C’est presque indécent de répéter ce que tout le monde sait, que la condition des migrants est horrible. Notre conscience est heurtée par ces processions de femmes, d’hommes, et d’enfants, partant à l’aventure sur les routes, s’embarquant sur des bateaux qui chavirent. Et tout particulièrement en France, car cet exode nous rappelle de triste mémoire l’exode de 1939, ces milliers de gens partis du jour au lendemain sur les routes, parmi lesquels, il y avait mes grands parents, et mon père, alors âgé de 6 ans.
D’où vient donc notre réticence à accueillir ces pauvres gens ? La simple humanité devrait nous commander de leur venir en aide, et pourtant, nous, les pays européens, leur opposons des rouleaux de fils barbelés, et toutes sortes de difficultés sur leur parcours, qu’ils franchissent parfois au péril de leur vie. L’aide que nous pouvons leur apporter ne peut pas être individuelle : chacun comprend qu’on ne peut pas ouvrir sa porte à tous les déshérités lorsqu’ils se présentent dans un tel nombre, car ce serait faire le sacrifice de sa propre existence. Notre aide ne peut donc être que collective, politique, organisée…
Notre indifférence serait-elle inspirée par la crainte des attentats ? En partie, sans doute, les attentats de Charlie Hebdo, du Bataclan, de Nice, ont pu jouer un rôle. Mais il y a aussi, en toile de fond, lorsqu’il est question d’accueillir des personnes d’origine musulmane, l’évolution du statut des femmes, que nous jugeons régressif, auquel viennent se mêler des rancœurs de l’époque coloniale. Il y a aussi une partie de la population, déjà focalisée sur sa propre précarité, qui se demande combien, parmi ces migrants, leur feront une concurrence économique sur le marché de l’emploi, déjà déficitaire depuis des dizaines d’années…
L’argent serait-il alors la cause de notre inaction ? Les états, certes, n’ont plus d’argent. Mais cela ne peut servir d’excuse, car de l’argent, en Europe, il y en a pour acheter des produits d’hyper-luxe*. La véritable cause de notre indifférence semble être ailleurs, et n’a rien à voir avec l’Islam, ou avec un prétendu manque d’argent. Si notre conscience européenne ne répugne pas à abandonner ces gens à leur triste sort – où à faire si peu pour eux que cela revient au même – c’est certainement qu’elle a DÉJA FRANCHI LE PAS MORAL d’abandonner quantité d’hommes, de femmes, et d’enfants, pour des raisons économiques, sur son propre territoire. Et notre conscience collective, en quelque sorte DÉJA VIOLÉE par ce premier abandon, ne s’insurge plus devant la condition de ces migrants, ou le chavirage de ces bateaux – quelquefois sous les objectifs de nos caméras – car elle s’est DÉJÀ ACCOUTUMÉE à ne pas s’insurger, depuis plusieurs décennies maintenant, devant le naufrage économique de la classe moyenne.
Quel homme ou femme politique ignore l’isolement économique de certains quartiers, provoqué par le chômage de masse ? et qui n’a pas déjà entrevu, dans la rue, un homme abattu, le visage écorché, peut-être ivre, mais peut-être mort, et passé son chemin au bénéfice du doute ? Et qui peut prétendre ignorer en France, que derrière les 500* victimes que dénombre chaque année le collectif « les morts de la rue », il en existe des dizaines de milliers d’autres, qui survivent dans une sévère indigence, contraints à vivre dans une semi-légalité, de petits larcins, de trafics, de chantage, de prostitution…
Si bien que si l’on veut être honnête, et résumer en une phrase la position de l’Europe vis-à-vis des migrants, cela pourrait se formuler ainsi : « L’Europe fait beaucoup de profits, mais puisqu’elle n’aide déjà pas ses propres pauvres depuis 30 ans, peu lui chaut d’aider les pauvres venus d’ailleurs. »
Une telle prise de position collective, si elle était exprimée, serait fort condamnable, et c’est sans doute pour cela qu’on ne l’exprime pas. Elle entrerait fort en contradiction avec nos idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité. Mais que l’Europe continue sur cette voie, et elle se verra certainement condamnée, et disloquée par cette résignation à ne pas vouloir analyser les carences de notre modèle économique, car une telle inaction lui fait ouvrir le flanc à toutes sortes de terrorismes, qu’ils soient politiques (FN, Néo-nazis), ou individuels (massacres de masse).
=======================================
* Le constructeur allemand Porsche vient d’écouler en 3 ans, un petit millier d’exemplaires de son modèle 918 Spyder. Ce genre de bolide est assez loin de répondre à une utilité quotidienne, puisqu’on y passe généralement la seconde à près de 100 km/h. Or Chaque 918 Spyder s’est vendu près de 800 000 euros – à titre de comparaison, un pont de 300m coûte environ 10 millions d’euros. Une Tva majorée de 50% sur ces seules ventes, aurait dégagé un budget de 400 millions, et n’aurait peut-être pas mécontenté les acheteurs, pour qui l’acquisition de ces bolides répond aussi au besoin de montrer qu’on a beaucoup d’argent. De telles mesures sont-elles impossibles en Europe ? Pourquoi ?
* 500 morts par an dans la rue, peuvent se comparer aux 5000 morts sur la route, dont ils représentent environ 10%. Quels investissements, et quelle détermination pour faire diminuer le nombre des morts sur la route ! radars, messages de prévention… Par contre, 10% de ces 5000, mourant chaque année dans la rue, ne semblent pas émouvoir outre-mesure. Les morts de la rue, pèseraient-ils moins lourd que les morts au volant ?
1) On peut utiliser des bombes nucléaires pour stériliser l’entrée d’abris souterrains (au sens galeries bien bouchées, comme au sens…