Retranscription de Le temps qu’il fait le 5 février 2016. Merci à Olivier Brouwer !
Bonjour, nous sommes le vendredi 5 février 2016, et le moment est venu, vous l’avez compris, de prendre les choses en mains ! J’interviens, ces jours-ci, et plusieurs autres personnes parmi les gens qui écrivent d’habitude des billets sur le blog de Paul Jorion interviennent, pour susciter une candidature à la présidentielle, en France, de Monsieur Thomas Piketty. Lui, il dit qu’il n’a pas vocation à faire ça, mais on est tout à fait d’accord : il n’a pas du tout vocation à faire ça ! et c’est pour ça qu’il serait un excellent candidat, et en plus, un excellent président.
On me dit : « Oui, mais il dit, il dit : ‘J’ai pas vocation à faire ça !’ », et je rappelle à ces gens-là d’écouter l’émission sur France-Culture, avant-hier, où on me demande à un moment donné : « Pourquoi est-ce que Keynes était un excellent économiste ? » Et j’ai répondu : « Parce qu’il n’avait pas vocation à être économiste ». Il n’était pas économiste au moment où on l’a nommé à un poste d’assistant en sciences économiques. La personne qui l’avait fait, c’est Alfred Marshall. Il le faisait parce qu’il l’avait déjà proposé au père de Keynes qui, lui, avait une vocation d’économiste, il faut dire, au départ – non pas qu’il ait un diplôme en économie : il n’y avait pas de Faculté de science économique à Cambridge à cette époque-là – mais Marshall recommence, il tente son coup une génération plus tard, et il tombe sur un jeune mathématicien qui termine un travail sur les probabilités, et il lui propose un boulot d’assistant, ou de maître-assistant, en économie. Et ce jeune, qui vient d’échouer à obtenir une fellowship dans un collège, il accepte d’enthousiasme et il deviendra un très bon économiste, parce que, parce que, parce qu’il n’a pas grandi dans les préjugés de la discipline.
Donc, ne pas avoir vocation à faire quelque chose, ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas le faire. C’est, peut-être même, au contraire, c’est peut-être un excellent argument, c’est un atout, je dirais. Bon, moi, je n’ai pas été un mauvais banquier. Je n’avais vraiment pas vocation à le faire, mais je crois que j’ai été un banquier correct, les mains plongées dans le cambouis.
Mais ce n’est pas de ça que je voulais vous parler du tout, en fait ! Je voulais vous parler de l’idée de Monsieur Yanis Varoufakis de lancer un mouvement, un mouvement européen qui s’appelle DiEM25. Il le lance le 9 février. Ça devrait être vers mardi de la semaine prochaine, ça devrait même être mardi de la semaine prochaine !
On ne peut pas en apprendre grand-chose. Il y a un Manifeste, que vous trouverez attaché au billet où vous allez m’entendre causer dans la vidéo. Si vous regardez ce Manifeste, moi je l’ai lu, je viens de le lire. Je vous ai demandé d’ailleurs d’être un petit peu patients aujourd’hui, parce que je voulais le lire d’abord, et aussi, je voulais lire la Tribune libre qu’il y a aujourd’hui, de Varoufakis, dans le Guardian, le journal britannique, à propos du lancement de ce mouvement.
Alors, il y a ce Manifeste. Ce Manifeste, il est excellent. Si vous avez, justement, écouté ce que j’ai dit à France-Culture, si vous avez lu le papier que j’ai mis dans la revue belge Trends-Tendances, la semaine dernière, et si vous avez lu ma chronique dans Le Monde mardi dernier, vous verrez qu’en mettant les idées toutes ensemble, eh bien, on tombe sur quasiment la même chose que ce qui se trouve dans le Manifeste de Monsieur Varoufakis.
Alors, qu’est-ce qu’il nous dit ? Il nous dit : « Les États, c’est bien, mais c’est plus là que ça se passe ». C’est plus là que ça se passe ! Il est Grec, il a été Ministre des finances grec, il a été, voilà, on a rendu impossible ce qu’il a essayé de faire, on a mis la Grèce, le peuple grec, dans une situation impossible – alors qu’il était déjà en difficulté – et tout ça, ce sont des choses qui viennent des directives, qui viennent d’institutions européennes, plus le Fonds Monétaire International, qui sont des choses qui ont échappé à notre pouvoir démocratique : on ne peut plus s’occuper de ça. La seule chose que les États peuvent faire, c’est éventuellement, eh bien, sortir de l’Euro, sortir de l’Union Européenne, sortir de tout ça, retomber dans des catégories anciennes, et si vous réfléchissez à la situation dans laquelle on est, si vous regardez ce petit film qui était pas mal fait du tout, qui s’appelait : « Made in France » et qui montre qu’il y a un seul endroit en France où on peut acheter un costume, vous vous rendez compte qu’on est dans un monde, dans un monde globalisé. Alors, nous avons la possibilité, pour recréer quelque chose qui marche, de prendre l’Europe comme un tremplin. Puisque ça existe ! Puisque ça existe.
J’ai déjà rappelé souvent cette anecdote : le fait que cette dame qui se trouve dans les institutions européennes, je ne sais plus exactement où, met un veto à ce que je vienne à une réunion européenne en disant : « Il est anti-européen ! », et que je dis à la personne qui me servait d’intermédiaire : « Rappelez à cette dame que je faisais partie des quinze étudiants qu’on a fait venir (je ne sais plus en quelle année, en [63, 64]), qu’on a fait venir à Strasbourg pour discuter avec eux de ce qu’on voulait faire de l’Europe. » Les grands, les adultes avaient eu l’amabilité, ils avaient eu la grande sagesse de faire venir quinze jeunes Européens – on venait de tous les côtés ! – et on n’était pas bien vieux : on devait avoir 20 [18] ans, un truc comme ça, et on nous a demandé ce qu’il fallait faire, et on a discuté. Alors, quand cette dame vient avec ses gros sabots dire : « Oui, mais il est anti-européen ! », je lui demanderais plutôt à elle : « Madame, d’où parlez-vous ? D’où parlez-vous ? Vous parlez de cette religion féroce qui a pris le pouvoir là-bas, mais ça ne veut pas dire que vous ayez le droit davantage de dire ce que c’est qu’on veut faire de l’Europe ! »
Alors, Varoufakis, il dit : « Eh bien, reprenons le pouvoir, allons affronter le pouvoir en place, là où il se trouve. » Ça, c’est une excellente idée. Il faut le faire. Euh, il ne dit pas comment faire partie de ce mouvement ! J’ai bien regardé, il n’y a pas moyen d’être membre. Si vous voulez aller voir le site de ce mouvement, eh bien, il y a une bannière et voilà, on peut cliquer dessus, il ne se passe absolument rien. Il y a une déclaration. Il n’y a pas le nom de quiconque autre que Monsieur Varoufakis qui se joindrait à ce mouvement, je suppose que c’est une surprise. Ou bien, est-ce qu’il fait… qu’est-ce qu’il fait ? Peut-être qu’il essaye de susciter l’enthousiasme de gens comme moi ! Alors, le voilà ! Mon enthousiasme est là ! Si vous avez l’occasion de lui parler, dites-lui que je suis prêt à aller l’aider. Son Manifeste est excellent, il n’y a rien à redire ! Il faudrait que quelqu’un traduise ça en français. Si quelqu’un a quelque loisir, eh bien, il faut absolument que ça circule en français également. C’est ça le problème, évidemment, de l’Europe : c’est la barrière des langages. Nous sommes nombreux, nous voulons faire plein de choses, mais nous ne parlons pas nécessairement la langue des autres, alors, il faut pouvoir communiquer.
Alors, je suppose qu’on en saura un peu plus – on en saura sûrement un peu plus ! – mardi prochain. D’ici-là, on en saura peut-être davantage, mais faites comme moi, faites comme moi : parlez-en, parlez-en ! Il faut qu’il y ait un grand enthousiasme qui se crée autour de ce projet. Travailler aux niveaux nationaux, c’est une bonne chose : il faudra bien qu’il y ait des gens comme Piketty pour signer les traités ou pour dire qu’on les dénonce, etc., au niveau national, mais Varoufakis a raison : ce n’est pas là que ça se passe maintenant. Pour le moment, ça se passe au niveau où les transnationales transmettent leurs ordres à des bureaucraties qui sont complices, qui sont complices. Bon, voilà, c’est pas les lobbyistes, comme disait très bien Monsieur Sylvain Laurens dans son bouquin : c’est pas simplement les lobbyistes qui viennent distiller des choses abominables dans l’oreille de personnes innocentes, non non ! Il y a complicité au sommet ! La religion féroce de l’ultralibéralisme a pris le pouvoir là, à nous de rétablir là-bas la démocratie. Varoufakis a raison, rejoignons-nous dans ce mouvement enthousiasmant ! Ça n’empêche pas de faire des choses au niveau local, ça n’empêche pas de faire des choses au niveau national, il faut faire les deux ! Non, les trois, même ! Il faut travailler au niveau de son village, il faut travailler au niveau de son pays, et il faut aller reprendre le pouvoir à … à l’Europe.
Là, ce qui me vient, évidemment, c’est : « First, we’ll take Manhattan, then we’ll take Berlin », la chanson de Leonard Cohen. Pourquoi ? Parce que Varoufakis a dit que c’est à Berlin qu’il faut lancer un mouvement européen. Il a raison ! Il a raison : c’est là que les choses ont mal tourné. C’est là que les choses ont toujours mal tourné au niveau européen jusqu’ici ! (Et à Munich, aussi, à Munich !) C’est là qu’il faut aller lancer un mouvement comme celui-là.
Il ne peut pas faire ça tout seul ! Il faut qu’il y ait vous, qu’il y ait moi, il faut qu’on lance ce truc-là, le « Grand-Å’uvre », comme je l’avais appelé une fois. Ça n’avait pas donné grand-chose ! Au niveau du blog, on était un peu isolés, mais maintenant qu’il y a quelqu’un qui, voilà, qu’on écoute au niveau européen, il faut aller le soutenir ! Il faut aller avec lui.
Certains ont un peu perdu de leur honneur, dans cette histoire grecque, lui non. Je ne suis pas toujours d’accord avec lui sur le plan de ses analyses économiques – comme pour Piketty, d’ailleurs ! – mais ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas faire des choses ensemble et qu’on ne doit pas faire des choses ensemble. Il faut qu’on fasse des choses ensemble, absolument !
Voilà, joignez-vous à ça. Il faut reprendre le pouvoir. « First, we’ll take Manhattan, then we’ll take Berlin ! ». First, we’ll take Berlin, and then Manhattan et puis tout le reste. Voilà.
Allez, à bientôt ! Au revoir !
C’est un missile balistique de portée intercontinentale, destinée uniquement à transporter des armes nucléaires. Qui n’a jamais été utilisée lors…