RUPTURE SOUS CONTRÔLE DANS LA FINANCE ? Seconde partie, par François Leclerc

L’Association française pour l’intelligence Artificielle (AFIA), qui regroupe les chercheurs du domaine, organisait vendredi 7 octobre à Télécom ParisTech une journée consacrée à « L’IMPACT SOCIAL DE L’I.A. » avec le soutien de la Fondation telecom.

François Leclerc, qui a contribué à son organisation, y est intervenu sur le thème RUPTURE SOUS CONTRÔLE DANS LA FINANCE ?

Billet invité.

Les banques doivent affronter une autre menace potentielle que celle des FinTech et des GAFA. Par nature, la Blockchain remet en cause leur existence en tant que tiers de confiance. Il ne faudrait pas qu’elles soient emportées par la vague de désintermédiation qui se profile, qui pourrait rompre la branche sur laquelle elles sont a

Dans les milieux financiers, ces questions épineuses sont déjà discrètement sur le tapis. Le Comité de Bâle – qui regroupe les banques centrales et les régulateurs de la finance –  s’interroge sur la définition future de la banque, une façon de signifier qu’au final ce secteur n’échappera pas plus tard à la reconfiguration d’ensemble qui se prépare. Et, quand la Banque d’Angleterre se déclare peu favorable à la transmission en temps réel des règlements des entreprises non financières et des particuliers, c’est pour demander du temps afin de mener à bien sa réflexion, car – dit-elle – cette mesure aurait de lourdes conséquences sur la nature de l’activité bancaire, la forme du système financier et le rôle des banques centrales. Enfin, et sans surprise excessive, les préoccupations éthiques à tendance libertariennes prévalant au sein de la Silicon Valley prévoient sans autre forme de procès la disparition à terme des banques et des banques centrales, ainsi que le remplacement des monnaies actuelles par des modes de paiement numériques sans lien avec les États.

Si on se limite au concret, d’ambitieuses réalisations peuvent être déjà signalées. Citons la banque américaine Citi, qui a entrepris de tester le système Watson d’IBM afin de détecter les fraudes aux cartes de crédit et de faire du conseil en investissement automatisé. Ce même IBM joue la carte de son produit phare en expérimentant son implémentation au sein des banques pour traiter leur relation client.

Utilisant la technologie Blockchain, citons aussi BNP Paribas qui a annoncé lancer d’ici la fin de l’année une plateforme pour faciliter l’émission de titres par des entreprises non cotées en consignant toutes les transactions et les changements de propriété. Ou encore HSBC et Bank of America Merrill Lynch, qui développent avec les autorités de Singapour un système de garantie des transactions entre importateurs et exportateurs sur le modèle des lettres de crédit.

Tous les secteurs du monde financier s’y mettent donc. Visa étudie en partenariat avec une FinTech l’adaptation de sa technologie aux paiements interbancaires dans le but d’offrir une alternative au service SWIFT, le service mondial de transferts de plus de 10.000 établissements et professionnels de la finance. Mais une autre FinTech, Ripple, promet des transferts à une rapidité inégalée pour un coût modique et semble avoir pris une longueur d’avance. Elle est déjà expérimentée par le consortium « R3 » et fonctionne provisoirement avec une crypto-monnaie pivot, XRP, avec l’intention d’utiliser dans l’avenir une crypto-monnaie émise par une banque centrale. Ce pourrait être le Cad-Coin, que la Banque du Canada a créé avec les banques du pays et  « R3 ».

Parfois, c’est encore plus spectaculaire. Bridgewater Associates, l’un des plus importants fonds d’investissement mondial, il gère 165 milliards de dollars, étudie la mise en service d’un fonds entièrement automatisé, de l’élaboration de la stratégie à l’exécution des ordres. Le système est décrit comme capable de prendre en compte les données historiques de marché, d’élaborer des probabilités statistiques et de mettre en œuvre une logique prédictive.

Enfin, les assureurs vont entrer dans une nouvelle ère de personnalisation de leurs offres basée sur une qualification des profils de risque de leurs clients. Les algorithmes vont devenir le cœur de la valeur ajoutée d’un assureur et le gage de sa performance sur le marché. À l’origine, le métier d’assureur avait comme modèle la mutualisation des risques, mais chacun va de plus en plus voir ses primes dépendre de son profil de risque.

Ce rapide tour d’horizon met clairement en évidence que la disparition de l’emploi à cadence accélérée n’est pas une vue de l’esprit, accréditant la thèse de la raréfaction à venir du travail. En mars dernier, les analystes de Citigroup estimaient que les banques américaines pourraient réduire leurs effectifs de 30 % en l’espace de dix ans, passant de 2,6 millions de salariés en 2015 à 1,8 million en 2025. Les banques européennes seraient quant à elles amenées à diminuer l’emploi de 37 % dans la même période.

Il montre également comment un secteur d’activité tout entier est susceptible de connaître une mutation dans des délais rapprochés – on parle d’une dizaine d’années – et fonctionner à l’arrivée suivant des principes très différents dans un monde investi par les technologies de l’Intelligence Artificielle. Que va-t-il sortir de la mutation en cours ? John Wolpert, directeur de l’offre Blockchain chez IBM, préfère en plaisanter  : « cela va soit être un sacré gâchis, soit changer le monde » prédit-il !

Surfant sur les technologies de l’Intelligence Artificielle, le système financier va donc muter dans un contexte où il n’est déjà plus ce qu’il était. Car il est difficile d’envisager son futur en mettant entre parenthèses la crise chronique qu’il vit depuis dix ans. Si sa mutation va lui permettre d’accroître ses marges, elle ne corrigera pas ses principaux dysfonctionnements. Son gigantisme et sa disproportion avec l’économie vont s’accentuer. L’endettement privé et public va continuer à augmenter, tandis que la croissance de l’économie va plafonner et la distribution inégale des revenus se poursuivre.

La Blockchain, on s’en doutait un peu, ne peut pas tout faire !

Fin.

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