Billet invité.
L’annonce du projet de Loi « visant à instituer de nouvelles libertés, et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs » par le gouvernement a déclenché une vague de contestation aussi importante qu’inattendue.
Il est vrai que ce projet n’est que l’aboutissement d’un long cheminement législatif, dont les précédentes étapes n’avaient pas jusque-là engendré de telles réactions.
Il est donc nécessaire d’examiner en détail ce projet, tel qu’il a été déposé (étant entendu que le gouvernement a d’ores et déjà annoncé des modifications pas encore disponibles à ce jour). Au-delà des contestations, parfois excessives, on découvre alors la réalité d’une véritable révolution du droit du travail, dont les effets sont loin d’être maîtrisés malgré les annonces de ses propres concepteurs.
Les développements qui suivent reprennent sans exhaustivité certaines dispositions sous un angle de technique juridique. Les lecteurs peu intéressés peuvent directement lire la partie sur la vraie nature du projet de loi et la conclusion plus bas.
Une loi qui n’est que la dernière étape d’un long processus de réformes successives :
En réalité, il faut une certaine mauvaise foi pour être surpris des principes de cette nouvelle loi, dont l’architecture a été annoncée dans le rapport de la Commission Badinter remis au Premier ministre en janvier 2016, qui a défini les 61 principes juridiques essentiels, auxquels il ne sera pas possible de déroger (61 principes scrupuleusement repris par le projet de Loi El Khomri).
La structure du droit du travail retenue par ce projet découle des conclusions d’une précédente commission, la Commission Combrexelle, qui avait remis son rapport le 9 septembre 2015. Il suffit de relire les conclusions de ce rapport pour y trouver le cœur de la réforme actuelle. Là encore, peu de réactions à l’époque alors que les objectifs et moyens de cette énième « modernisation » du droit du travail était déjà transparents.
Le projet de Loi El Khomri constitue donc la dernière étape d’une véritable révolution du droit du travail, poursuivie par petites touches dans une succession de réformes.
Il s’est agi de transformer un droit du travail reposant sur la Loi, un code regroupant un nombre important de règles diverses, par un droit formé de normes négociées dans les entreprises ou les branches d’activité entre partenaires sociaux.
Et tout a commencé en 2003, lorsque revenant sur la tendance législative précédente durcissant les licenciements économiques (dont la dernière expression a été la Loi du 22 janvier 2002), une Loi n° 2003-6 du 3 janvier 2003 portant relance de la négociation collective en matière de licenciements économiques est venue autoriser « à titre expérimental » des accords de méthode dérogeant à certaines dispositions du code du travail en matière de consultation du comité d’entreprise dans une procédure de licenciement collectif pour un motif économique.
Puis le dispositif « expérimental » et limité à des cas très particuliers a été étendu.
C’est en 2004, qu’une mesure « technique » a inversé la hiérarchie des normes. Il s’agissait à l’époque de donner la priorité à l’accord d’entreprises sur l’accord de branche. Désormais, dans certains domaines, dont la durée du travail. Il suffit de lire l’agit de l’article 42 de la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, disposition perdue au milieu de nombreuses autres pour constater que là se place le premier jalon important d’une démarche dont le projet de Loi El Khomri est l’aboutissement.
Avec une rare et étonnante constance, nonobstant les vicissitudes de la vie politique, malgré les alternances, les réformes successives du droit du travail vont chacune avancer dans le chemin ouvert en 2003 vers une « conventionnalisation » du droit du travail. Nous citerons notamment :
- La Loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale (qui dans son article 62 rend possible par accord de branche de déroger aux règles du licenciement économique pour des contrats particuliers de mission à l’export)
- La Loi n° 2005-296 du 31 mars 2005 portant réforme de l’organisation du temps de travail dans l’entreprise (qui permet par accord de déroger à certaines règles sur la durée du travail, dont le contingent annuel d’heures supplémentaires)
- La Loi n° 2007-1224 du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs (qui prévoit l’obligation de négocier un accord cadre pour encadrer le droit de grève dans les entreprises de transport)
- La recodification du code du travail en 2008 ;
- La Loi n° 2008-351 du 16 avril 2008 relative à la journée de solidarité
- La Loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail
- La Loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail ;
- La Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi (avec les accords de maintien dans l’emploi et les indemnités forfaitaires lors d’une conciliation devant le conseil de prud’hommes)
- La loi n°2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, l’emploi et la démocratie sociale (qui sans avancer à modifié le cadre juridique des organisations syndicales et leur financement)
Ce mouvement s’est accéléré avec les Lois parues au cours de l’été 2015, à savoir :
- La Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques dite « Loi Macron » qui comporte des possibilités de dérogation par accord aux dispositions légales
- La loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi dite « Loi Rebsamen » qui créé des possibilités de dérogation par accord collectif d’entreprise ou de branche à des dispositions relatives au fonctionnement des Instances représentatives du personnel
On constate donc que le mouvement vers la « conventionnalisation » complète du droit du travail, entamé depuis 2003 s’est brutalement précipité depuis 2014. Et alors que le Président de la République s’était engagé en septembre 2015 à achever cette réforme de manière prudente et sans précipitation, le gouvernement n’aura pas attendu 6 mois pour présenter son projet de loi, qui achève la transformation du droit commencée il y a 13 ans.
Il faut relever que que ce mouvement vers une « conventionnalisation » intégrale du droit du travail trouve sa source plus loin encore que 2003, puisque faire de la négociation collective la source principale du droit du travail, était un des objectifs des réformes Auroux de 1982, même si à l’époque, ce but n’était sûrement pas envisagé avec les méthodes et les orientations retenues en 2016.
En conclusion, on ne peut que déplorer que les personnes qui contestent aujourd’hui, se réveillent si tardivement, face à une évolution entamée depuis bien longtemps, et avec un objectif transparent.
En réalité, la situation actuelle présente une complexité et une instabilité qui rendent indispensables une nouvelle réforme : les exceptions et dérogations successives à la Loi, qui se sont superposées au gré de ces réformes désordonnées et incomplètes (parfois même incohérentes), rendent la situation intenable d’un strict point de vue technique.
Les contentieux augmentent simplement du fait du manque de lisibilité de la Loi et son imprévisibilité engendre des situations préjudiciables aussi bien aux salariés qu’aux entreprises.
Ce qui peut être sauvé de cette réforme :
Commençons d’abord par les aspects positifs d’un projet qui va très loin dans les bouleversements du droit, qu’il s’agisse de sa structure comme de son contenu.
On va vite se rendre compte que ces éléments sont bien moins nombreux que ceux qui sont critiquables ou négatifs, mais l’honnêteté impose d’en faire part.
Le projet réorganise l’architecture du droit du travail :
- 61 principes non négociables (repris dans des dispositions d’ordre public)
- Les domaines dans lesquels des accords négociés vont définir les normes (détaillé dans le « champ de la négociation collective »)
- A défaut d’accord, les règles subsidiaires applicables (dites « dispositions supplétives »)
Cette structure est logique, et les projets d’articles L. 2253-5 et L 2253-6 par exemple, ont le mérite de la cohérence en rendant définitive et général la nouvelle hiérarchie des normes, concrétisation d’une évolution de 13 ans.
Nous avons vu que le principe de dérogations aux règles légales par des accords négociés au niveau des entreprises ou des branches d’activité est aujourd’hui bien ancré. On peut le contester, mais ce n’est alors pas simplement ce projet qu’il faut combattre mais beaucoup de dispositions de Lois maintenant anciennes, et largement intégrées par les acteurs.
S’il paraît difficile de revenir sur cette évolution, nous verrons que rien n’oblige le gouvernement à modifier de manière aussi systématique les règles actuelles, et notamment il serait tout à fait possible de reprendre dans les règles subsidiaires, les règles actuelles, et non des normes « supplétives » souvent moins favorables aux salariés. Nous verrons aussi que les modifications fondamentales aux règles applicables à ces accords collectifs engendrent complexité et instabilité.
Le projet comporte également quelques modifications aux règles actuelles qu’il est difficile de critiquer dès lors que l’on s’est confronté aux difficultés, voire impossibilités qu’elles engendrent dans la vie quotidienne des salariés et des entreprises.
D’abord, la modification des règles relatives aux astreintes. Les règles actuelles aboutissent à des situations insolubles, notamment du fait de l’application de la règle imposant un repos quotidien des 11 heures consécutives. Le fait d’obliger à respecter ces 11 heures de repos, amène en pratique des salariés effectuant des astreintes à ne plus pouvoir travailler selon leurs horaires habituels la journée. Nous avons là un exemple typique des défauts d’une règle légales trop abstraite et trop rigide : imaginons un salarié travaillant 7 heures par jour selon l’horaire 8-12h/14-17h effectuant une intervention de 23h à 24h lors d’une astreinte la nuit suivante. Pour respecter l’obligation des 11 heures de repos consécutives, il doit reprendre son poste qu’à 11h le lendemain, tout en devant travailler 7h selon des horaires décalés (ou réduire ses horaires et perdre le salaire correspondant).
Il est donc logique que pour les astreintes, l’obligation du repos quotidien de 11heures consécutives soit adaptée, mais la règle des 11 heures de repos consécutif quotidien pouvait rester applicable aux autres salariés, auxquels elle ne posait aucun problème pratique.
De même, la remise en cause de la durée minimale de travail des temps partiel (fixée précédemment de manière absolue à 24 heures par semaine depuis 2014) va permettre de résoudre les difficultés liées à une mesure qui a déjà engendré plusieurs réformes (3 textes différents depuis 2013), et qui frappent certains secteurs d’activité par sa rigidité (les organismes privés de formation par exemple…). Il faut regretter que cette durée minimale reste soumise à la conclusion d’un accord collectif. Il aurait été tout à fait envisageable de prévoir la possibilité pour toutes les entreprises d’y déroger avec des compensations salariales au bénéficie des salariés employés moins de 24 heures par semaine. Le vrai problème des salariés à temps partiel n’est en effet pas un problème de durée minimale du travail (pas toujours possible selon les entreprises et les activités) que de pouvoir d’achat (par exemple il faut rappeler que les contrats inférieurs à 11 heures par semaine n’ouvrent pas droits aux prestations en espèce de la sécurité sociale – pour un taux de cotisation pourtant équivalent).
Nous pouvons aussi citer dans les points positifs, la possibilité de modifier les heures de travail de nuit pour certaines activités « nocturnes » comme un point positif.
Egalement, retenons la possibilité de conclure des accords collectifs par référendum. Là encore l’idée est par principe bonne mais il est très regrettable que ces référendums ne soient prévus que pour contourner l’opposition d’un syndicat majoritaire. En effet, le projet ne prévoit des référendums que pour les accords signés par des syndicats minoritaires (30%) pour éviter l’opposition d’un syndicat majoritaire. Ces référendums sont donc limités à la demande des minoritaires (article 12 du projet – article L. 2232-12 du code du travail). Pourquoi ne pas le prévoir dans tous les cas ? Pourquoi ne pas rendre possible une demande d’un référendum de syndicats majoritaires ?
Enfin, le projet comporte un titre complet sur le Compte Personnel d’Activité, qui représente une réforme importante, mais pas définitive, sur un sujet nécessaire pour adapter les droits individuels des salariés aux évolutions du marché du travail et des carrières (on peut citer aussi l’extension du CPF aux travailleurs indépendants et professions libérales et à leurs conjoints).
Ce qui doit être rejeté dans ce projet :
Contrairement aux dispositions positives et utiles, le compte-rendu détaillé des mesures du projet qui sont critiquables, aussi bien du point de vue des salariés que des employeurs, est bien trop important. Il serait fastidieux et épuiserait la patience du lecteur le plus motivé.
Nous proposons de procéder par remarques générales.
Le projet pose trois problèmes principaux :
- Il remet en cause un nombre très important de règles du droit du travail, communément admises, et cela sans aucune justification économique.
Si les règles actuelles peuvent être trop rigides pour certaines activités ou situations, le projet de loi n’y remédie pas par des dérogations limitées et adaptées, mais les remet en cause de manière globale et systématique. En réalité, le vertige saisit le praticien du droit devant l’ampleur de la révolution, tout y passe : la durée du travail, le temps partiel, les heures supplémentaires, les congés payés, les congés pour évènement familiaux, les congés divers, les repos, les jours fériés, etc.
Désormais tout pourra être renégocié « à la baisse », dans la limite des dispositions d’ordre public, qui parfois se limitent à rappeler le principe du droit sans imposer aucun plancher ou montant (par exemple, rien sur les majorations pour travail les jours fériés).
- Le projet reste d’un étonnant conservatisme en ce qui concerne les partenaires à la négociation collective : alors qu’il se montre d’une grande capacité d’innovation pour réduire ou supprimer moult avantages alloués aux salariés, la négociation d’un accord collectif reste du seul ressort des syndicats. Les entreprises dépourvues de représentants syndicaux sont laissées de côté, soumises aux règles supplétives, qui sont parfois très vagues ou très contraignantes.
Le projet fait ainsi la part belle aux organisations syndicales dont les moyens matériels et humains sont augmentés – y compris l’usage du réseau internet de l’entreprise (la mobilisation de ces organisations contre ce projet devra donc être appréciée à l’aune de ces avantages substantiels accordés aux syndicats alors que ceux accordés par la Loi aux salariés sont réduits sur une ampleur inédite).
- Le projet amène sous un vernis de modernité (l’adaptation à l’ère du numérique) une régression générale des droits des salariés. Au-delà d’un droit à la déconnexion qui devra faire l’objet d’une négociation d’entreprise (le projet ne fixe étonnamment aucune disposition supplétive, ni aucune obligation pour les entreprises de moins de 50 salariés), on constate que le projet comporte des dispositions de nature à réduire les éléments d’information des salariés (dématérialisation du bulletin de paie), ou limiter les risques en cas de contentieux prud’homal (plafonnement des indemnisations).
Il convient de s’appesantir plus spécifiquement sur cette question des plafonds d’indemnisation. Rappelons tout d’abord que cette disposition risque de ne pas passer le filtre du Conseil constitutionnel, sans réserves qui la rendrait inutile et compliquée. Dans le projet actuel, les niveaux d’indemnisation sont exclusivement liés à l’ancienneté (et à l’âge) sans tenir compte de la taille de l’entreprise. De plus il faut comprendre que ces plafonds ont de fortes chances de devenir des « planchers » dans les Conseils de prud’hommes.
C’est ainsi que si une indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse à hauteur de 6 mois de salaire peut paraître faible pour un salarié entre 2 et 5 ans d’ancienneté, elle est exorbitante pour une entreprise de très petite taille – par exemple l’entreprise de moins de 10 salariés.
Les TPE risquent donc d’être fortement impactées par ces indemnisations dont le plafonnement peut en pratique amener le Juge à augmenter le montant des condamnations.
Et pour les grandes entreprises, habituées à être confrontées à des demandes d’indemnités élevées, le plafonnement risque paradoxalement de réduire le montant de provision fiscale pour contentieux.
Enfin, ces plafonds sont fixés par la Loi, alors qu’ils auraient pu être laissés à la négociation collective, suivant ainsi la logique générale du projet de loi El Khomri.
La vraie nature du projet de Loi El Khomri :
Contrairement aux apparences, et au-delà des évolutions lourdes du droit du travail rappelées ci-dessus, ce projet de Loi révèle sa véritable nature, qui peut être abordée sous trois aspects.
D’abord, il s’agit de transformer le statut social des salariés en une variable d’ajustement, à la baisse, dans la production de richesses au sein d’une entreprise.
On est en droit de s’interroger sur la logique qui préside à une politique qui a fait de la réduction des contraintes à l’emploi et au licenciement de salariés, la clé de voute de toute lutte contre le chômage.
Comment imaginer que baisser le nombre de jours accordés aux salariés pour un évènement familial exceptionnel, comme le décès d’un enfant ou d’un parent, va amener à des embauches réduisant le chômage?
Quel peut être l’enjeu en matière de lutte pour l’emploi de faciliter (de manière très relative en pratique) les licenciements économiques au sein des Groupes internationaux de sociétés ?
En quoi la suppression de la visite médicale d’embauche obligatoire va réduire le nombre de chômeur inscrit en catégorie A ?
Constatons qu’une nouvelle fois, comme par exemple avec la Loi de réforme constitutionnelle sur l’état d’urgence et la déchéance de nationalité, le gouvernement montre avec ce projet son incapacité totale à la dimension symbolique de son action. Nous sommes confrontés depuis maintenant plusieurs décennies, et pour des raisons que les historiens devront analyser, à une absence dramatique de maîtrise des symboliques politiques par nos dirigeants dans leur ensemble.
Au-delà de ce constat, il faut relever que malgré un vernis de « modernité » et d’adaptation « technique » à une « réalité », le projet de loi El Khomri découle avant tout d’un choix éminemment idéologique.
Or, et c’est là le cœur du problème, à aucun moment dans les programmes politiques de la majorité actuellement au pouvoir, ce choix n’a été assumé ou clairement énoncé devant les électeurs. L’idéologie sous-jacente au projet de Loi El Khomri souffre donc d’un déficit de légitimité démocratique d’autant plus gênant que ce projet constitue, comme nous l’avons énoncé à plusieurs reprises une véritable « révolution » du droit du travail.
Franchir la dernière étape dans la « conventionnalisation » du droit du travail pouvait se faire de manière bien différente, et non dans une surenchère idéologique au « moins-disant » dont ni les syndicats, ni les entreprises ne profiteront pas, et à laquelle jamais les électeurs ont donné leur accord direct dans des formes démocratiques.
Le deuxième élément sous-jacent à ce projet de Loi : une rupture d’égalité extraordinaire entre les entreprises.
Bien pourvus en organisations syndicales s’équilibrant (ou se concurrençant), et bénéficiant de moyens les rendant plus compréhensives à la négociation, les grandes entreprises et les grands groupes vont pouvoir pleinement profiter de toutes les possibilités offertes par ce projet de loi pour « déconstruire » le droit du travail.
Grâce à des accords négociés d’abord au niveau de l’entreprise, de l’unité économique et sociale ou du groupe, on va donc assisté à une réduction des avantages de certaines catégories de salariés, tout en augmentant ceux d’autres catégories.
Mais seulement pour les grandes entreprises (en théorie plus de 50 salariés, en pratique plutôt plus de 300 salariés tant la syndicalisation est réduite en France aujourd’hui), les PME et TPE elles, resteront soumises à un droit commun, certes parfois en retrait par rapport au droit actuel (mais pas toujours), mais toujours plus élevé que le statut social que choisiront d’instaurer les grandes entreprises ou groupes.
L’exemple des heures supplémentaires est flagrant – même s’il n’est pas nouveau : tandis que les grandes entreprises pourront réduire la majoration à 10%, les TPE/PME sans organisations syndicales resteront à une majoration de 25 % passant à 50% au-delà de la 44ème heure. De même, les grands groupes fixeront par accord le contingent annuel d’heures supplémentaires, imposés par décret pour les PME/TPE.
Il en est ainsi pour de nombreux domaines : la dérogation au repos de 11h continu (ouverte par accord à des hypothèses plus importantes que le surcroît exceptionnel d’activité), le temps partiel (24 heures minimum sans accord collectif), les droits à congés spéciaux, etc.
En réalité, le droit du travail va devenir un élément de concurrence déloyale entre les grandes entreprises et les PME (99,8 % des entreprises) et les TPE (95% des entreprises).
Là encore, il aurait été possible de procéder différemment, soit en imposant aux négociations de ne pas être moins favorable que les dispositions supplétives, soit en ouvrant la possibilité de négocier avec d’autres interlocuteurs, voire en procédant par référendum des 2/3 comme dans les accords d’intéressement (on pourrait imaginer un contrôle de ces accord atypiques par l’inspection du travail ou une commission paritaire comme cela se fait déjà). Mais cela aurait alors porté atteinte aux intérêts des Syndicats, et à leur monopole sur la négociation d’accord collectif.
Le troisième et dernier élément est que le projet de loi El Khomri va instaurer une grande instabilité et une complexité excessive du droit du travail
Aux antipodes de l’objectif que devrait poursuivre une réforme du droit du travail en 2016, force est de constater que les modifications importantes dans les règles applicables aux accords collectifs, qui deviennent dans le projet systématiquement à durée déterminée et renégociable va engendre une instabilité aggravant la complexité.
Instaurer une « conventionnalisation » intégrale du droit du travail est déjà source de conflit et de complexité, notamment parce que cette « conventionnalisation » se fait en priorité au niveau de l’entreprise. La norme sociale peut ainsi être différente dans chaque (grande) entreprise différemment, même lorsqu’elles appartiennent à la même branche d’activité.
Mais le projet de loi El Khomri va plus loin en modifiant les règles applicables aux accords collectifs, à leur durée comme aux règles de révision ou de maintien des avantages acquis.
Aux conflits de normes entre entreprise vont donc s’ajouter des conflits de normes dans le temps au sein d’une même entreprise.
L’instabilité des règles définies par accord collectif est donc aggravée, ce qui ne peut être considéré comme un progrès juridique, et n’a aucune justification ni technique, ni politique.
La situation du droit du travail actuelle est trop complexe, ce qui rend indispensable une réforme, mais la manière dont le projet de loi El Khomri procède ne résout pas le problème de complexité mais l’aggrave même.
Conclusion
La conclusion de l’analyse du projet de loi El Khomri impose de passer outre aux assauts d’outrances et de mauvaise foi de part et d’autre. Comme le lecteur l’aura constaté, il découle d’une démarche ancienne et certaines de ses dispositions posent moins problème sur le principe que sur la manière dont elles sont conçues et rédigées.
Pour autant, ce projet de loi El Khomri va créer des situations dramatiques du point de vue économique et social.
Il va modifier profondément les droits et le statut des salariés des grandes entreprises (ou celles rattachées à un grand groupe), et rompre l’égalité entre les salariés, comme entre les employeurs, selon la taille des entreprises. Et ce ne sont pas les mesures sur l’aide au conseil et à la négociation dans les entreprises dépourvues de syndicats qui vont pallier ce déséquilibre très important en pratique.
Déjà avantagées fiscalement, bénéficiant du soutien de conseils experts et efficaces, les grandes entreprises vont pouvoir réécrire à leur convenance, et au prix de quelques concessions matérielles allouées aux syndicats, le droit du travail.
Les petites et moyennes entreprises indépendantes, quant à elles, resteront soumises à des contraintes que l’on aura remises en cause qu’au profit des plus grosses, mais en leur nom.
L’impact économique en termes de pression financière et sociale sur les sous-traitants et les employeurs indépendants n’est donc absolument pas maîtrisé.
De même, la démarche juridique qu’il achève n’est que le masque d’un choix idéologique profondément opposé aux avantages alloués aux salariés. « Conventionnaliser » le droit du travail pouvait se faire de différentes manières, et celle retenue n’a aucune justification technique et tire toute sa raison d’être des postulats idéologiques de ses concepteurs.
Enfin, ce projet de loi El Khomri ne s’attaque pas aux vrais problèmes, à commencer par la disparition du travail humain, mais présente des risques d’aggravation importante de la situation économique et sociale, particulièrement dans le tissus des PME / TPE, pourtant fortement créatrices d’emplois.
Et la dégradation de la situation économique et sociale a des conséquences dans le domaine de la Sécurité et de la lutte antiterroriste importantes et que l’on ne peut ignorer. Dans un contexte où notre Société est confrontée violemment à son incapacité à offrir à sa jeunesse un avenir, un tel projet constitue en réalité une réponse inadaptée et dangereuse.
Pour continuer :
Une critique détaillée (mais parfois très contestable) de la Loi par mon confrère David Van der Vlist :
https://www.youtube.com/watch?v=wE2OEgLkRkM
Un article reprenant les explications (aussi contestables) de plusieurs spécialistes du droit du travail :
La ‘crise de Cuba’ se poursuit actuellement sur un plan économique, la destruction est en cours, la population la plus…