Billet invité.
Erri De Luca a emprunté un marin aux Mille et Une Nuits et nous parle du dernier voyage de Sindbab avec le chargement le plus rentable des marchandises de contrebande : le corps humain !
Ce très court texte, rédigé sous la forme d’une pièce de théâtre, met en scène le capitaine, Sindbab, le Maître d’équipage, un marin et les passagers de fortune, tous immigrés et réfugiés dans la cale du navire.
L’auteur évoque les temps anciens (pas si anciens cependant : début du XXème siècle) où l’émigration était légale et où s’embarquaient depuis le port de Naples des centaines d’émigrés italiens vers le Nouveau monde pour un voyage sans retour :
« à l’époque, les vies se brisaient sur un quai, de vrais adieux s’échangeaient, certains de ne plus se revoir. On pouvait entendre le bruit des adieux, un bourdonnement de recommandations et un déboîtement d’os. ».
La quatrième scène fait venir une tempête qui déclenche la peur au sein du groupe de passagers. La peur n’est pas bonne conseillère comme chacun le sait, et comme chacun le sait également, on cherche un bouc-émissaire : « un des hommes propose de tirer au sort pour savoir qui porte malheur et irrite la mer ».
Le sort tombe sur un jeune homme qui fuit l’armée (le déserteur) pour ne pas aller se battre contre les villages. Un vieil homme le protège et le nomme « colombe » : la colombe de la paix.
« Plus que la tempête, c’était la peur de l’omnipotence, du souffle bouillonnant d’un Dieu au-dessus d’eux qui les glaçait ».
A la sixième scène, il évoque Paul de Tarse : « Il était prisonnier, il voyageait attaché, mais face à ses certitudes, c’était nous les détenus, nous qui étions assiégés par les vagues et les terreurs ».
La mer se calme, s’ensuit une pêche miraculeuse qui offre un repas de poissons à tous les passagers. Temps de soulagement, de chants, et d’histoires échangées. Le capitaine parle à un homme qui se tient à l’écart :
– « D’où viens-tu ? »
– « Je suis Kurde, je viens d’un pays qui n’est sur aucune carte de géographie, seulement dans les pensées : le Kurdistan. Je n’ai jamais vu la mer et je n’ai jamais mangé de poisson jusqu’à aujourd’hui ».
Une femme accouche d’un enfant mort qui sera jeté à la mer, le cimetière des vagues.
Le voyage se termine à la quinzième scène. Je vous laisse découvrir la fin qui ne vous surprendra pas.
J’ai pleuré.
Le style limpide et poétique de l’écriture d’Erri De Luca donne une puissance exceptionnelle au texte qu’aucun article ni reportage ne pourrait égaler.
Je souhaiterais que ce livre passe de main en main dans toutes les langues et fasse le tour de la terre.
« Le dernier voyage de Sindbab » Erri De Luca – Gallimard 2002 réédité 2016
En parlant de ‘milliards de dollars’ … un trou de serrure indiscret avec vue sur l’intimité du clan TRUMP… C’était…