Franck CORMERAIS
Comment envisagez-vous l’anthropologie des savoirs aujourd’hui ? Est-il nécessaire d’ouvrir un nouveau champ d’étude transdisciplinaire sur le modèle du savoir collectif que vous avez évoqué précédemment ?
Paul JORION
J’ai récemment donné une conférence à l’Institut des Études Avancées de Nantes autour de la notion de collapsologie. Essentiellement développée dans le monde anglo-saxon à partir des ouvrages de Joseph A. Tainter (The Collapse of Complex Societies, 1988) et de Jared Diamond (Collapse, 2005), elle décrit une logique de l’effondrement historique des sociétés n’ayant pas pu résoudre l’un de leurs problèmes vitaux. Rappelons que nos sociétés sont aujourd’hui confrontées à une combinaison de trois de ces problèmes, constituant un soliton devenu indécomposable : la dégradation et la destruction environnementale, la complexité non-maîtrisée, accompagnée du transfert de nos décisions vitales à l’ordinateur, enfin notre système économique et financier à la dérive, dont nous connaissons les remèdes mais que les préoccupations court-termistes axées sur le profit de quelques individus puissants interdisent d’appliquer.
Si ce risque mérite d’être pesé en soi, l’intérêt de la collapsologie réside plus particulièrement dans le regard original qu’elle propose en ce qu’il dépasse celui de l’anthropologie. La méthodologie habituelle des enquêtes de terrain a pour conséquence de taire un certain nombre de données dès lors qu’elles sont partagées entre l’observateur et la population d’étude. L’anthropologue ne remarquera pas, au fil de ses études, que les hommes ont besoin d’oxygène pour vivre là où la collapsologie relèvera cette nécessité en priorité, d’autant plus que les robots n’y sont pas soumis. L’astronome britannique Martin Rees envisage les conséquences de la rareté des ressources naturelles de manière radicale lorsqu’il rappelle qu’il est impossible de concevoir une planète offrant un accès indéfini à l’oxygène. Une fois pris en compte ce paramètre, la posture anthropologique, faisant fi de cette contrainte, apparaît comme insuffisante. Ainsi, envisager le remplacement éventuel de l’homme par la machine permet de prendre un recul fécond par rapport à la posture anthropologique et par rapport à l’humanité elle-même.
À quand le portrait d’un quark ou d’un lepton ?