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Qui ne se souvient du poème de Bertolt Brecht « La solution » qui semblait, au moment où il fut écrit en 1953, résumer très justement toutes les tares qui affectaient le communisme de type soviétique ?
Après l’insurrection du 17 juin,
Le secrétaire de l’Union des Écrivains
Fit distribuer des tracts sur le boulevard Staline.
Le peuple, y lisait-on, a par sa faute
Perdu la confiance du gouvernement
Et ce n’est qu’en redoublant d’efforts
Qu’il peut la regagner.
Ne serait-il pas
Plus simple alors pour le gouvernement
De dissoudre le peuple
Et d’en élire un autre ?
Il suffirait sans doute, soixante-trois ans plus tard, de remplacer « boulevard Staline » par « boulevard de l’Union Européenne » pour que le poème du grand dramaturge allemand apparaisse comme une satire cinglante de la situation dans laquelle se trouve plongée l’Europe aujourd’hui.
Il est vrai que l’échec du referendum constitutionnel de M. Renzi en Italie est un problème purement italien, mais il n’est pas vrai hélas qu’un effondrement de la banque Monte dei Paschi di Siena, entraînant à sa suite d’autres banques italiennes, resterait un problème purement italien, et ce ne serait pas le cas non plus si l’échec du referendum propulsait vers le pouvoir en Italie des partis dits « populistes » comme 5 Stelle ou la Ligue du Nord.
Ce qui s’est passé en Italie le 5 décembre, comme le vote du Brexit britannique du 23 juin et la montée en puissance d’un nationalisme conservateur en Pologne et en Hongrie, constitue une expression de plus de la protestation que les peuples opposent à l’encontre de la manière dont la construction européenne a été menée depuis ses débuts, au sortir de la Seconde guerre mondiale. Si la critique se formule ainsi sur le mode de la colère plutôt que de la critique constructive c’est, diront certains, parce que tout au long de la construction européenne les dirigeants européens ont fait la sourde oreille avec une belle constance devant ce qui constituait précisément une critique constructive, laquelle était le plus souvent d’excellente qualité. « Créons un marché commun et le reste suivra ! », disaient-ils avec assurance. Le reste suivrait : c’était là leur justification pour ignorer toute critique.
Les marchands quant à eux ne se sont pas contentés d’applaudir à la mise en place du marché unique qu’ils avaient appelé de leurs vœux, ils ont aussi très activement mis des bâtons dans les roues à tout effort d’avènement d’une Europe sociale, d’une Europe solidaire, d’une Europe respectueuse de l’environnement, et ceci pour une simple raison que Donald Trump a résumée récemment d’une formule lapidaire : « Parce que tout ce bazar gênerait le commerce ! »
N’était-ce pas Friedrich Hayek (1899 – 1992), Prix de la banque de Suède à la mémoire d’Alfred Nobel en 1974, l’un des grands théoriciens de l’ultralibéralisme qui inspire la construction européenne depuis ses débuts, mentor de Milton Friedman (1912 – 2006), lui aussi « prix Nobel » d’économie deux ans plus tard, qui affirmera que « la notion de justice sociale est privée de toute signification » ? Faudrait-il vraiment, laissaient entendre ces idéologues, perdre un temps précieux à tenter de donner corps à une notion en réalité dépourvue de sens ?
Le résultat toutefois est devant nos yeux, nous rappelant une nouvelle fois la pertinence de la remarque faite autrefois par Keynes, que si obtenir un assentiment unanime sur nos projets de société est un objectif hors d’atteinte, laisser se développer un dissensus, fruit de la montée du ressentiment au sein de la couche la plus large de la population, c’est encourager à l’arrivée un démaillage du tissu social, une négligence coupable que nos dirigeants ne commettraient qu’à leurs risques et périls.
Que les élites européennes tentent de disqualifier le dissensus qui s’exprime avec colère en l’appelant « populisme » ou en le qualifiant de toute autre manière ne fait rien à l’affaire : il s’agit bien d’une chose dont il aurait fallu s’occuper quand les problèmes commençaient de se poser et non quand les difficultés se seraient accumulées jusqu’à devenir insurmontables comme c’est le cas aujourd’hui. Dit autrement : c’est à ceux qui affirment avec force être victimes de l’injustice sociale que les gouvernants devraient prêter attention, et non à ceux pour qui la notion même de justice sociale n’a aucun sens, le fait que la question de la justice sociale ne se pose pas pour les nantis allant en effet de soi.
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