Billet invité.
« Nous ne pouvons pas nous permettre un autre Draghi ! ». Ce cri du cœur d’un député allemand de la CSU fait référence à la fin de son mandat en 2019 et illustre la forte détérioration des rapports entre le gouvernement allemand et la BCE, ainsi que la virulente remise en cause de sa politique monétaire outre-Rhin. On se souvient des récents épisodes.
L’instauration de taux négatifs est très mal vécue dans ce pays à forte épargne des particuliers, menaçant les revenus qu’ils en retirent, conduisant le secteur de l’assurance-vie à investir sur le marché des produits structurés risqués pour respecter sa garantie du taux de 1,25% alors que les Bunds (titres de la dette à 10 ans) sont à 0,13%. Ceci explique cela. À défaut de pouvoir ouvertement remettre en cause le dogme de l’indépendance de la BCE, que le président de la Bundesbank s’est cru obligé de réaffirmer en dépit de ses désaccords notoires, les espoirs d’un changement se reportent sur une prochaine présidence allemande. Mais trois ans, c’est une éternité !
Un sujet particulièrement épineux revient sur le tapis à l’initiative de la présidence hollandaise de l’Ecofin qui regroupe les ministres des finances de l’Union européenne. Ceux-ci vont en fin de semaine plancher sur un thème qui les divise : la consanguinité entre les gouvernements émetteurs de dette et les banques qui les achètent. Les premiers y trouvent leur compte, et les secondes peuvent aisément renforcer leurs fonds propres et constituer un matelas de liquidité. Comment trancher ce nœud gordien ? La réponse est toute simple : il suffirait de ne plus considérer les titres de la dette comme étant à zéro risque pour inciter les banques à s’en défaire, car ils perdraient ainsi leur principal intérêt.
Il y a du pour et du contre : l’augmentation des taux qui en résulterait serait acceptable pour de nombreux pays, par ces temps de taux très bas, mais cela ne serait pas le cas pour les plus fragiles et risquerait de relancer la crise de la zone euro. D’où de profondes hésitations ou bien même des refus catégoriques. L’Italie, qui se débat avec sa crise bancaire, serait au premier chef concernée et s’efforce à tout prix de l’éviter. Vu sous un autre angle, tous les gouvernements verraient augmenter la pression afin qu’ils réduisent leur déficit budgétaire, ce qui au contraire conviendrait parfaitement aux autorités allemandes…
Le débat est couplé avec la création du fonds de garantie des dépôts bancaires – troisième volet de l’Union bancaire – dont le projet est bloqué par les dirigeants allemands qui ne veulent pas d’une mutualisation des pertes des banques européennes sans leur assainissement préalable. L’introduction d’une évaluation des risques des obligations souveraines – ce qui en soi est parfaitement justifié – est l’un des moyens de parvenir à leurs fins et d’accepter de passer au chapitre suivant.
Cette réunion européenne s’inscrit dans la continuité de passes d’armes antérieures, notamment avec la Commission, dont le grand point de départ a été le sauvetage de la Grèce de juillet dernier et qui a déjà connu bien des rebondissements. Mais elle n’aboutira pas à des décisions, étant de surcroit informelle. Le trou volontairement laissé dans la réglementation du système bancaire n’est pas prêt d’être comblé, ni le dossier de l’Union bancaire bouclé. Celle-ci rencontre par ailleurs de sérieuses difficultés d’application. Le système bancaire européen toujours si fragile continue à se révéler rétif à toutes les tentatives de le domestiquer. L’actualité est ponctuée par ses sauvetages successifs, en Grèce et en Espagne puis en Italie et au Portugal, où leur stabilité reste chancelante. Derrière les gouvernements, la BCE est à l’ouvrage, car il est indispensable d’y parvenir pour éviter des réactions en chaîne passant outre les frontières, vu la forte interconnexion globale des banques entre elles.
Il y a pire, la nouvelle formule du bail-in instaurée depuis janvier dernier – destinée à faire supporter par les actionnaires et les détenteurs de titres de la dette bancaire le coût des sauvetages – s’avère inapplicable quand elle menace les petits déposants, comme en Italie, générant alors des conséquences politiques dangereuses pour les gouvernements en place. Le premier test en grandeur réelle de cet important volet de l’Union bancaire n’est à cet égard pas spécialement probant, puisqu’il est pratiquement contourné !
Faut-il rappeler que le gouvernement espagnol de Mariano Rajoy a dû dédommager des petits détenteurs d’obligations bancaires – c’était avant que le bail-in n’entre en fonction – et qu’il a créé une bad bank, la Sareb ? Que le gouvernement portugais d’António Costa envisage de faire de même, et que Matteo Renzi a appuyé en Italie la création d’un montage sophistiqué de soutien des petites banques par les grandes, qui pourrait menacer ces dernières ? Dans chaque cas, mais différemment, se dissimule une même constatation se dissimule : évacuée par la porte de devant, l’implication des fonds publics revient par la porte de derrière.
Une autre initiative confirme indirectement cet échec. Afin de protéger une fois de plus ses banques régionales et son réseau des caisses d’épargne – qui le sont déjà du regard inquisiteur de la BCE – le ministère des finances allemand cherche auprès de la Commission à exonérer celles-ci des contraintes des directives européennes de régulation bancaire, au prétexte partagé avec son homologue britannique que les petites banques sont « sur-régulées » par des mesures trop complexes qui ne devraient être destinées qu’aux banques systémiques. Il est en conséquence demandé à la Commission de soit les dispenser de leur application, soit de revoir les directives en ce qui les concerne.
Il n’y en a pas un pour racheter l’autre !
Aujourd’hui, ce sont les démocraties qui sont dans le pétrin.