Billet invité.
Dans cette salle mythique des grandes heures de la gauche socialiste, arriver 15 minutes en avance n’était pas suffisant pour trouver une place assise, tant l’affluence était nombreuse. Evaluée par les journalistes à 200 personnes, la foule est au moins 3 fois plus nombreuse. En réalité, l’immense salle est bondée et toutes les chaises sont prises d’assaut par une foule bigarrée.
Tous les signataires de l’appel paru dans Libération [i] sont présents, occupant le premier rang autour de l’estrade dressée au centre de la salle. De très nombreuses caméras, sur trépieds ou mobiles, et plusieurs journalistes densifient encore l’audience (les micros des grandes radios : RMC, etc., ainsi que les chaînes d’info continue ITélé et BFM). Un rapide coup d’œil permet également d’identifier la présence remarquée des leaders écologistes : Cécile Duflot, Emmanuelle Cosse, (et un sénateur vert dont j’ai oublié le nom), de plusieurs députés PS frondeurs (Cherki…), des représentants du PC (Olivier Dartigolles) et de plein d’autres mouvements, avec une forte présence de mouvements féministes et pour la VIème République.
Au-delà des personnalités, ce qui frappe le plus le provincial que je suis, c’est la présence, à côté des personnes âgées toujours très présentes dans ce type de réunion, d’une forte proportion de jeunes, et notamment d’étudiants et de jeunes diplômés (science po, droit) au look si reconnaissable.
Il est 20h, la salle est maintenant pleine à craquer, et il y fait très chaud, surtout lorsqu’on doit rester debout. L’affluence continuera d’ailleurs après le début de la réunion, avec régulièrement des appels à se pousser vers le fond pour laisser la place à ceux qui sont encore dehors, et ne peuvent entrer.
La réunion a commencé presqu’à l’heure. Elle est séparée en 2 débats : un premier sur la Primaire et un second sur les Institutions. L’organisation de la soirée laisse une impression contradictoire : à la fois pertinente (micros et sono qui fonctionnent [ii], prises de paroles maîtrisées des intervenants institutionnels) mais aussi très peu cadrée. Il ne s’agit clairement pas d’un mouvement de type parti, disposant de permanents, mais plus d’un rassemblement de bonnes volontés, autogéré et présentant l’apparence d’un joyeux désordre, même si les éléments indispensables au bon déroulement sont là [iii].
Il est évident à la réflexion que l’organisation n’avait aucune idée du nombre de personnes susceptibles de venir [iv], ni du contenu exact des interventions, pas d’objectif clair autre que de se retrouver ensemble pour marquer un premier pas, et au passage « se compter ». J’ai ainsi été surpris qu’aucune liste d’émargement ne circule, afin que les adresses et coordonnées des présents soient collectées (ne serait-ce que pour avoir un décompte précis des présents). Il est vrai que beaucoup semblent se connaître déjà.
Le premier débat est animé par Yannick Jadot qui fait une courte présentation puis des interventions de plusieurs des signataires de l’appel (Desplechin, Duval, Piketty, Wieviorka, etc…), toujours bien cadrée dans un temps limité, ce qui est appréciable. Le micro circule ensuite dans la salle avec de nombreuses interventions, de qualité très inégale. Un élément appréciable a été de mettre sur le même niveau – à égalité – toutes les interventions, qu’il s’agisse d’anonymes dans la salle comme de personnalités connues. En revanche, on peut regretter que beaucoup des intervenants ne se soient pas présentés (les deux modérateurs des débats n’ont pas été très pressants sur le respect de cette consigne).
Le second débat commence vers 21h15, animé par Julia Cagé (l’épouse de Piketty). En réalité, les interventions lors de ce second moment d’échanges sont souvent revenues sur la question des primaires. En fait, le débat sur les Institutions est un peu parti dans plein de directions différentes. Il faut noter que lors de ce 2nd débat, il y a eu plusieurs interventions d’élus, notamment les socialistes frondeurs, et un véritable « show » de l’orateur-né Dany Cohn-Bendit sur la proportionnelle et la nécessité de faire des compromis, qui a été diversement accueilli (avec une réplique remarquée de Raphaël Glucksmann).
Le ton général des interventions a été très critique à l’égard de Hollande, Valls, Macron et du gouvernement, mais aussi à l’encontre des partis et des élus de gauche.
Si le débat devait être résumé en un mot, ce serait « espoir », tant ce mot a dominé les interventions. Il est clair que l’organisation d’une primaire à gauche serait un formidable moyen de retrouver un espoir d’une alternative, d’un changement, et de sortir aussi de la prise en otage : entre droite / PS tendance Valls, et extrême-droite.
Il est évident avec le recul que cet appel, venu de la société civile mais aussi de responsables politiques sans ambitions personnelles, a répondu à une attente profonde à gauche, et soulève déjà un espoir immense. L’espérance exprimée lors de cette réunion a même fini par me gêner, tant elle peut être déçue – une fois de plus, une fois de trop – si la victoire en 2017 n’est pas au bout de la démarche.
J’ai noté également que les questions de forme et de processus ont été fréquentes [v], avec des positions en apparence contradictoires. Le fait de faire ou non des concessions, des alliances ; d’accepter ou non de se ranger derrière le gagnant de cette éventuelle primaire, quel qu’il soit ; la question de trouver le moyen de s’assurer que le vainqueur respectera ses engagements et le programme sur lequel il s’est fait élire… Autant de questions qu’il faudra résoudre, et qui ont été évoquées, sans que l’on ne relève que ces problèmes apparaîtront après la primaire, alors que le premier enjeu est de les organiser.
Malgré leur éclectisme apparent, les nombreuses interventions ont un point commun : faire référence aux thèmes propres aux valeurs de gauche, qui existent encore malgré les déclarations de certains, à savoir : inégalité, exclusion, immigration, pédagogie, travail de communication et de contacts avec les électeurs, culture, déchéance de nationalité…
En revanche, si l’Europe est aussi abordée sous l’angle de l’indispensable réorientation des politiques européennes, j’ai été surpris qu’il n’y ait qu’une seule intervention sur la question de la souveraineté. Comme si les évènements récents, et la situation politique désastreuses du pays, avaient « rétréci » le champ des réflexions, effaçant l’opposition souveraineté/internationalisme au sein de la gauche au profit de thèmes plus urgents et plus fédérateurs.
Tout au long des deux débats, il y a eu un « fil rouge », une question centrale qui est revenue de manière récurrente, presque lancinante : celle de la personne, c’est à dire celle de l’identité de celle/celui qui sera désigné(e) par cette primaire pour représenter la « vraie » gauche en 2017.
Organiser une primaire en vue de participer à une élection présidentielle sous la Vème République impose de passer par la personnalisation du mouvement. On ne peut se limiter à un programme, un projet politique, sans qu’il soit incarné dans une personne qui le portera et, en cas de victoire, le mettra en œuvre.
D’un côté, des interventions, surtout des initiateurs et des personnalités présentes, refusent d’entrer dans le débat des personnes, privilégiant le travail sur le projet, le programme et rejetant la personnalisation du régime. De l’autre, des interventions, venant essentiellement de la salle, qui sont revenues régulièrement à la charge : comment conquérir un pouvoir présidentiel sans en passer par cette personnalisation ?
En fait, toute la soirée, la question du « champion », l’injonction de bon sens de « ne pas séparer le qui du quoi » ont été rappelés par la salle, sans qu’il y soit donné réponse, au point de révéler un véritable fossé entre l’assistance et les initiateurs du projet tous présents.
Or, c’est une question essentielle qui révèle le « non-dit », le refoulé sous-jacent à l’initiative du 11 janvier 2016 d’appel à une Primaire à gauche.
Demander l’organisation d’une décision démocratique du représentant de gauche, afin de battre en 2017 la droite et l’extrême-droite, ne peut se faire qu’avec les partis de gauche, et particulièrement le premier d’entre eux : le parti socialiste.
Or, si ce dernier le refuse – et c’est très probable [vi] – cette initiative doit alors se « transcender » pour devenir un collectif faisant émerger en son sein un candidat, et devenir une plate-forme large lui permettant de concourir à l’élection.
Et dans un régime présidentiel, comment choisir un programme sans choisir en même temps celui qui l’incarnera ? Le choix de la personne ne peut être séparé, ni venir après celui du projet d’avenir, sauf éventuellement dans un parti discipliné et structuré.
Pour l’instant, aucun des « initiateurs de cette initiative » [vii] ne veut voir en face cette évidence, alors que dans la salle, et même chez les adversaires du régime monarchique de la Vème, c’est évident.
Sauf miracle, ou injonction de la justice, le parti socialiste ne répondra pas positivement à cette initiative, pourtant indispensable à la survie de la gauche en 2017 et après.
Il est donc étonnant – et décevant – qu’aucune des personnalités présentes ne prennent conscience de cela, ni n’en tire les conséquences, en se préparant à l’étape suivante, au « next step » de l’initiative du 11 janvier.
Le temps presse, et la droite comme l’extrême-droite abordent avec efficacité la prochaine échéance électorale. Les choix, ou les non-choix, qui seront faits par les uns et les autres dans les prochains mois seront décisifs pour l’issue de l’élection présidentielle de 2017, mais aussi pour le destin de la France.
L’appel à une primaire de gauche n’est donc qu’une première étape dans un processus de reconquête du pouvoir, de restitution au peuple français de son destin. Cet appel peut se suffire en soi si les partis de gauche y répondent et prennent la suite. Mais si ce n’est pas le cas, il est impératif que ses initiateurs assument leurs responsabilités pour aller plus loin dans la démarche qu’ils ont enclenchée.
Les signataires de cet appel ne peuvent se cantonner dans un rôle d’arbitre ou de « lobbying » pour pousser le PS à organiser une primaire. En signant cet appel, qu’ils le veuillent ou non, ils sont entrés en politique, ils sont devenus acteurs de la politique française, et s’ils doivent renoncer à l’assumer en se cantonnant à cet appel, ils tueront l’espoir qu’ils ont fait naître, et qui était si lourdement palpable hier soir.
Le succès extraordinaire rencontré par cet appel à une primaire de gauche [viii] montre que le collectif de signataires n’est plus seulement investi d’une fonction ordonnatrice « passive », il doit porter un projet et un candidat lui-même. Et plus vite il en prendra conscience, plus grandes seront ses chances de succès aux élections de 2017.
C’est à ce prix que l’espoir exprimé hier, ne débouchera pas une nouvelle fois sur déception, renoncement, amertume et révolte. Car nous savons trop bien quel est le seul parti politique capable de prospérer sur ces sentiments.
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[i] http://notreprimaire.fr
[ii] La présence de plusieurs caméras filmant en hauteur toute la soirée, peut laisser espérer que l’intégralité du débat a été filmée et pourra peut-être se retrouver sur le web…
[iii] Élément notable que je n’ai pu m’empêcher de relever (déformation professionnelle) : la sécurité de la salle était absolument nulle, et il était très agréable de pouvoir se réunir dans Paris sans subir les effets de cette peur que les terroristes veulent nous imposer.
[iv] Alors qu’au même moment se déroulait par exemple une réunion du collectif Ma Voix avec Cynthia Fleury à l’autre bout de Paris : https://www.facebook.com/mavoixjuin2017/posts/1709138692656628?comment_id=1709254625978368&comment_tracking=%7B%22tn%22%3A%22R%22%7D
[v] Curieusement moins sur les primaires elles-mêmes que sur l’action politiques pour reconquérir les électeurs, présenter le projet, définir un programme commun en dépassant les divergences… bref sur « l’après-primaires ».
[vi] Le PS violerait alors ses statuts mais il n’est plus à un reniement près
[vii] Ceux qui étaient présents comprendront.
[viii] Plus de 70.000 signatures en deux semaines sur le site.
PJ : « Un lecteur d’aujourd’hui de mon livre Principes des systèmes intelligents » Je pense que c’est le commentateur Colignon David*…