Billet invité. Ouvert aux commentaires.
La vie publique dans nos démocraties européennes est largement régie par les partis politiques, qui contrôlent le gouvernement et le parlement. Ces partis politiques sont en général en nombre limité (de 2 à 5 d’une certaine importance). La question principale posée à l’électeur est celle du choix de l’un de ces partis politiques, ce qui détermine le rapport de force entre eux.
Or il y a une beaucoup plus grand variété possible de positions politiques que ce nombre limité (il n’y a pas de parti politique avec lequel on soit d’accord sur l’ensemble des sujets). De plus, au moment de l’élection, on ne connaît pas tous les sujets sur lesquels le parlement sera appelé à donner son avis. Chaque électeur n’est donc représenté que plus ou moins imparfaitement.
Une solution à ce problème est le recours au referendum. Mais on ne peut pas y recourir pour tous les votes effectués au parlement : les citoyens n’ont ni le temps et/ou ni l’envie de se forger une opinion claire sur chaque aspect de la vie publique. C’est la principale raison invoquée pour justifier le système de la représentation. Seulement, comme pointé ci-dessus, la structuration des débats par les partis politiques diminue dramatiquement l’éventail des options possibles présentées aux électeurs.
Je pense néanmoins qu’il serait possible d’organiser des referendums pour chaque projet de loi voté (normalement au parlement) de la manière suivante, que je propose d’appeler « démocratie continue ».
- Les votes se feraient de manière électronique dans un délai raisonnable (par exemple, chaque vote resterait ouvert 24h).
- chaque citoyen pourrait exprimer son vote directement, mais pourrait également indiquer qu’il délègue son vote à un autre électeur, ou de manière équivalente qu’il vote comme un autre électeur. Plutôt que d’exprimer son avis, il exprime qu’il a le même avis qu’un autre électeur (par exemple qu’il considère comme proche de ses valeurs et mieux informé que lui).
- Il est possible d’avoir une chaîne de délégation. Cela ne pose aucun problème particulier, sauf s’il y a un cycle (A délègue à B qui délègue à C qui délègue à A). Dans ce cas, une proposition simple est de considérer que A, B et C se sont abstenus.
- En pratique chaque citoyen pourrait enregistrer une délégation par défaut (par exemple je délègue jusqu’à nouvel ordre mon vote à Thomas Piketty), ou une délégation différente par sujet (en économie, je vote comme Piketty, sur les questions d’éducation, je délègue à mon conjoint qui est enseignant, etc.). Ces délégations par défaut peuvent évidemment être suspendues à tout instant, et en particulier pour un vote précis pour lequel le citoyen a une opinion personnelle bien arrêtée.
Une objection à ce système concerne le point 2 : n’y aurait-il pas une grande proportion de votes qui seraient nuls à cause de cycle de délégation? Ceci est évidemment une question empirique, mais je pense que ce nombre serait extrêmement réduit : la majorité des délégations se feraient vers des personnalités connues pour leur intérêt pour la chose publique et qui eux voteraient directement. Il faut aussi garder à l’esprit que de tels votes seraient très réguliers (plusieurs par semaine, comme au parlement), et qu’il suffit qu’un électeur, voyant que son vote est nul, modifie sa délégation lors d’un vote suivant pour briser le cycle. Finalement, on pourrait envisager de notifier les électeurs faisant partie d’un tel cycle, et de leur permettre de voter directement pendant un court laps de temps.
Pour mieux appréhender ce système de vote, il est utile de le comparer à la représentation parlementaire à laquelle nous sommes habitués. Ce système actuel est similaire à la démocratie continue mais à trois énormes restrictions près :
- chaque citoyen est obligé de déléguer son vote (il ne peut pas voter lui-même au parlement),
- il n’y a que quelques « personnes » à qui l’on peut déléguer son vote (i.e. les quelques partis politiques)
- la délégation est valable pour la durée de la législature (de 4 à 6 ans en fonction des pays), et ne peut être révoquée.
Sous ce régime de démocratie continue, un parti ou une coalition de partis politiques ne pourraient pas légiférer, quel que soit le sujet, contre la majorité des électeurs, même s’ils ont bénéficié à un moment du soutien d’une majorité de la population. En même temps, il ne serait pas demandé à chaque électeur d’avoir un avis bien pesé sur chaque proposition de loi, seulement d’indiquer quelqu’un en qui il fait confiance pour avoir un tel avis.
Dans ce cadre, y aurait-il encore besoin d’un parlement composé de personnes élues (choisies comme actuellement, ou différemment) ? À mon sens oui, parce qu’au moins deux fonctions importantes, autres que celle de voter les lois, sont remplies par le parlement : le contrôle et la discussion publique des actions du gouvernement, et élaborer, discuter publiquement et soumettre des propositions de loi. Je ne pense pas que le parlement doive avoir le monopole des ces rôles, mais il me semble sain de désigner un certain nombre de personnes représentatives de la société qui exercent spécifiquement ces fonctions et à la disposition de qui sont allouées les ressources suffisantes.
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