La Libre Belgique, Faut-il taxer le travail des robots ? le 30 mars 2017

Faut-il taxer le travail des robots ?

Oui – Paul Jorion, anthropologue, blogueur et essayiste belge.

« Les sommes récoltées à l’aide d’une « taxe robots » permettraient de soutenir la reconversion des salariés licenciés en vue de retrouver un job lié au numérique. Et aussi de soutenir financièrement, sur le long terme, ceux qui ne retrouveraient jamais d’emploi. »

Non – Marc Lambotte, CEO Agoria (Fédération de l’industrie technologique).

« Ce serait contre-productif. Taxer les robots ferait fuir des entreprises et de nombreux jobs vers d’autres pays. Les robots vont justement nous aider à créer plus de valeur et d’emplois à la clé. »

Vous l’affirmiez pour la première fois dans une chronique en 2012, et vous le répétez depuis lors : alors que les projections sur les vingt ans à venir évoquent, selon les pays et selon les secteurs d’activité, une disparition de 30 % à 70 % des emplois, il serait bon de mettre en vigueur une taxe sur la valeur ajoutée créée par les robots, logiciels et autres algorithmes qui remplacent, et continueront de remplacer, les salariés dans ce qui était leur emploi. Pourquoi défendez-vous une telle “taxe robot” ?

Il faut bien penser qu’au fur et à mesure que les robots remplacent, et continueront de remplacer, les salariés dans le travail qu’ils exerçaient, de plus en plus d’emplois vont disparaître. Or, une partie des salaires attachés à ces emplois ainsi que les charges patronales étaient jusqu’à présent redistribués ensuite à la collectivité. Sans cela, on peut dire adieu à la Sécurité sociale. Pire, comme l’imagine l’essayiste américain Peter Frase, les classes dirigeantes risquent de se désintéresser complètement de ces gens qui auront été remplacés par des robots ou des algorithmes : ils constitueront des masses inutiles, voire menaçantes. Enfin, l’idée n’émergerait-elle pas qu’il serait temps de s’en débarrasser ? Peter Frase évoque cette “solution finale” sous le néologisme d’“exterminisme”.

Loin de dresser un tableau aussi pessimiste, certains pensent qu’au contraire, la robotisation va créer des nouveaux emplois, comme l’apparition de l’ordinateur en son temps. Qu’en dites-vous ?

Il n’y a pas un seul fait qui supporte cette hypothèse. Ces gens se réfèrent à la “destruction créatrice” telle que l’aurait théorisée Joseph Schumpeter. Mais c’est un malentendu. On comprend mal cet économiste, qui reprenait au contraire cette notion chez Karl Marx pour dire qu’un jour, il n’y aurait plus d’emploi.

Dans les années 60 et 70, tout de même, tandis qu’on détruisait des emplois dans l’industrie, on créait autant d’emplois dans le secteur des services…

Dans ce cas-là, ce qu’on met entre parenthèses, c’est qu’il était relativement facile de former des gens qui partaient de l’industrie, des ouvriers par exemple, pour qu’ils puissent exercer des boulots de type services. Ces formations prenaient quelques semaines, au maximum quelques mois. Mais, maintenant, si vous détruisez des emplois dans les services, il ne serait pas aussi facile de reconvertir, par exemple, des caissières en programmeurs informatiques. Tous les gens qui travaillent dans les services n’ont pas la qualification, ou le talent, pour devenir programmeurs, ni même pour effectuer de la maintenance informatique. Cela demanderait des années de formation. Sans compter qu’il n’y aurait de toute façon pas assez de boulot pour tout le monde. Regardez les chiffre des grandes compagnies qui créent actuellement énormément de richesse et qui sont rachetées plusieurs milliards dollars, Snapchat et autres. Regardez les grands laboratoires de génie génétique au chiffre d’affaires là aussi en milliards de dollars : ils n’utilisent que peu de personnel, disons plusieurs centaines de personnes. Cela n’a rien à voir avec les usines automobiles d’autrefois qui employaient des milliers de personnes.

Est-ce possible de taxer les robots ? Ne serait-il pas plus commode de taxer davantage les hauts revenus ou bien le capital ?

Non, les gens riches ont des moyens d’échapper à l’impôt, ainsi que celui de décourager l’instauration d’une taxation des hauts revenus, il vaut mieux taxer la richesse créée en tant que telle, de la même manière que l’on soumet à l’impôt les salariés que les machines remplaceront. Dans le même ordre de grandeur.

Si c’était aussi simple, pourquoi la proposition de taxer les robots, qui est notamment présente dans le programme du candidat PS à l’élection française, ne fait-elle pas l’unanimité ?

Il y a en général une forte collusion –  ou une harmonie préétablie, c’est comme vous préférez  – entre les personnes les plus riches et les personnes qui accèdent aux hauts postes de gouvernement. Or, si vous demandez à des gens qui ont des privilèges s’ils préféreraient qu’on les leur enlève ou qu’on les leur laisse, ils choisiront en grande majorité la seconde option. C’est cela le problème de l’intérêt général : il est difficile de le faire émerger des intérêts particuliers des gens proches du pouvoir, il n’y a pas coïncidence entre les deux.

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  1. Mes yeux étaient las, bien plus que là, juste après l’apostrophe : la catastrophe.

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