »
Or on ne peut constater que dans le monde de l’entreprise il y a deux types d’hommes ce qui fait que cette réalité rentre en contradiction d’une manière irréductible avec ce principe fondateur de notre société. Je veux donc aussi dire par là qu’il y a des moyens juridiques sur lesquels on peut s’appuyer pour modifier ce rapport déséquilibré inacceptable. Au-delà de cet article fondateur il y a également comme je l’ai indiqué dans mon billet du 4 mai dernier l’article 8 du Préambule de la Constitution de 1958 qui a valeur constitutionnelle. J’ai d’ailleurs envoyé aux représentant syndicaux de Whirlpool une réflexion juridique sur ce sujet « Et si les licenciements de Whirlpool étaient entachés d’inconstitutionnalité ? » (cf mon blog sur Médiapart).
Par ailleurs si j’ai souhaité écrire ce billet, c’est aussi pour montrer la formidable régression de la pensée opérée depuis les années 70. Il suffit de relire comme je l’ai fait ces derniers mois l’historique du conflit social emblématique des « Lip » de Besançon, les analyses et les réflexions pointues sur les projets du socialisme autogestionnaire et de la planification démocratique promus par la CFDT de l’époque et se rendre compte – j’allais dire avec effroi – que les vraies questions politiques ont été mises sous le boisseau alors qu’en parallèle une imprégnation au goutte à goutte du discours libéral se diffusait au sein de la société toute entière avec l’argument imparable de « faire tomber les archaïsmes » .
Même la participation avancée par De Gaulle et les Gaullistes de gauche allait beaucoup plus loin que le « pipi de chat » que l’on nous présente aujourd’hui. Je ne résiste pas d’ailleurs à citer deux extraits de discours du Général sur ce thème lesquels permettront de mieux mesurer l’imposture de ceux qui se réclament de lui aujourd’hui
« Peut-être pour mettre en route la société moderne avec ses forces économiques, sa grande industrie, son développement rapide, voire effréné, fallait-il en passer par le capitalisme. Mais je dis formellement que cette époque est révolue ». (12 octobre 1952)
« Nous ne considérons pas que le salariat, c’est-à-dire l’emploi d’un homme par un autre, doive être la base définitive de l’économie française ni de la société française. Cela, nous ne l’admettons pas ». (31 août 1948)
« Il faut avoir l’intelligence et le courage d’effacer cet opprobre, de tarir cette source de révolte, d’abolir le salariat ». (25 septembre 1949)
Bref pour utiliser une métaphore je m’attaque, à mon échelle, au 1er étage d’une fusée sachant que je laisse le soin à d’autres de s’attaquer … aux autres étages. Paul Jorion le fait très bien pour « sa partie » et ce pour arriver à une proposition alternative cohérente et globale. Je pense en particulier à la nécessité de prévoir une planification écologique pour fixer les grandes orientations du pays et à l’impérative obligation de combattre cette « violence blanche » que représente l’hyper-concurrence incompatible avec le respect des équilibres sociaux et écologiques.
Et puis je terminerai mon propos par une touche plus personnelle. Si en effet j’investis autant de temps dans cette problématique c’est sans doute aussi parce que j’ai été « touché dans ma chair » à 52 ans en 2004 pour avoir subi un licenciement inique et ce pour avoir simplement demandé une représentation des salariés au sein du conseil d’administration de l’entreprise dans laquelle je travaillais.
Voilà, je m’arrêterai là car je sens que j’ai déjà un peu abusé de votre attention.
Trégueux le 10 mai 2017
PS : Juste un petit mot aussi concernant la subordination qui caractérise le contrat de travail. Pour bien préciser les choses, je dirai que la participation aux décisions dans tous les domaines de l’entreprise, c’est la contrepartie consubstantielle à la « subordination fonctionnelle » qui existe dans toute structure collective pour réaliser l’objet social.
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