Billet invité.
Aveuglé par ses certitudes et animé par ses intérêts, le gouvernement allemand continue de pousser l’Europe sur sa ligne de plus grande pente. Sa politique n’étant pas négociable, cela ne va pas pouvoir bien se terminer.
Bref rappel historique : le décor a été planté en 1997, lors de l’adoption du Pacte de stabilité et de croissance, avantageusement nommé car il n’a engendré ni l’une, ni l’autre. La réduction des déficits publics est depuis lors devenue priorité absolue. La création de la monnaie commune en 1992 s’est faite aux conditions du gouvernement allemand de l’époque, aboutissant à la création de la Banque centrale européenne (BCE) sur le modèle de la Bundesbank. Toute monétisation des finances publiques était dès lors interdite. La révision du Pacte de 2005, puis l’adoption en 2011 d’un modèle renforcé (le « Six Pack »), ont précédé l’adoption du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, bouclant un dispositif qui fait des ravages.
En proscrivant toute forme de mutualisation directe ou indirecte de la dette de chaque pays, de même que toutes les mesures pouvant y conduire, le gouvernement allemand s’est instauré en sourcilleux et intransigeant gardien du Temple. Dans cette logique, la création d’euro-obligations s’est heurtée à un veto absolu de sa part. Voyant dans cette politique une occasion en or, les partisans de la diminution du rôle de l’État – pour agrandir le leur – et de la suppression des contraintes aux lois du marché en ont profité. Les adeptes d’une religion féroce l’ont emporté !
Quoi de neuf depuis ? Wolfgang Schäuble et son ministère n’ont cessé d’être de tous les fronts. Suspectés d’avoir spéculé sur le marché des produits structurés et d’y avoir laissé des plumes, les Landesbanken (banques régionales) et les Sparkassen (caisses d’épargne) – l’un des piliers du système bancaire allemand, sous influence directe des dirigeants politiques des régions – ont été dès le départ placées hors du champ d’observation du Mécanisme de supervision unique (MSU) de la BCE. Au prétexte de leur taille, il est maintenant tenté de les soustraire aux mesures de renforcement des fonds propres qui doivent aboutir en 2019.
À l’initiative de la présidence hollandaise, un débat plein d’arrière-pensées a été lancé la semaine dernière à l’Ecofin, à propos de la réduction de la dette souveraine dans les bilans bancaires. Décider d’un mécanisme y aboutissant en faveur des dirigeants allemands : cesser de considérer ses titres comme exonérés du risque accroîtrait la pression sur les gouvernements pour qu’ils réduisent leur endettement. Ils ont fait un préalable à la finalisation du 3ème pilier de l’Union bancaire, la création d’un fonds européen de garantie des dépôts. Dans la logique de leur politique, les bilans bancaires devraient être préalablement assainis pour éviter que le fonds soit utilisé, car cela représenterait une mutualisation inacceptable des pertes.
Mais la politique défendue par le ministère des Finances allemand est lourde de conséquences mal évaluées : selon Willem de Groen, du Center for European Policy Studies (CEPS) de Bruxelles, le plafonnement du stock de dette souveraine à 25% des fonds propres d’une banque, comme c’est le cas pour les autres créances, nécessiterait la cession de 1.300 milliards d’euros de titres. Le marché de la dette n’en sortirait pas intact ! Retirer aux gouvernements la facilité que leur procure l’achat de leur dette par leurs banques nationales pourrait également pousser les États à la faillite, une hypothèse clairement évoquée dans des récents non-papers (documents non officiels) allemands…
À suivre de près, un autre débat va s’engager à propos du Pacte de stabilité et de croissance, considéré par certains comme trop complexe et rigide. Son assouplissement par la bande en est l’enjeu. Officiellement, il s’agit de rendre les règles de ce pacte « plus prévisibles et plus faciles à expliquer aux électeurs ». Chargés d’en étudier les modalités, les directeurs du Trésor ont jusqu’à l’automne prochain pour remettre leur copie. En mars dernier, les ministres des Finances de huit pays (Espagne, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Portugal, Slovaquie et Slovénie) avaient réclamé une telle simplification du Pacte à la Commission.
Lors de la même réunion de l’Ecofin, Wolfgang Schäuble a refusé tout net le projet consistant à rendre publique la répartition par pays des impôts et taxes payés par les entreprises au sein de l’Union européenne. Une mesure proposée par la Commission, soutenue par les gouvernements britannique et français, et dont les organisations actives sur la fiscalité demandent le renforcement. Les gouvernements des Länder, qui ont en Allemagne leur mot à dire en matière de fiscalité, y seraient opposés d’après le ministre. Une telle mesure créerait un « désavantage compétitif » pour les entreprises ! Il se confirme que la seule politique commune acceptable est celle que les autorités allemandes définissent.
Le désaccord avec la BCE à propos des taux négatifs est connu mais ses raisons le sont moins. Ceux-ci mettent pratiquement en cause le modèle économique des assurances et des Sparkassen. Les premières garantissent un taux fixe sur leurs produits d’épargne et les secondes prêtent à taux fixe. Les taux négatifs menacent leurs marges et leur activité. Mais plutôt que de demander à ces institutions financières de changer de modèle, le gouvernement allemand voudrait imposer à la BCE de changer de politique monétaire !
Le tour de la question provisoirement fait, la suite de l’histoire est dans les mains des gouvernements européens, de la Commission et de la BCE. À voir comment ils continuent de traiter la Grèce, il n’a pas de quoi être exagérément optimiste. Sous leadership de l’Allemagne et de sa politique, l’Europe n’a pas d’avenir. Dans sa dimension politique, la crise progresse : c’est au tour du gouvernement de grande coalition autrichien SPÖ-ÖVP de faiblir au profit de l’extrême-droite du FPÖ, à l’occasion du premier tour de l’élection présidentielle, où elle est arrivée en tête.
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P.S. : Le Comité de Bâle travaille à de nouvelles réglementations pour faire suite à celles qui doivent être appliquées en 2019 au plus tard. Certains parlent déjà, comme d’un repoussoir, de Bâle IV, qui succéderait à Bâle III. L’objectif poursuivi est d’anticiper les effets d’un relèvement des taux, qui prendraient à contre-pied les banques ayant prêté sur une longue période à taux fixe, typiquement pour des prêts immobiliers. C’est le cas en France, contrairement à de nombreux autres pays européens qui privilégient les taux variables : l’encours des crédits immobiliers des banques y est de 868 milliards d’euros. De nouvelles dispositions relatives à la pondération du risque de crédit, en vertu du risque de taux, obligeraient les banques soit à renforcer leurs fonds propres, soit à diminuer le volume de leurs crédits immobiliers, à moins qu’elles n’augmentent leurs taux. Aboutissant dans la pratique à accroitre leurs besoins de fonds propres, ce qui a un coût, ou à diminuer leur activité sur le marché du crédit immobilier – un produit d’appel par ailleurs – ce qui diminuera leurs revenus. Cette future réglementation contribuera dans tous les cas à diminuer leur rentabilité, et les banques sont vent debout contre elle.
Mon petit doigt me dit qu’on va voir réapparaitre @BasicRabbit 😉 C’était le dada de René Thom il me semble:…