Billet invité.
Un bref moment, une lueur d’espoir qu’une régulation possible de la finance puisse voir le jour brilla : ce fut le jeudi 21 janvier 2010, quand le Président américain Barack Obama fit savoir qu’il entendait s’attaquer aux géants de la finance. Il soutint en effet la proposition de Paul Volcker, ancien Secrétaire au Trésor, d’interdire aux banques de réaliser du trading pour compte propre et de réduire la taille des établissements financiers, afin d’éviter que cette taille justement ne serve d’alibi aux ‘TBTF’ (Too Big To Fail).
Après un (court) moment de réelle inquiétude (où les ‘valeurs financières’ plongèrent en bourse), les ‘marchés’ reprirent leurs activités, ‘business as usual’. Car il s’avéra rapidement que les conditions qui auraient pu permettre de faire passer cette (timide, mais prometteuse) réforme n’existaient plus : les démocrates avait perdu un siège au Sénat. Et comme le Président Obama s’escrimait à obtenir un accord à tout prix, même médiocre, qui relève donc d’un ‘bipartisanisme’ d’autant plus prégnant que la majorité manquait aux démocrates, la ‘Volcker Rule’ fut donc mort-née, étouffée par le cordon ombilical d’un système politique américain grippé, que seul l’exécutif américain aurait pu couper pour laisser vivre cette initiative.
Car le passage en force contre le filibustage au congrès d’une telle proposition de loi, toujours possible bien que relevant de l’utilisation de l’arme ‘nucléaire’ de la jurisprudence de la Cour Suprême, ainsi que l’utilisation d’Executive Orders par le Président (comme par Roosevelt dans les années 30) ne furent pas utilisés : la régulation financière attendra.
Qu’un homme comme Paul Volcker, ancien Secrétaire au Trésor, estimé, peu porté à jeter ‘le bébé avec l’eau du bain’, républicain, monétariste, du haut de ses 82 ans, ne puisse même pas initier réellement une présentation d’un projet de loi de ce niveau en dit long sur la puissance des lobbies en cour à Washington. Wall Street avait suffisamment payé les errements de la période Roosevelt selon elle, avec notamment le Glass Steagall Act, pour accepter que le moindre retour à un semblant de régulation ne se fasse jour.
Dont acte : système verrouillé, pour l’instant.
Mais qu’en était-il de l’autre côté de l’océan atlantique, en Europe ? Depuis le début de la crise, on a entendu de multiples discours, dont un mémorable du Président Nicolas Sarkozy à Toulon le 25 septembre 2008, qui entendait ’moraliser’ le capitalisme et le refonder. Tout un programme …
Mais là encore, de la coupe aux lèvres, il y eut une faille temporelle. On assista bien un temps aux ‘Traders, à la lanterne !’ et autres ‘Ah, tu verras, tu verras, les bonus ont les aura !’. Mais rapidement, de G7 en G20, de listes noires en listes grises des paradis fiscaux, la crise continua son petit bonhomme de chemin jusqu’à Delphes, où la terre européenne trembla et les pythies ensommeillées du néo-libéralisme se réveillèrent, proférant des choses incompréhensibles… tout et son contraire en somme.
Voyant progressivement l’espoir s’éloigner que l’Oncle Sam allait encore pouvoir initier une régulation financière dont il avait le secret et l’expérience, il fallut bien se rendre à l’évidence que l’Europe était seule en la matière et devait donc rechercher ses propres voies de réforme. Un rapide passage vers le Traité de Lisbonne ne laissait guère d’illusions : sur proposition du Conseil européen et de la Commission Européenne, une réforme constitutionnelle pouvait être engagée mais à l’unanimité des membres (étant donné qu’une telle réforme allait toucher aux bases de l’édifice et non seulement aux politiques européennes), ratifiée qui plus est pays par pays. Un verrou en béton, tant pour la BCE (qui a obtenu une personnalité propre depuis le Traité de Lisbonne) que pour le fameux article 123 du même traité, qui interdit à la BCE de prêter aux organismes publics, dont les Etats membres de l’UE.
On pourrait éventuellement penser à solliciter la Cour de Justice européenne, sur le sujet hautement improbable de l’existence d’une concurrence déloyale (l’un des champs de compétence de cette Cour) à l’égard des états de la BCE, qui lui interdit l’accès à ses financements tandis qu’elle ouvre ses bras largement aux banques. La procédure serait cependant longue (elle prendrait plusieurs années) et autoriserait de multiples recours, que ne manqueraient pas d’utiliser les ‘opposants’ – au premier rang desquels la Commission européenne – en ‘espérant’ que la crise s’éternise pour constater le résultat aléatoire de cette procédure.
Seul l’alinéa 4 de l’article 11 du Titre II du TUE (Traité de l’Union Européenne) permet la chose suivante:
4. Des citoyens de l’Union, au nombre d’un million au moins, ressortissants d’un nombre significatif d’États membres, peuvent prendre l’initiative d’inviter la Commission européenne, dans le cadre de ses attributions, à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu’un acte juridique de l’Union est nécessaire aux fins de l’application des traités.
Une ‘initiative’, conditionnée ‘aux fins de l’application des traités’. Fermez le ban.
Ce qui rejoint par ailleurs une autre disposition en droit constitutionnel français assez semblable, issue de la révision du 23 juillet 2008, sur le référendum d’initiative populaire inscrit dorénavant dans l’article 11 de la constitution française.
Mais une excellente (et très détaillée) analyse de ce dispositif par M. Emmanuel Gonnet nous apprend plusieurs choses sur la nature de ce dispositif.
Outre le fait que le référendum s’inscrit dans une tension, non résolue définitivement en droit interne, entre le peuple et le Président de la République, ce référendum est laissé à l’initiative d’un cinquième des membres du parlement et non aux citoyens (à l’inverse, par exemple, de ce qui ce passe en Suisse, notamment), soit plus de 180 élus, ce qui, tant sur la forme que sur le fond, ne manque déjà pas d’interroger sa pertinence à exister tout simplement.
Surtout, à supposer que 10% des électeurs inscrits sur les listes électorales (plus de 4 millions) aient à soutenir cette initiative (parlementaire), qu’une loi devra alors être EXAMINEE dans un délai imparti, sans quoi le Président de la République devra ordonner un référendum. Or, une simple inscription à l’ordre du jour suffirait à remplir la condition d’examen.
On constate donc, qu’en dehors d’une transformation politique majeure (ou d’un évènement subit et traumatique), tous les verrous institutionnels du système politique sont en place pour éviter que ne ‘surgisse’ l’imprévu populaire dans ses ‘débordements erratiques’, quant à une éventuelle régulation financière qui ne serait pas passée sous les fourches caudines des gouvernements et assemblées, institutions qui sont majoritairement dirigées actuellement par des partis dont rien ne laisse prédire qu’ils lèveront le petit doigt pour réguler quoique ce soit de majeur dans le monde ‘compliqué’ de la finance.
Dont acte : système verrouillé, pour l’instant.
Pour autant, l’analyse, fouillée, d’Emmanuel Gonnet, nous enseigne une chose importante, en particulier sur l’histoire de l’utilisation d’un tel fonctionnement ‘par défaut’, pendant la République de Weimar :
Cependant, la pratique du Volksbegehren révèle le potentiel politique de l’initiative populaire, y compris lorsqu’elle est vouée à l’échec comme cela semble sa destinée en France. Elle peut être une arme médiatique et mobilisatrice importante, susceptible d’attaquer la légitimité de la majorité parlementaire en remettant en cause son caractère représentatif de la volonté des citoyens.
Or, puisque le système verrouille juridiquement toute possibilité de régulation financière et ne laisse la place qu’au jeu politique issu des élections dont il faudra attendre les résultats en France en 2012, le référendum d’initiative populaire est paradoxalement un outil politique intéressant à court terme, à utiliser pour atteindre des buts politiques de mobilisation des citoyens sur ce sujet … avant ces élections législatives et présidentielles, afin que la régulation financière puisse figurer très fortement dans le paysage médiatique, politique et in fine, légal, en France.
Toute la question est donc de déterminer si cet ‘objet politique non identifié’ qu’est le référendum d’initiative populaire est ou non un des instruments à utiliser pour promouvoir l’idée de régulation financière, sachant que les choses s’accélèrent par ailleurs et que les rapports de force politiques sont actuellement en nette défaveur d’un tel projet, en France, comme dans le reste de l’Europe et aux USA. L’option politique, au sens de relais d’action par des partis politiques, incontournables dans le système actuel (comme on l’a vu plus haut, avec les restrictions d’accès au référendum populaire, notamment) peut être une option viable in fine, sachant que le résultat même de l’action légale en soi n’est pas essentiel.
Sinon, quel(s) outil(s) pour mener une action proposant une régulation de la finance nécessaire et de plus en plus urgente ?
A moins que le système ne soit tellement failli dans son ensemble qu’il n’y ait plus qu’à le laisser partir, avec ou sans nous, that is the question …
PS : les élections allemandes étant en 2013, celles américaines en novembre 2012 et les élections européennes étant passées (les prochaines seront en 2014), les élections françaises de 2012 seront donc les premières, après des élections anglaises de cette année qui devraient confirmer les Tories, venant ainsi renforcer le verrouillage du système (anglais qui ne sont pas inclus dans la zone euro). Ce qui laisse deux ans, presque mois pour mois, pour décider du choix de l’outil adapté pour porter un projet de régulation financière et agir en conséquence.
En démocratie, deux ans, c’est à la fois énorme et très peu.
151 réponses à “Ce qu’il reste de pouvoir au peuple, par zébu”
@ Louise et zebu,
en effet, ACTA, ca pue, et au vu de loopsi 2, la quadrature-du-net n’a rien pu faire cette fois ( cela dit, aux dernières nouvelles ils avaient besoin de soutien
pour continuer le combat…)
@miluz,
entretenez-vous des relations avec la quad. du net ??
On a vraiment besoin du travail que vous faites pour garder notre liberté sur le net… Merci encore ( un site en français, ce serait bien….:))
André Antoine, Ministre de l’Emploi en Région Walonne et membre d’un parti prétendu « humaniste » inteviewé par La Libre : Du travail avant la sanction pour les chômeurs
«AA: Je propose dès lors une alliance Fédéral-Régions-communes. Avec cette idée : ne peut-on pas faire en sorte que les chômeurs sur le point d’être sanctionnés puissent exercer une prestation d’intérêt collectif au profit des communes ? […]
LL: En cas de refus d’un travail d’intérêt collectif, ce serait la sanction ?
AA: Oui. Puisque ce travail est la dernière carte avant la sanction. »
La Belgique est-elle aussi nauséabonde que le gouvernement de Vichy?
Le service du travail obligatoire (STO) fut, durant l’occupation de la France par l’Allemagne nazie, la réquisition et le transfert contre leur gré vers l’Allemagne de centaines de milliers de travailleurs français, afin de participer à l’effort de guerre allemand (usines, agriculture, chemins de fer, etc.). Les personnes réquisitionnées dans le cadre du STO étaient hébergées dans des camps de travailleurs situés sur le sol allemand.
Avec la complicité active du gouvernement de Vichy (les travailleurs forcés français sont les seuls d’Europe à avoir été requis par les lois de leur propre État, et non pas par une ordonnance allemande, quoique cela puisse venir de la plus grande autonomie négociée par le gouvernement de Vichy par rapport aux autres pays occupés), l’Allemagne nazie imposa la mise en place du STO pour compenser le manque de main-d’œuvre dû à l’envoi de ses soldats sur le front russe.
…
Oui, mais non tout de même!
Organisation Internationale du Travail
C29 Convention sur le travail forcé, 1930 Ratifiée par Belgique le 20:01:1944
Cette convention fondamentale interdit toute forme de travail forcé ou obligatoire qu’elle définit ainsi: « Tout travail ou service exigé d’un individu sous la menace d’une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s’est pas offert de plein gré ». Des exceptions sont prévues pour un travail exigé dans le cadre du service militaire obligatoire, faisant partie des obligations civiques normales ou résultant d’une condamnation prononcée par une décision judiciaire (à la condition que ce travail ou service soit exécuté sous la surveillance et le contrôle des autorités publiques et que l’individu ne soit pas engagé par des particuliers, compagnies ou personnes morales privées ou mis à leur disposition), dans les cas de force majeure ou pour de petits travaux de village exécutés dans l’intérêt direct de la collectivité par les membres de celle-ci. La convention précise également que le fait d’exiger illégalement un travail forcé ou obligatoire doit être passible de sanctions pénales et demande aux États qui ont ratifié la convention de faire en sorte que les sanctions pertinentes prévues par la loi soient appropriées et strictement appliquées.
C105 Convention sur l’abolition du travail forcé, 1957 Ratifiée par Belgique le 23:01:1961
Cette convention fondamentale interdit le travail forcé ou obligatoire en tant que mesure de coercition ou d’éducation politique ou en tant que sanction à l’égard de personnes qui ont ou expriment certaines opinions politiques ou manifestent leur opposition idéologique à l’ordre politique, social ou économique établi; en tant que méthode de mobilisation et d’utilisation de la main-d’œuvre à des fins de développement économique; en tant que mesure de discipline du travail; en tant que punition pour avoir participé à des grèves; et en tant que mesure de discrimination raciale, sociale, nationale ou religieuse.
…
Déclaration universelle des droits de l’homme:
Article 4
Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude; l’esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes.
Article 23
1. Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage.
Article 25
1. Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté.