Pas si fous, les émetteurs de Credit-Default-Swaps (CDS), par Jean-Pierre

Billet invité.

Fous, les émetteurs de Credit-Default-Swaps (CDS) ? Pas tant que cela. Il suffit de savoir s’y prendre.

Commençons par comprendre ce qu’est un CDS. C’est une assurance, ciblée et négociable, d’un type particulier ayant trait à des actifs financiers, de préférence négociables eux aussi. Deux parties contractantes conviennent des modalités. Celles-ci comprennent la détermination de l’actif financier à assurer, la définition du risque spécifique qui sera assuré et la manière dont l’assuré sera rétribué. Pris tel quel, le CDS ressemble à une assurance traditionnelle. Car tout comme cette dernière, l’assuré devra s’acquitter périodiquement d’une prime. L’assuré ne pourra toutefois exercer son CDS que si un événement particulier survient, événement défini dans le contrat et qu’on nomme dans le jargon credit event. A cette aune, le CDS ressemble à une option put (droit de vente à un prix prédéterminé – le put bénéficie d’une baisse du prix).

La grande distinction par rapport à l’assurance traditionnelle réside dans le fait que n’importe qui peut émettre un CDS – du moins s’il a accès aux marchés financiers – et que l’assuré ne doit pas posséder l’actif financier qu’il souhaite assurer. Parmi les événements retenus, on trouve la rétrogradation de la notation de l’actif financier assuré, le défaut de paiement ou encore la chute de la valeur de cet actif au-dessous d’un seuil déterminé. Les contractants déterminent le type de « risque » qui sera couvert.

Partons d’un exemple concret et actuel : un emprunt d’état grec. Admettons qu’on veuille s’assurer contre une chute de son cours : si le cours chute de plus de 10% en dessous de son prix d’émission, nous convenons avec l’émetteur du CDS qu’il nous rembourse intégralement l’obligation. De notre côté, nous nous engageons à lui fournir le titre en question (c’est l’aspect « swap » [échange] du contrat).

L’émetteur du CDS évalue le risque qu’il court et fixe la prime du contrat en conséquence. À l’heure actuelle, il exigera quelque 6% du montant à assurer. L’acheteur du CDS devra donc lui payer 6% de la valeur à l’émission de l’obligation pour obtenir la couverture. Il devra réitérer ce paiement tous les ans. Aussi longtemps que le cours de l’obligation ne tombe pas en dessous de la limite de 10%, l’émetteur du CDS encaissera la prime annuelle.

Le porteur du CDS, lui, devra défalquer cette prime du coupon que l’obligation lui procure annuellement. Ce coupon lui est toutefois payé en fin de période, alors que la prime, elle, est redevable en début de période. Si la prime dépasse le montant du coupon, le porteur du CDS sera de sa poche pour couvrir son contrat. Il y perdra donc, mais aura la garantie d’être remboursé intégralement si jamais le cours chutait.

L’émetteur du CDS, pour sa part, placera à bon escient la prime encaissée en début de chaque période et se constituera un matelas. Si le cours de l’obligation résiste pendant plus d’un an au-dessus de la limite fixée, l’émetteur du CDS ne courra plus qu’un risque minime : il aura au moins encaissé deux fois la prime de 6%, possédera donc au moins un matelas de 12%. Si l’obligation assurée chute effectivement de 10%, il perdra une partie du produit des primes encaissées. Mais il aura toujours la possibilité de revendre à son tour l’obligation sur le marché.

Quand on sait qu’à l’heure actuelle les primes exigées pour les CDS concernant les emprunts d’état dépassent systématiquement le rendement desdits emprunts, les émetteurs de CDS courent actuellement un risque minime de perdre de l’argent en cas d’exercice. Les emprunts anglais (« Gilts ») à cinq ans, par exemple, rapportent en moyenne 2,75% actuellement. Or, les couvrir via un CDS, coûte 3,75%.

En fait, la majorité des émetteurs de CDS utilisent ces contrats comme des obligations. Car tout comme ces dernières, les CDS rapportent périodiquement une somme (la prime au lieu du coupon), mais contrairement au cas de l’obligation, l’émetteur du CDS ne débourse pas un centime pour obtenir ce paiement périodique. S’il fixe minutieusement les conditions d’exercice du CDS et limite consciencieusement la couverture, il ne court qu’un risque insignifiant. Le seul risque majeur est qu’il ne puisse revendre l’actif sous-jacent lorsque le porteur du CDS est en droit de l’exercer. Dans ce cas-là, l’émetteur du CDS n’est plus en mesure de récupérer une partie importante de la somme qu’il a dû rembourser. C’est une configuration de défaut de ce type qui est à l’origine de la crise bancaire actuelle.

Une fois connu ce mécanisme, on comprend la naïveté des politiques qui veulent aujourd’hui limiter l’utilisation des CDS en matière d’emprunts souverains. On comprend aussi que leurs tergiversations constituent du pain béni pour ces spéculateurs. Plus l’incertitude grandit, plus le montant des primes augmente, donc moins grand sera le risque que courront les émetteurs de CDS ! Les politiques n’ont pas compris que ce ne sont pas tant les investisseurs qui s’assurent par ce biais qui sont fautifs, mais plutôt les émetteurs de CDS qui, une fois contraints de rembourser le contrat, vendent systématiquement les actifs concernés sur le marché, causant l’implosion des cours et alimentant ainsi la panique. Ni l’émetteur du CDS, ni encore moins son porteur ne courent un risque significatif, ce sont les autres seuls, les investisseurs réguliers, qui en subissent le contrecoup suite aux ventes massives par les émetteurs de CDS.

Dans le cas de la nouvelle émission grecque, il était parfaitement inutile de fustiger les fonds spéculatifs lors de la souscription. Ces fonds ne sont nullement intéressés par cet emprunt, mais uniquement par les CDS qu’ils pourront émettre. Et pour ce faire, ils n’ont nul besoin de souscrire. Si on veut se débarrasser de la nocivité des CDS, il suffirait d’interdire à leurs émetteurs la vente des actifs sur les marchés, les obligeant effectivement à se constituer un fonds de réserve pour couvrir le risque. Ce n’est qu’ainsi qu’ils agiraient en véritables assureurs. Mais comme l’émetteur de CDS n’a pas cette vocation, on peut continuer de rêver.

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55 réponses à “Pas si fous, les émetteurs de Credit-Default-Swaps (CDS), par Jean-Pierre”

  1. Avatar de bric à brac baroque

    Super drôle!…souvenir…souvenir…
    Merci pour ce petit moment drolatique…j’ai vu cela en son temps….

  2. Avatar de Vadet Alain
    Vadet Alain

    Bonjour

    j’ai bien lu et relu votre article sur le CDS, et vous y expliquez qu’il n’est nul besoins de posséder par exemple l’emprunt grec pour contracter un CDS fondé sur la viraiton du cours de cet emprunt, mais je ne possède pas cet emprunt que vais je donner en échange (swap) à « l’assureur » en cas de défaut de la Grèce ??

    Alain Vadet

    1. Avatar de Jean-Pierre
      Jean-Pierre

      Vous allez l’acheter sur le marché, pardi. Si le CDS est fondé sur une détérioration de la notation ou une baisse du cours, vous acquerrez les titres requis à moindre prix et vous ferez rembourser au prix plein par l’exercice du CDS. Les banques vous fourniront le crédit nécessaire pour opérer si vous n’en avez pas les moyens, car pour elles, ce genre d’octroi de crédit est sans risque.

      Ou vous vendez votre CDS à un autre spéculateur et empochez la plus-value qu’il aura dégagé à cet instant.

      C’est précisément de cette facilité d’action que découle la nocivité du produit.

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