Billet invité. De la même manière que je ne pensais pas durant la Guerre froide que le choix pour les pays européens devait être entre impérialisme américain et communisme soviétique, je ne pense pas qu’ils doivent aujourd’hui prendre modèle soit sur l’Amérique de Trump en préparation tonitruante, soit sur le Parti communiste chinois : il existe une troisième voie, qui n’est pas la moyenne des deux autres ! Mais voyons ce que vous en pensez : ouvert aux commentaires.
Bon voilà, c’est fait et ça commence très fort ! Donald Trump, pas encore intronisé dans ses fonctions, vient d’agresser la Chine en s’adressant, de chef d’État qu’il n’est pas encore à chef d’État qu’elle n’est pas en droit de prétendre être, à la Présidente de Taïwan.
De toute façon, la Chine a été dans son collimateur durant toute la campagne. Il l’a braillé, éructé, glapi, tweeté et re-tweeté : la Chine veut la perte des États-Unis et n’a pu aligner les succès économiques depuis vingt ans qu’en détricotant sans pitié maille par maille le tissu industriel américain ! Que cet individu dispose, d’ici une poignée de semaines, de l’interrupteur mettant en branle les bases militaires et en mouvement la flotte de guerre du Pacifique n’a rien de rassurant ! Surtout que les Républicains du Congrès, disposant enfin d’un Exécutif aussi boutefeu qu’eux et encore plus décomplexé, vont pouvoir entonner à cœur joie la même partition.
En fait la présidence de Donald Trump est une pochette à mauvaises surprises et l’on peut craindre après ce début en fanfare qu’elles ne s’avèrent à peu près toutes cataclysmiques à échelle mondiale ! Car, dans l’hypothèse où quelque conseiller, un peu moins barjot que lui, réussirait à le retenir par les basques au moment de déclencher la 3ème guerre mondiale, la planète ne respirerait pas pour autant. Et « respirer » est bien le cas de le dire car, pour Trump, tout le battage fait autour du réchauffement climatique et des risques de destruction massive qu’il entraîne n’est que poudre aux yeux, fariboles et intox diligentées en sous main par Pékin. Il vient de nommer son ministre de l’Environnement qui est évidemment un climato-sceptique de la même farine. Inutile de dire qu’avec un pareil chef d’orchestre, la communauté internationale peut faire des confettis avec les recommandations de la COP 21 et se résigner à entamer sous leur pluie multicolore son dernier tour de valse sur le Titanic !
Face à ce danger pressant, le moment serait peut-être venu chez nous de regarder la Chine d’un autre œil et de considérer qu’entre deux maux il serait sage de choisir le moindre. Nous savons bien que la manière chinoise de gouverner n’est pas forcément à notre goût et, pas plus que d’autres, nous ne plébisciterions de gaieté de cœur un système d’État-Parti sans séparation des pouvoirs ni libertés individuelles garanties par un droit constitutionnel servant de référence pour tous et dans tous les cas. La Chine de Xi Jinping n’a pas les caractéristiques d’une nation « fréquentable » aux yeux de beaucoup de nos concitoyens et nos médias, à peu près unanimes à la prendre avec des pincettes en se bouchant le nez, renforcent la méfiance ambiante. Il va pourtant falloir trouver avec elle un modus vivendi réaliste et sans doute le faire sans attendre qu’elle devienne une démocratie à l’occidentale comme notre bon goût se plaît à les privilégier dans nos relations (quoiqu’il en soit certaines qui fleurent plus les pétrodollars que l’humanisme). Le feu couve dans la Maison-Monde et vient de se pointer sur le seuil un dangereux pyromane avec une valise pleine d’allumettes, pouvons-nous dans ces conditions être vétilleux sur les boutons d’uniforme des pompiers ? Car la Chine, par sa taille, sa population, les avancées récentes qu’elle a menées à bien et la volonté qu’elle affirme mobiliser pour prendre toute sa place dans le combat contre les dérives climatiques et le désastre dont elles sont grosses, nous paraît, dans le contexte actuel, constituer notre principal allié, et probablement le plus fiable (en tout cas, dans l’urgence, il va falloir en faire le pari), dans la course contre la montre qu’il est vital d’engager.
Allons plus loin, au prix d’un poil de provocation dont nous sommes conscients : face à ces défis d’une nature inédite, la « démocratie selon Trump » (puisque c’est bien sans conteste de « démocratie » qu’il s’agit, non ?) apparaît-elle vraiment préférable à l’« autocratie » exercée par le PCC en Chine ? Soyons encore plus clairs : nous anticipons tous que les objectifs de sauvegarde de notre écosystème nécessiteront une détermination d’acier et des mesures coercitives draconiennes. Les règles de bonne conduite qui devraient dès maintenant entrer en vigueur seront d’autant plus contraignantes que nous en retarderons l’application. Or nous lanternons en nous racontant des histoires à endormir debout ! Cela écorche un peu la bouche à énoncer, mais seul un pouvoir fort peut imposer tout de suite et sans tergiverser les réductions drastiques sur lesquelles nous ne pouvons plus faire l’impasse, comme nous l’avons évoqué, il y a quelques mois, à partir d’un article du Guardian concernant les restrictions chinoises de consommation de viande envisagées et chiffrées. Nos pouvoirs hésitants n’en finissent pas d’atermoyer et de ménager la chèvre et le chou au risque de voir disparaître pour toujours et les chèvres et les choux avant de s’être mis au travail ! Ce constat est désagréable et l’on préférerait que toutes les nations aient un curriculum 100% clean et qu’elles se conforment à nos critères, mais pouvons-nous être assurés que la notion même de Droits de l’Homme dont nous faisons un préalable ne devra pas être réaménagée à nouveaux frais si les fantaisies du climat chamboulent notre géographie et notre biotope de façon irréversible ? Il apparaît clairement que c’est le capitalisme financiarisé de plus en plus glouton qui met le plus à mal nos équilibres environnementaux. Lui trouver une alternative s’impose. La Chine ne peut, certes pas, passer pour un modèle, mais au moins a-t-elle essayé de relever le défi en osant l’oxymore « socialisme de marché ». Sa mise au diapason du XXIe siècle lui a coûté une inquiétante multiplication des phénomènes de pollution très lourds et extrêmement nocifs sur une bonne part de son territoire. Le Parti sait qu’il joue une grosse part de sa crédibilité dans la résolution de ces problèmes de santé publique et prend donc l’affaire très au sérieux. Désormais présente dans toutes les instances internationales, la Chine doit, ne serait-ce que pour des raisons de « face », se montrer exemplaire dans ce domaine. Depuis son arrivée au sommet de l’Etat en 2012, Xi Jinping s’est lancé dans une vaste entreprise plus complexe que le simple exercice du despotisme que nous voulons généralement y voir.
Premier volet : la lutte contre la corruption dans les deux univers des affaires et de la politique trop souvent dangereusement tangents pour ne pas dire imbriqués. On a pu dire ici et là, y compris en Chine, que cette campagne menée tambour battant n’avait qu’un but politique : faire place nette en éliminant de potentiels rivaux. Ce fut peut-être le cas dans l’affaire Bo Xilai (2012), mais on peut lire aussi cette campagne musclée comme une purge à visées plus économiques : endiguer les tendances fortes du mot « marché » à bouffer le mot « socialisme » au sein de l’oxymore et éradiquer les germes d’où naissent les cancers du capitalisme qui prolifèrent toujours sous forme de connivences, lobbying et gangstérisme. En somme rappeler aux puissants trop gourmands qu’on ne met pas les deux mains dans le pot de confiture sans se faire taper sur les doigts !
Deuxième volet complémentaire du premier : se réapproprier l’héritage proprement chinois pour y activer de nécessaires anticorps et, à partir de ce tremplin, faire le pari beaucoup plus ambitieux de mettre en chantier la nouvelle forme de civilisation du XXIe siècle. La Chine ne proclame pas cet objectif, mais n’est-ce pas son habitude de laisser discrètement mûrir les situations et de faire confiance aux « transformations silencieuses » ? Elle a en matière de culture un capital longuement amassé dont elle juge qu’il ne s’est pas démonétisé et que, bien placé, il peut encore produire des dividendes considérables. Le socle en est toujours solide dans les mentalités populaires et la trilogie « Ciel-Terre-Homme » selon laquelle l’être humain ne peut s’affranchir de son appartenance-dépendance au couple Ciel/Terre est ancrée dans tous les esprits. Même si seuls les modernes lettrés ont encore accès à la langue des « Classiques », les notions de régulation et d’humilité des confucéens et les invitations au « non agir » des taoïstes ne sont pas si loin qu’on ne puisse encore en faire collectivement jouer les outils. Nous n’aimons pas beaucoup chez nous le mot « sagesse » : nous le trouvons trop sucré, trop mièvre et, faute de le prendre au sérieux, nous le cantonnons au rayon « Bien-être et Développement personnel » des librairies. La Chine, elle, s’est bâtie dessus. Comme l’a souligné F. Jullien, « le sage chinois est sans idées » et, par là, infiniment « plastique » sans raideur préconçue ni dépenses d’énergie inutiles. Les situations qui nous attendent offriront une prime à l’adaptabilité dans l’efficacité. Timbale que la Chine pourrait bien décrocher…
En matière de pouvoir personnel despotique, il n’est pas exclu que Trump aille en remontrer à Xi Jinping lui-même. Son seul talent étant de savoir faire du fric, de quel secours pourra-t-il être quand la planète boira la tasse ?
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