Compte-rendu de Claude Simon, L’idéologie néolibérale : ses fondements, ses dégâts, Paris : TempsPrésent 2016, par Madeleine Théodore

Billet invité.

Le livre de Claude Simon, L’idéologie néolibérale : ses fondements, ses dégâts, est un ouvrage qui devrait circuler entre toutes les mains, tant la synthèse de l’auteur sur le passage du libéralisme à son contraire, l’ultralibéralisme, aussi bien que sa réflexion critique nous semblent importantes pour comprendre l’impasse de notre société, de plus en plus impénétrable et par là ingérable.

Poussé par une grande honnêteté intellectuelle, l’auteur nous présente les deux courants ainsi que leurs représentants au niveau philosophique, économique, politique, sans omettre un jugement pertinent sur les conséquences sociales actuelles des idées véhiculées.

Si le libéralisme a bien son origine dans l’idéal de liberté individuelle et de raison revendiqué par des humanistes comme Voltaire et Adam Smith lui-même, l’ultralibéralisme en garde les valeurs centrées sur l’individu mais en accomplissant un total revirement, refusant le rôle de la raison, par le biais de son principal concepteur : Friedrich von Hayek, et du disciple le plus éminent de celui-ci : Milton Friedman.

Prenant comme principe que l’homme est atomisé, qu’on ne peut prédire son devenir ni celui de la société, inexplicables, ces économistes, tous deux glorifiés par le « prix Nobel d’économie » (Prix de la Banque de Suède à la mémoire d’Alfred Nobel), remettent finalement le destin de l’espèce humaine entre les mains du hasard, Hayek étant traumatisé par ce qu’il appelle le « planisme », caractéristique des régimes aussi bien communiste que fasciste et qu’il n’hésite pas à attribuer à l’Angleterre des années 1920, traitée par lui de « totalitaire ».

Ainsi le libéralisme, certes injuste dans sa conception des rapports sociaux, mais source cependant de l’État-Providence, s’est mué en un cataclysme depuis les années 1980, qui n’a pas fini de nous détruire. En effet, s’installent au pouvoir au cours de cette décennie, des politiciens de tendance ultralibérale, tels Ronald Reagan, Margaret Thatcher, dont le programme va aboutir à une domination de la finance sur toutes les institutions. Il s’agit pour eux de réduire l’importance du secteur public, celle des taux marginaux d’imposition, de lutter sans concession contre les syndicats des salariés. On assiste à ce moment au développement des marchés, au niveau des entreprises qui bénéficient de la suppression des monopoles publics, de l’ouverture des frontières mais sont soumises au monde de l’argent qui les oblige à se financer elles-mêmes en recourant à l’émission d’obligations et d’actions. Au niveau des travailleurs, ce pouvoir accru des marchés va provoquer leur atomisation dans l’entreprise. Dès cette époque, les marchés vont faire la pluie et le beau temps sur l’ensemble de la planète grâce à l’absence de régulation.

Le laisser-faire, importante caractéristique du premier courant, s’est transformé en ce diktat des marchés financiers, supposés omniscients et efficients.

Au niveau international, la doctrine du libre-échange, boiteuse à l’origine du libéralisme car elle présuppose une égalité entre les pays, est devenue pour les entreprises multinationales le moyen de diriger les États, au nom de traités comme le TTIP ou de lois européennes comme le « secret des affaires », dont le principe est de mettre en garde contre le risque qu’il encourt, tout citoyen qui oserait critiquer une entreprise.

Le fameux contrat de droit napoléonien prôné par les libéraux, déjà injuste dans sa conception puisqu’il y était surtout question des rapports entre patrons et ouvriers, a engendré dans le deuxième courant notre exploitation quotidienne sans limites, suite à la flexibilité, à la baisse des salaires, à l’empêchement syndical.

Quant à la propriété privée, considérée comme sacrée depuis 1789, nous en subissons tous les jours certains effets néfastes tant au niveau de la propriété des moyens de production, nuisible aux travailleurs, qu’aux abus que cette propriété a engendrés dans notre milieu de vie lorsqu’une entreprise détruit notre environnement par recherche exacerbée du gain.

En conclusion, l’ultralibéralisme triomphant met à genoux les États, les entreprises et nous-mêmes.

Ses méfaits sont impressionnants : une inégalité de richesses jamais vue, la destruction de notre environnement, le risque encouru d’importantes vagues de migrations susceptibles de provoquer des conflits sans fin.

Si la situation est très grave, l’auteur insiste sur nos valeurs humaines à privilégier, comme celles de la réflexion, de la solidarité, et nous incite à nous montrer actifs en revendiquant une régulation des marchés ainsi qu’une définition internationale des droits de l’homme, intégrant toutes nos différences.

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