Retranscription de Le temps qu’il fait le 12 février 2016. Merci à Marianne Oppitz !
Bonjour, nous sommes le vendredi 12 février 2016. Et je ne sais pas s’il vous est arrivé d’écrire des livres, et puis d’avoir eu la chance qu’on les publie, parce que, au départ, si vous n’êtes pas connu, c’est une véritable loterie. Il faut que quelqu’un prenne votre manuscrit, aille le déposer avec un petit mot sur le bureau de l’éditeur en disant : ‘C’est essentiel, il faut absolument publier cela !’. Il faut que la personne qui écrit le petit mot soit connue de l’éditeur en question pour que ça se passe.
Après, devient plus simple, parce qu’on vous connaît. On vous publie même des vieux manuscrits à vous, en vous disant : ‘C’est génial’ ! et on vous demande : ‘Pourquoi ne me l’avez-vous pas envoyé avant ?’
Et vous dites : ’Mais je vous l’avais envoyé avant.’
Ah bon ?
Ben oui, je vous l’ai envoyé il y a 10 ans.
Ah, bon, je devais être distrait ce jour là.
Ben, oui, vous étiez distrait ce jour là.’
Enfin, voilà, cela finit par arriver quand vous êtes connu par les éditeurs, on vous publie. C’est une chance, les gens peuvent vous lire et réagir à ce que vous avez écrit. Ils peuvent faire des commentaires et c’est un dialogue qui s’installe autour d’un livre. Pour autant que le livre intéresse le public, cela devient un cerveau collectif. Cela devient quelque chose dont on parle, cela devient un objet de discussion.
Pendant tout le temps où l’on écrit, on a le nez dans le guidon et ça continue encore pendant un moment. On dépose le manuscrit et puis on vous le renvoie avec des suggestions de la part de l’éditeur, de changer ceci ou ça, etc. Et c’est un travail de relecture important. Parfois les éditeurs font des corrections qui sont utiles à l’auteur. Le plus souvent ce sont des malentendus, ce sont des contresens qui sont introduits et qu’il faudra traquer, après, parce qu’ils peuvent rester encore un moment pendant la relecture. Ils peuvent se retrouver dans les premières épreuves. Les premières épreuves sont composées comme le livre qui sera vendu. Mais on sait qu’il y a encore beaucoup de choses qu’il faudra changer. Et puis, finalement, il y a les secondes épreuves, les deuxièmes épreuves, celles qui donnent lieu, après relecture, au B.A.T, le bon à tirer. L’auteur finit par avoir tout lu, il regarde aussi la couverture, et il donne le bon à tirer. Et voilà, c’est parti, ça part pour l’imprimeur.
Alors, pour « Le dernier qui s’en va éteint la lumière’, j’en suis au milieu de la lecture des secondes épreuves. Avec un peu de chance, en fin de journée, je pourrai envoyer le bon à tirer. Je vous montrerai déjà la couverture, la quatrième de couverture. La couverture, vous l’avez déjà vue. La quatrième de couverture, c’est le petit texte qui se trouve derrière pour essayer de vendre le livre.
Et pendant tout le temps que vous avez le nez dans le guidon, eh bien, cet objet est quelque chose d’insaisissable. On ne sait plus où on en est. Il arrive parfois que l’on remette dans un chapitre des choses que l’on a déjà dites. Il faut aller vérifier ça, c’est quelque chose de très désorganisé. Et puis finalement, cela finit par émerger. Pendant tout ce temps là, vous ne voyez pas votre texte. Vous ne le voyez pas.
Mais quand arrivent les deuxièmes épreuves, à ce moment là, vous avez un texte qui est pratiquement parfait. Il ne faut plus que le relire pour trouver des petites erreurs qui subsistent encore ici et là. Je suis en train de le faire et il y aura encore une liste de 4 ou 5 petites choses, ici ou là, qu’il faudra modifier. Mais l’auteur a la possibilité sur les deuxièmes épreuves, de lire le livre comme s’il s’agissait de celui de quelqu’un d’autre. Ce n’est pas évident, bien entendu, parce qu’on connaît déjà bien le sujet. Cela fait déjà un moment qu’on le lit, mais on peut le lire d’une traite, en se demandant l’effet que fera ce livre sur le public.
Ce livre là, ‘Le dernier qui s’en va éteint la lumière’ que l’éditeur a sous-titré ‘ Essai sur l’extinction de l’humanité’, moi j’aurais peut-être mis ‘le genre humain’, mais c’est la même chose, je n’ai pas la moindre idée de comment il va être reçu. Keynes, je savais, là, ‘Penser l’économie avec Keynes‘, c’est une attaque frontale de la science économique. Je propose vraiment autre chose à la place, je savais que ce serait l’omerta, qu’on n’en parlerait pas parce que c’est trop dangereux qu’on en parle pour un grand nombre de personnes. Alors on en parle un petit peu, je crois qu’on finira par en parler, parce que c’est un bon livre qui remet pas mal de choses en place sur notre compréhension de l’économie.
Mais celui-ci, le dernier, celui qui va paraître le mois prochain, je ne sais pas du tout comment ça va être reçu. J’ai écrit un truc et je l’explique, cela peut être lu de deux manières. Cela peut être lu comme un brûlot, comme un cri d’alarme, comme une bombe, en disant : ’Voilà, nous allons droit vers l’extinction, cela ira très, très vite. Si l’on ne bouge pas, il va se passer telle et telle chose’.
On peut aussi le lire en se disant qu’il n’y aura pas de rébellion, il n’y aura pas de réaction. Ce sera un livre qui passera relativement inaperçu, On dira : ‘Oui, c’est un Cassandre, on le savait déjà.‘ Mais dans ce cas là, le livre n’est pas à jeter, parce que dans ce cas, ce sera, et je l’ai fait dans cette perspective la, aussi, au cas, où cela ne marcherait pas ce serait comme un cri d’alarme, ce serait comme une consolation, on disait ça autrefois. On disait cela de certains écrits, ce sont des consolations.
C’est un portrait que j’appelle véridique. Bon j’ai déjà écrit un livre sur la vérité, je sais ce que j’entends par là. Vérité sur la condition humaine : où nous en sommes. C’est un regard, je dirais, on peut le dire, pessimiste, vraiment désenchanté, parce que cela montre que nous sommes vraiment très, très mal outillés psychiquement, historiquement, du fait de notre système économique et financier, de notre système politique, nous sommes très, très mal outillés face à cette menace d’extinction. Il est plus que probable qu’il ne se passera rien du tout et qu’on ira droit dans le mur. Le scénario est déjà écrit.
Mais, sinon, s’il ne se passe rien, on peut lire le livre comme une épitaphe. Epitaphe douce amère, sur le sort de notre espèce. Alors j’espère quand même que les gens qui ont des enfants, qui pensent à l’avenir, que les gens se rebelleront. Que ce sera un peu comme ce film ‘ Network’, vous vous souvenez, ce gars qui n’en peut plus, qui dénonce, qui montre que tout est bloqué partout, que tout est verrouillé. Qu’on nous empêche sur le plan politique, économique et financier d’avoir la bonne réaction, la réaction qui sauverait. Tout ça est verrouillé absolument. Alors, j’espère que les gens vont éclater, qu’ils vont dire : « I’m mad as hell and I can’t take this anymore ».(tout cela me rend absolument dingue, je n’en peux plus et je vais tout casser). Vous vous souvenez de cette scène, je l’ai déjà souvent montrée sur le blog.
J’espère que cela va se passer comme ça. J’espère que c’est comme ca que les gens réagiront, par une rébellion contre ce truc où nous nous trouvons. Parce que nous sommes une espèce qui a des ressources, et nous le montrons très bien, je dirais, sur le mode ‘machinique’. On a quand même inventé l’ordinateur, on a quand même inventé le logiciel et le robot. C’est quand même une prouesse. Nous sommes quand même parvenus à prolonger une vie qui n’a qu’un nombre de battements de cœur limité. Nous sommes quand même arrivés à la prolonger. Nous sommes parvenus à rendre notre séjour sur terre beaucoup plus confortable qu’avant. Nous pourrions faire la même chose sur le plan économique, politique et financier si ces systèmes n’étaient pas complètement verrouillés. Et pour faire quoi ? C’est ce que j’essaye de démontrer : pour nous mettre sous la domination d’objets. Pour faire que les objets nous dominent. Et demain ce seront des machines, c’est déjà en train de se faire.
C’est faire qu’un tas d’or détermine notre comportement. C’est faire des esclaves d’un tas d’or. Et si nous n’avons pas ce tas d’or, faire que nous soyons éperdus dans une course à nous constituer ce tas d’or. Si nous l’avons, il faut le maintenir. Et tout ça, c’est nous voler notre esprit, c’est nous voler notre capacité à réfléchir. Il faut qu’on sorte de ça.
Les grandes religions nous ont vendu des fadaises, en nous disant ‘rien n’est comme cela apparaît’. Si, si, tout est comme cela apparaît. Hier, Monsieur Einstein qui nous avait dit ‘cela se passe comme ça’, eh bien, il y a une preuve de plus que cela se passe comme il nous l’avait dit. Il y a moyen que l’on ouvre les yeux, Monsieur Einstein nous a montré qu’il y a moyen d’ouvrir les yeux. Et dans cette année miraculeuse, je crois que c’est en 1909 [Non !], ou 1905 [Oui !], il y a tous ces articles qui ont révolutionné la manière dont nous pouvons voir le monde, de la même manière que Monsieur Aristote – Ah, c’est bien de dire Monsieur Aristote 😉 – Monsieur Aristote nous avait ouvert les yeux sur beaucoup de choses.
Il y a moyen d’ouvrir les yeux. Il n’est pas nécessaire que ce livre soit simplement une épitaphe. Voilà, vous le lirez, j’espère que vous le lirez. Les lecteurs du blog ont déjà lu des petits morceaux ici où là. Je vous montre la quatrième de couverture et puis voilà. Ce soir j’espère, ça partira chez l’éditeur. Ce sera plutôt lundi matin. Voilà, j’aimerais bien que vous le lisiez et que vous soyez parmi ceux qui n’adopteront pas une attitude défaitiste, qui diront : il faut se rebeller. Voilà, à bientôt, à la semaine prochaine.
1) On peut utiliser des bombes nucléaires pour stériliser l’entrée d’abris souterrains (au sens galeries bien bouchées, comme au sens…