La spéculation était interdite en France jusqu’en 1885 par l’article 421 du Code pénal, qui portait le nom prédestiné de « 421 », celui d’un jeu de hasard également appelé « zanzibar ».
Selon l’article 421 étaient interdits les paris à la hausse ou à la baisse sur le prix d’un titre financier. Le complétait au civil, l’article 1965, dit d’« exception de jeu », spécifiant que les plaintes relatives à l’issue de paris n’étaient pas recevables en justice.
Tout ceci était très clair et constituait une réponse à ceux qui affirment que la spéculation est indéfinissable. Non ! il s’agit d’un pari engagé entre deux parties dont l’une pense que, sur une période déterminée, le prix d’un titre financier va grimper et l’autre, qu’il va baisser. Pour qu’il y ait spéculation il faut donc qu’il y ait deux parties et qu’elles parient en sens inverse sur le prix d’un titre financier.
Pourquoi la spéculation était-elle interdite, en France jusqu’en 1885, en Belgique, jusqu’en 1867 ?
Pour deux raisons. La première, c’est ce qu’on appelle aujourd’hui le « risque de contrepartie » : l’une des parties ne dispose peut-être pas de la somme qu’elle a pariée, et fera défaut si elle perd. La seconde est ce que l’on qualifie d’« aléa moral » : l’incitation qu’il y a à mal agir pour augmenter ses chances de gain : répandre des rumeurs, manipuler le marché pour faire croire à l’existence d’une tendance, etc. autrement dit, « pousser » d’une manière ou d’une autre le prix dans la direction qui vous est favorable.
Est-il spéculatif d’acheter des actions en Bourse, au « marché au comptant » des titres boursiers ?
À première vue, non, puisque la définition de la spéculation que l’on vient de voir ne s’applique pas. Il y a bien intéressement du détenteur d’actions au fait que leur cours monte, mais il n’y a pas à proprement parler de parieur en face. L’acheteur « parie » si l’on veut sur le fait que le prix grimpe, mais il parie « avec lui-même » seulement. De même, le vendeur « parie » que le cours a cessé de grimper, mais là aussi, « avec lui-même ».
Pourquoi parler alors de spéculation à propos de la Bourse ?
On gagne à la Bourse de deux manières : en percevant des dividendes sur les titres qu’on détient et en revendant une action à un cours plus élevé qu’on n’a acheté. Les dividendes sont des parts de bénéfice de la société émettrice et une action se dit d’ailleurs « share » en anglais. Le principe à l’œuvre est le très ancien système du « métayage » : le propriétaire met sa terre à la disposition du métayer et celui-ci lui versera une partie de sa récolte, un tiers par exemple, en rémunération de l’avance qui lui a été consentie. Rien de spéculatif là-dedans : des ressources ont été mises en commun, terre et travail, le bénéfice et le risque ont été partagés à hauteur du montant de la part.
Le gain dû à une plus-value est une tout autre histoire. Que représente le cours d’une action ? Il s’agit en principe d’un à-valoir sur l’ensemble des dividendes à venir : ce que cela vaut aujourd’hui sur le marché de recevoir des dividendes l’année prochaine, plus l’année suivante, etc., autrement dit, la valeur « actualisée » d’une part dans les bénéfices futurs de la firme, au prorata de l’avance consentie en achetant l’action. Une telle évaluation change-t-elle de minute en minute, comme le veut la cotation en continu à la Bourse ? Certainement pas ! Aura-t-elle changé dans six mois ? Oui, c’est bien possible !
Où se situe la « dimension spéculative » de la plus-value boursière ? Dans l’aléa moral déjà mentionné : dans la tentation de « pousser » le prix à la hausse par la rumeur ou la manipulation du cours, deux choses plus faciles à arranger sur le court terme que sur une période dépassant six mois.
Pas de dimension spéculative donc dans le versement des dividendes, mais bien dans la plus-value de l’action.
Dernière question : un particulier a-t-il davantage la capacité de « pousser » à la hausse la cote d’une action qu’une « personne morale », comme une banque ou une firme commerciale ? Non, c’est le contraire bien entendu. Doivent-ils être traités différemment ? Oui, le particulier doit être mieux traité, même s’il est juste que la plus-value boursière soit davantage taxée que les dividendes en raison de sa dimension spéculative et du risque que celle-ci introduit.
La nécessité d’ouvrir de nouveaux champs sémantiques s’impose-t-elle déjà? Ou bien cette question a-t-elle effleurée les chercheurs. Si ma demande…