Retranscription de Le temps qu’il fait le 26 août 2016. Merci à Cyril Touboulic !
Bonjour, nous sommes le vendredi 26 août 2016, et là je suis dans une chambre à Massembre. Massembre, ça se trouve sur la commune de Heer, en Belgique, et on est, je crois que c’est à 2 km de la frontière française parce qu’on est tout près de Givet.
Je participais à une sorte d’université d’été du parti Écolo en Belgique, et pour lancer la réunion, qui dure plusieurs jours, eh bien, ce qui lançait la réunion hier soir à 20h30, c’était une conférence de ma part sur les réflexions qu’on trouve dans mon livre Le dernier qui s’en va éteint la lumière. Et là, en passant, petite nouvelle sympathique, c’est que le livre continue à nouveau à grimper dans les listes de vente. Alors, ça c’est sympathique.
Petit phénomène observé depuis la rentrée : c’est qu’il progresse en tandem avec le livre que Luc Ferry consacre au transhumanisme. Et j’ai pu voir dans les discussions hier, dans les questions qui sont posées de la salle, qu’il y a effectivement une association qui se fait dans l’esprit du public entre ces propos assez différents qui sont tenus par Luc Ferry sur le transhumanisme et mes propos à moi sur l’extinction possible. Tout ça se combine, tout ça à l’air de produire une image qui se complète l’une l’autre. Et je me posais la question là : qu’est-ce qui justifie ça ? Eh bien, je crois qu’il y a quand même en arrière-plan un socle commun, il y a un socle commun [rires] chez Luc Ferry et chez moi, au point que je vois dans la presse (la presse populaire, les magazines, les périodiques, les hebdomadaires), je vois qu’on attribue généreusement à M. Luc Ferry bien des idées d’un certain Georg… – j’ai oublié, l’un de ses autres prénoms – [Wilhelm] Friedrich Hegel, un certain Hegel, et ça se trouve aussi, eh bien, en arrière-plan aussi de manière assez massive quand même dans la manière dont moi j’aborde les choses : la Raison d’un côté, l’Histoire de l’autre, tout ça se combine et est-ce qu’il y a un sens qu’on peut voir émerger de l’ensemble – ou une absence de signification ? Ou une réponse inquiétante, par exemple, qui serait que notre seul avenir de survie possible, c’est celui d’une société de type termite ?
Voilà, mais je crois que j’ai le sentiment que cette réflexion… bon, on me dit : « Oui, mais c’est très ethnocentrique, c’est très culturocentrique. Vous ne parlez pas de l’Afrique, vous ne parlez pas de l’Amérique latine », « Non, euh, non, cher monsieur, non, j’appartiens à une culture : j’allais à l’école dans une certaine culture, ça m’imprègne. La raison de M. Socrate et l’importance de l’histoire de M. Hegel font partie de ma culture. » Alors, hier, dans le train, je lisais un peu de Confucius aussi parce que je sais l’importance de la Chine dans les réflexions que nous devons faire. Mais c’est vrai, oui, je suis le produit d’une culture et ça fait partie de, je dirais, de ce qu’un chercheur doit pouvoir faire, c’est de dire : qu’est-ce qui le détermine lui-même ? (son appartenance de classe, voilà, l’éducation qu’il a eue, le type de parents qu’il avait, et ainsi de suite). Voilà.
Alors, dans les discussions comme hier soir, la difficulté pour moi, évidemment, c’est toujours, ces temps-ci, ce sont les gens qui mettent entre parenthèses les approches collectives aux problèmes, qui disent : « Oui, si on fait TOUS comme ceci au niveau de la paroisse ou du village, si nous changeons nos habitudes, si nous apportons notre petite pierre, eh bien, le système va changer », et là, non, je répète à ce moment-là, je dis : « Écoutez, moi j’ai une formation de sociologue et d’anthropologue, et j’en ai tiré la conclusion que les sociétés ont besoin d’une… il y a des structures dans la société et que si on ne change pas les structures, il ne va pas y avoir le miracle auquel croit la « science » économique et qu’elle l’appelle l’ « individualisme méthodologique » : qu’il n’y ait que des individus et que le collectif c’est uniquement le produit des comportements individuels, éventuellement par une espèce de psychologie des foules, par un mimétisme, par ceci ou cela. » Non ! Nous sommes à l’intérieur de grandes structures, et les Chinois ont eu, d’une certaine manière, une certaine chance dans la mesure où leur philosophie au VIe siècle avant Jésus-Christ, avec des gens comme Confucius, émerge dans des sociétés déjà très développées du point de vue de la densité des êtres humains, de grandes villes qui existent déjà, et qui n’ont pas pu mettre entre parenthèses le fait que des structures – des structures massives, comme l’organisation d’un empire – sont des choses qui sont nécessaires au fonctionnement général, et que c’est peut-être, je dirais, dans un dévoiement possible de la réflexion grecque de croire que juste en additionnant les comportements individuels, parce qu’on parle de sociétés beaucoup petites en Grèce antique, on va arriver à des solutions.
Et ça, bon, dans un mouvement écologiste, il y a maintenant un grand, je dirais, un grand courant qui, eh bien, qui est un peu celui que moi j’appelle de « la démerde survivaliste », c’est-à-dire qu’il y a quand même en arrière-plan de ça, je dirais, une vue élitiste : « Nous, ma famille, moi, mes amis, nous, on se démerdera, on arrivera à s’en sortir ! », c’est pas comme ça, à mon sens, que les sociétés fonctionnent. Que des choses qu’on fasse dans cette perspective-là, comme rouler à vélo ou avoir son jardin potager, soient des choses qu’il faut recommander plutôt que décourager, oui, bien entendu ! mais ce n’est pas ça qui nous… – pas plus que la main invisible d’Adam Smith ! – ce n’est pas ça qui préviendra, qui empêchera l’extinction.
La démerde individuelle, on peut voir un film qui s’appelle La Route (2009), hein, vous avez peut-être vu ça ? Ça montre que, oui, voilà, la démerde individuelle dans des situations extrêmement dramatiques, ça permet à des isolats de survivre quelques semaines de plus, quelques mois de plus, mais ce ne sont pas des solutions à long terme !
Alors, une petit note, voilà, on me dit : « Vous manquez d’optimisme, vous n’avez pas d’enthousiasme, etc. » Alors, réfléchissons quand même, pour terminer, à ce qu’à dit Mme Merkel, c’était quoi ? c’était avant-hier : Mme Merkel qui a laissé entendre en disant qu’il fallait faire des provisions pour au moins 2 semaines, qu’il fallait prendre des pilules de je ne sais quoi, qui vous prémunissent contre un danger radioactif important. Mme Merkel a fait comprendre à sa population, et c’est une attitude responsable, que la possibilité d’une guerre thermonucléaire revient à l’avant-plan, en raison des tensions qui ont lieu à la frontière entre l’Ukraine et la Russie, aux frontières de la Turquie avec différents autres pays et qu’il n’est pas impossible que dans la situation d’escalade où on se trouve, d’escalade belliqueuse, eh bien que les populations soient… qu’on revienne sur cette vieille solution que les structures justement produisent dès qu’un problème est un petit peu compliqué – et ça, j’en parle dans Le dernier qui s’en va éteint la lumière –, dès qu’un problème est un petit peu compliqué qu’est-ce qu’on fait ? Eh bien, on recourt à la guerre parce que ça paraît être la meilleure solution et comme disait Hegel : ça redonne un petit peu d’esprit de corps à des populations entières, à des nations, qui au moins dans la guerre ont le sentiment, eh bien, qu’on est ensemble et que ça fait disparaître certains…voilà, certains antagonismes que le ressentiment produit quand les États ne se préoccupent pas du ressentiment de leur population, ce qui est le cas depuis la grande offensive ultralibérale des années 70, quand on nous a dit que finalement, que les gens soient contents ou non de ce qu’on leur propose, ça n’a pas d’importance du moment que le commerce va bien.
Bon, alors, voilà, je termine là-dessus. Demain, non, excusez-moi, c’est après-demain (dimanche), là, dans le cadre d’un événement : des grands concerts, des conférences, etc. organisés à la citadelle de Namur, toujours en Belgique, par les mutuelles socialistes, sous le nom de Solidaris, là, j’aurai un débat avec Étienne de Callataÿ, bien connu dans les milieux financiers belges, sur la question de « l’argent ne fait pas le malheur mais il y contribue ». Voilà, ça peut être un débat aussi intéressant, tout comme les discussions que j’aurais aujourd’hui là : quand je vous quitte, je vais participer à un groupe de discussion sur le slow science et sur la manière dont la logique du profit et du lucre est en train de détruire tout cet énorme édifice qui consistait à essayer d’obtenir de la connaissance, et là aussi de subordonner à des simples questions de rendement ou à introduire une logique de type ultralibéral dans tout ce que nous faisons, et en particulier, évidemment, dans la réflexion économique avec des gens comme M. Gary Becker, Ronald Coase, Milton Friedman, Jean Tirole, et ainsi de suite.
Voilà, allez, à bientôt !
1) On peut utiliser des bombes nucléaires pour stériliser l’entrée d’abris souterrains (au sens galeries bien bouchées, comme au sens…