Les « Nuits Debout » : des chrysalides pour solder l’ère de la gouvernance, par Timiota

Billet invité.

Quelques mots de plus sont forgés et les fissures béantes se révèlent. Pas besoin de logique : notre pensée « primitive », associative, coopérative, retrouve une prise. Dites « Eurozone » puis « Varoufakis », et vous réalisez que la première n’a pas d’autre règle qu’une religion féroce, pas même de règle légale, le ministre grec étant celui qui a demandé l’habit du roi nu : la pensée est associée, elle n’a pas besoin d’être logique.

La logique, nous a-t-on dit, c’est ce qui doit présider aux choses vraiment importantes de ce monde, et pour cela est apparu ce mot où le gouvernail s’auto-saisit de la barre : la gouvernance. Un faux-nez dont 30 siècles s’étaient bien passés, pour masquer que la logique est en impasse. Et elle est en impasse non pas parce que la logique aurait quelque défaut. Elle est admirable, Spinoza l’a déjà tant dit, mais sans oublier qu’elle est à cheval sur nos affects : la beauté d’une démonstration, d’une construction abstraite, c’est un carburant pour notre cerveau.

Mais voilà, au fur et à mesure que ce qu’on prend comme prétexte dans la conduite des affaires, comme prétexte dans l’imposition de cette gouvernance, se décolle de la réalité, le grippage du langage, tout logique qu’il soit, devient une image du grippage de nos espérances, de nos projets à taille humaine, sous des Molochs si aptes à délocaliser lesdites valeurs via Panama ou mieux sous notre nez au Luxembourg ou au Delaware.

Les « Nuits Debout », c’est la digestion de cela, c’est la formation d’une chrysalide où la soie nous protège quelque temps de la désaffection des individus, suivant les mots de Stiegler: de la prolétarisation qu’il entend comme perte des savoir-faire.

Oui, nous, nous Occidentaux surtout, avons pris appui sur la logique et l’antisymétrie dans le langage : le « donc » du raisonnement qui donne comme fort et incontestable le terme extrême d’une série d’implications. Vrai en math, passe encore pour physique chimie, mais pas beaucoup plus loin. Paul Jorion décrit notre réseau mnésique comme étant avant tout capable de liens associatifs symétriques. Et pouvant aller très loin comme cela, individuellement et collectivement. La Chine du XVIIIe siècle est grosso modo à parité de développement humain et technique (agrotechnique notamment) avec l’Occident, alors que sa structure de langage reste plus caractéristique du lien associatif que du lien en série d’implication.

Et notre grippage de 2016, notre intoxication à la « gouvernance » et à la « valeur intrinsèque des actifs » qui fait que le 15% de rendement a la même sévérité par plan social interposé que la hache du bourreau, c’est une corruption du langage asymétrique, de laquelle il faut sortir : comme la chenille fait chrysalide avant de faire papillon, sans renier son ADN.

Ce qui se réinvente dans les Nuits Debout, ce sont des échanges de savoir-faire, c’est l’évitement maximal des leaders ou des programmes tout fait : — surtout inventer, inventer chaque jour –, c’est donc le maximum de ré-injection du mode associatif du langage, l’immense plaisir d’une retrouvaille enfouie si loin, telle notre ancêtre hominidé Lucy mise à jour dans l’Afar.

La logique du langage, plus qu’un outil, fait partie de l’attirail des facultés qui en viennent régulièrement à nous dépasser, comme celle de coloniser. Et elle fait aussi partie des facultés qui nous empêchent d’anticiper le futur dès lors qu’il contient des petits grains de sable, des aléas, des nano-ruptures, des clinamens lucréciens. C’est comme un médicament, qui à haute dose fait poison, mais la dose n’est haute que si le discours se décolle de la réalité, état qui a besoin de quelques décennies pour se produire lorsqu’il repart de zéro.

Les Nuits Debout ont compris spontanément qu’il fallait un air de réciprocité, de ré-association des choses, et des mots. Prends la gouvernance, et tords lui son cou !

On disait le tissu de la population déconnecté dans un internet qui compartimente les désirs des individus dans le profilage, qui découpe leur temps dans des émotions courtes et des pétitions d’un jour. Voilà que la graine humaine repousse sur cet étrange terre, contre les vents mauvais des expulsions humaines, écologiques et économiques. Voilà que ses nouveaux babils font entendre une langue de réciprocité, un moment sans Mammon pour nous connaitre nous-mêmes.

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  1. @ Hervey Et nous, que venons-nous cultiver ici, à l’ombre de notre hôte qui entre dans le vieil âge ?

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