La métastase (IX) – Les banques européennes

Ce texte est un « article presslib’ » (*)

Quand les nouvelles relatives au sauvetage de la banque de prêts hypothécaires allemande Hypo par son gouvernement ont commencé à tomber ainsi que celles relatives au sauvetage de 75% de la partie belge de Fortis par la BNP Paribas conjointement à la prise de participation des gouvernements belge et luxembourgeois dans la banque française, à hauteur, respectivement, de 11,7 % et 1,1 %, je me suis dit que j’allais situer mon billet dans une série entamée en mai dernier et intitulée « La métastase » et je suis allé voir quel numéro je devrais lui attribuer. Il y en avait déjà huit.

En intitulant cette série : « métastase », j’entendais dire que le cancer avait progressé depuis que l’on avait détecté la tumeur initiale : les prêts hypothécaires américains subprime. Les épisodes de la série « métastase » ont été consacrés dans l’ordre 1. aux autres prêts hypothécaires américains conçus à l’intention des spéculateurs et des ménages en « cavalerie » (mai 2007), 2. aux banques suisses (juin), 3. à Bear Stearns (juin), 4. aux hedge funds (août), 5. au marché à terme des matières premières (août), 6. aux patrons de la finance – tombant comme des mouches (novembre), 7. à Fannie Mae et Freddie Mac (novembre), et 8. aux cartes de crédit (novembre).

Quand l’équipe d’Arte est venue m’interroger la semaine dernière, il m’a été dit : « Voilà, la même chose a été demandée à chacun des intervenants : expliquez votre surprise à la chute de Bear Stearns ». J’ai répondu que cela me serait difficile : je n’avais pas été surpris. Voyez en effet la date de « La métastase III » : juin 2007 ; Bear Stearns est tombé en mars 2008. La réponse aurait bien entendu été la même pour Fannie Mae et Freddie Mac : « La métastase VII », novembre 2007, la chute, septembre 2008, etc.

Cela m’a fait très plaisir de me retrouver mentionné hier dans Marianne, au sein de l’article d’Alexis Lacroix intitulé « Les prophètes ». Le titre de « prophète » pourrait me donner la grosse tête et je vous dispenserais désormais mes analyses d’un ton prophétique. Aucun risque cependant, et la raison en est offerte dans l’article : Lacroix dit en effet à propos de la demi-douzaine de prophètes :

Tous ont dû attendre que la crise des subprimes s’aggrave de façon « inexorable », selon le mot de Jorion, pour que leurs prédictions soient considérées avec moins d’hostilité.

Et c’est précisément en raison de cette inexorabilité qu’il n’y a dans aucun des cas « prophétie », mais tout au plus « lecture ».

Que les banques européennes soient aujourd’hui dans l’œil du cyclone s’explique par le fait que la solvabilité du secteur bancaire international est semblable au niveau de la nappe phréatique : bien naïf serait celui qui penserait « le puits du voisin est à sec mais le mien n’a rien à craindre ! » La nappe baisse d’un bloc et donc pour tout le monde. Le seul test réel sera celui de la Chine. Celle-ci se trouve dans une situation un peu particulière pour deux raisons : la première est que l’Etat chinois n’a pas à y aller par quatre chemins quand il s’agit de nationaliser une banque : sa présence demeure massive au sein de leur capital ; la seconde, c’est son temps de réponse ultra-court : pas besoin de réduire ici la taxe sur les flèches des enfants qui s’initient au tir à l’arc pour obtenir le vote d’une nouvelle législation. Oui, mais c’est au prix de la démocratie ! Vous avez raison, mais voulez-vous vraiment connaître la liste complète des « mesures complémentaires » qui ont permis que le Plan Paulson soit voté par le Congrès américain ? Je commence : extension de la taxe sur le rhum à Porto Rico et aux îles Vierges, possibilité pour les circuits de courses automobiles d’étaler leurs pertes sur sept ans, transfert de certaines taxes à l’importation de produits lainiers au Fonds Lainier. Vous voulez vraiment que je continue ?

Les déboires des banques européennes vont retenir notre attention dans les semaines qui viennent. Cela n’empêchera pas nécessairement les « prophéties » qui ne se sont pas encore réalisées de le faire : La métastase IV et VIII, fonds d’investissement spéculatifs et cartes de crédit.

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

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16 réponses à “La métastase (IX) – Les banques européennes”

  1. Avatar de hydrom
    hydrom

    Bien heureux d’avoir été dans vos 1er lecteurs !

    Vous faites une analogie avec la nappe phréatique pour parler de la solvabilité des banques, ce qui laisse à penser qu’elles sont tous au même niveau. Néanmoins chaque banque a des ratios de solvabilités différents, et certaines ont pompé la nappe au bon moment, telle la SG, merci Kerviel finalement…

    Par rapport à l’inévitable sortie de crise, je me demandais jusqu’à quel point les faillites ne peuvent pas favoriser la solvabilité des « survivantes », par la concentration des liquidités ? N’est-ce pas ce mécanisme qui va permettre d’attendre le point de rebond ? Actuellement, on ne traduit les faillites que sous l’angle d’une crise systémique, sans regarder les effets positifs de sa propagation. N’étant pas un spécialiste, cette supposition est en fait une question.

    Merci !

  2. Avatar de yannick56
    yannick56

    Bonjour Paul,

    Que penses-tu du scenario de devaluation du dollar US et ses consequences dans cet article :
    http://glefeuvre007.blogspot.com/2008/10/lus-dollar-est-officiellement-devalue.html
    est-ce realiste ?

    Cordialement.

  3. Avatar de Strategix
    Strategix

    Marianne aussi a oublié Larouche. Si c’est pas la preuve d’une conspiration ça.

  4. Avatar de Hudson
    Hudson

    Je ne suis pas spécialiste non plus… mais je crois plutôt que les faillites des uns plombent les bilans des autres car chaque banque possède dans son bilan des « déchets radioactifs » provenants d’autres établissements bancaires…

    donc une faillite veut dire que ces actifs doivent être rayé du bilan des banques survivantes… ce qui appelle à une recapitalisation… le cash ne pouvant être trouvé sur le marché (les banques ne se pretent plus d’argent entre elles) les banques fragiles font faillite à leur tour ce qui plombe d’autres banques etc…

    Un joli jeu de domino… d’où « l’erreur » de Paulson de ne pas avoir sauvé Lehman Brothers… (Merci de me corriger si je me trompe)

    Si vous voulez mon avis… on ferait bien d’achever le malade et de mettre en place un systeme plus viable… de toute manière les turbulences vont etre fortes… autant que cela serve à quelque chose pour la grande majorité des gens…

    De là à dire qu’il faut faire payer les responsables en allant fouiller leur portefeuille où qu’il se trouve il n’y a qu’un pas que je franchirais allegrement si j’en avais le pouvoir…

  5. Avatar de I.Lucas
    I.Lucas

    Merci beaucoup pour votre bloc que je suis maintenant régulièrement.

    Il existe une autre voie de contagion.
    La contagion pas l’assechement du marché inter-banquaire va être rapide, de très grande ampleur, mais peut être brève.

    L’autre problème européen est que beaucoup de pays, dont la France, l’Irlande, le Royaume Uni et l’Espagne, mais pas l’Allemagne, ont été touchés par une vague de spéculation immobilière.
    Le spécialiste français de l’immobilier s’appelle Jacques Friggit.

    Selon ses estimation, la spéculation immobilière en France a été plus forte que celle des USA et a, à la différence de celle de 1992, touché tous le pays et non pas seulement Paris.
    ci joint un lien vers sa dernière étude qui date de septembre:

    http://www.adef.org/statistiques/graphactu.doc

    Le fait que tant de pays aient simultanément des symptomes d’une même maladie mérite qu’on recherche s’il existe une cause unique.

    Les déséquilibres du commerce extèrieur, le déficit des USA représente 5% de leur PIB (6% en 2004) soit un peu moins de la moitié de leurs exportations.

    Les excédents chinois, mais aussi russes et des pays du golfe sont le miroir de ces déficits.
    Ces pays avaient de l’argent à placer et un système banquaire peu développé. Les banques US ont saisi cette opportunité et ont « recyclé » ces excédents dans l’immobilier.

    Une fois la crise bancaire stoppée, le cours des choses anciennes ne se rétablira pas spontanément.
    C’est le financement de ces déficits massifs qui sera rendu plus difficile.
    Cela touchera l’économie réelle de plein fouet.

  6. Avatar de Bizz
    Bizz

    Bien content de vous voir demystifier votre role de « prophete » meme si j’avais été incapable d’en faire autant. Peut etre cela va t il ouvrir les yeux à ce journaliste, aux autres, à la population sur le fait que seuls eux memes decouvrent la crise ces mois-ci mais pas ceux qui dirigent nos banques et nos etats ?

    N’est ce pas tout de meme le meme niveau de question que celle auquelle vous avez deja repondu ?
    « Ceci dit, beaucoup de gens « savaient » mais se taisaient. Les patrons savaient qu’on « allait dans le mur » mais avaient le moyen de retirer leurs billes en cours de route – ce qu’ils faisaient systématiquement. Les employés se disaient : « ça durera ce que ça durera ! »  »

    Ces jours où l’on met au pilori les parachutes dorés (par exprit de sacrifice ?), la question de la malhonneteté n’est elle pas bien plus importante dans le deroulement et le cout de cette crise qui n’a visiblement pas grand chose d’inattendu ? (Ce qui m’inquiete c’est combien de gens pensent que cette crise etait inattendue et à quand estiment ils le debut…)

    Je dis cela tout en pensant qu’il faut retablir un equilibre mais qu’en oubliant de « souligner » les responsabilités personne ne les connaitra jamais.

    N’est ce d’ailleurs pas, dans les ajustements du plan Paulson, ce qui est le plus choquant ? Qu’au lieu d’avoir exigé le renforcement des condamnations, des amendes, des regles à respecter, on ait fourni une batterie de mesures qui semblent toutes plus ridicules les unes que les autres et qui ne concernent pas les acteurs de la crise ?

  7. Avatar de David
    David

    Bonjour,

    Ces derniers temps les nouvelles s’enchaînent. Je ne suis qu’un simple particulier qui ne joue pas en bourse et donc loin du monde de la finance. Cependant je me demandais si la situation actuelle ne serait à rapprocher du dilemme du prisonnier, en tout cas pour les banques entre elles ?
    (rappel : optimiser le bien personnel ne permet pas à un système d’arriver à son état optimal http://fr.wikipedia.org/wiki/Dilemme_du_prisonnier )

    Merci pour les éclairages que vous nous apportez via ce blog.

    David.

  8. Avatar de le pecq

    Il faut bien qu’il y est des gagnants dans la crise !

  9. Avatar de Bizz
    Bizz

    C’est quand meme fort que ceux

    qui nous font verser des larmes sur leur sort, (ils sont prets à sacrifier leur parachute quand meme)

    qui nous font croire que le sort qui s’acharne sur eux (la crise est arrivée sans prevenir de nulle part et ils ont donc perdus bcp d’argent)

    qui nous font croire que le système actuel est bon dans le fond (un peu de regulation mais pas trop devrait suffire)

    nous demandent de payer pour leurs entreprises avec nos impots alors qu’ils promeuvent un systeme dont le principe fondamental est l’existence des paradis fiscaux qui leur permet l’exil fiscal… ou encore la baisse des impots pour eviter l’exil des grandes fortunes…

    Il est certain que gagner en etant malhonnete ce n’est pas nouveau, mais laisser ces gigantesques « gagnants » agir malhonnetement au grand jour dans cette enorme crise sans que personne ne reagisse, c’est ahurissant !

    Et au fond, si la situation etait clairement expliquée, comment seraient considerés par les gens, ces gagnants qui les ont ruinés ou faits perdre leur emploi ?

    Comment serait considéré le système qui a permis cela et que dire des mesurettes proposées pour le modifier ?

  10. Avatar de elasticfox
    elasticfox

    La seule solution qui existe est de sortir du système des banques privées, FED, BCE, Banque de France …. Il faut donc que l’état reprenne le contrôle de la création de la monnaie. Il faut annuler la dette de l’état, qui n’existe pas, elle est juste liée aux interets que les banques privées demandent pour créer de l’argent ex-nihilo. Et il faut mettre un système en place qui permette de faire des prêts sans interets, la seule richesse n’est pas dans l’argent mais dans la valeur que l’on accorde aux biens et services, l’argent n’est qu’un média pour faciliter les échanges et n’a aucune valeur.

    Le problème est que cela ne fera pas plaisir aux banquiers Rothschild, Rockefeller… et aux grandes familles des différents cartels industrie, pétrole, pharmacie, finance, et j’en oublie. Ils ont des moyens très convaincants pour ceux qui ne veulent pas ou plus jouer à leur jeux.

  11. Avatar de bougnat
    bougnat

    Hypo a refusé le soutien de BNP qui soutient Fortis . Fortis est soutenu par Hypo. BNP est donc venue secourir Hypo .Encore une métastase?

  12. Avatar de chupchup
    chupchup

    Paul,

    Une question bête comme ça : en quoi cette crise généralisée obère-t-elle la capacité des Etats-Unis à mener leurs guerres extérieures (Irak, …), et en quoi cela les rendrait éventuellement plus vulnérables s’ils étaient (si nous étions) l’objet d’une intention belliqueuse venue d’ailleurs ?

  13. Avatar de sounion
    sounion

    @ bougnat
    Je ne comprends pas . Pouvez-vous développer. En quoi Fortis soutient Hypo ?

  14. Avatar de Ton vieux copain Michel
    Ton vieux copain Michel

    On peut trouver un bel exemple d’effet-papillon dans le fait que les difficultés importantes de la banque allemande Hypo Real Estate, laquelle a nécessité une aide de 50 milliards d’euros (!!!) trouvent leur origine dans les agissements de Depfa, leur filiale iralndaise acquise en 2007. Voici ce qu’on pouvait lire dans le New York Times.

    Depfa, a Dublin-based lender that Hypo acquired last year, is at the center of its problems. Depfa underwrote a package of municipal bonds which were subsequently downgraded by ratings agencies. That step obliged Depfa to buy the bonds back, a contractual requirement that would create almost immediate liquidity problems at Hypo itself, given the difficulty of getting short-term funding in today’s drumtight credit markets. Banks from outside Hypo uncovered the problem after the bailout was cemented last week, and soon realized that the 35 billion euros that were supposed to sustain the bank through the end of 2009 was inadequate. Instead, it would need 50 billion euros by the end of this year, and another 10 billion in 2009. After the magnitude of the problem became clear, the banks – which were not publicly identified – revoked their participation in the plan, which had been a joint public-private deal.

  15. Avatar de tigue
    tigue

    En résumé il suffit d’un agissement isolé sur 1 an pour devoir 60 milliards d’ euros ! une sorte d’ affaire Kerviel, avec comme individu isolé une petite filiale qui prend des engagements sur toute la société mère et par contrecoup sur le contribuable allemand.
    Cela ressemble a une escroquerie planétaire.
    Je ne suis pas sur que les gouvernements qui cautionnent cela tiendront, car aucune force n’ obligera un travailleur a aller travailler pour des clopinettes (salaire diminués des impots qui flambent) , pour payer la facture.
    Sauf a le contraindre par un environnement impérieux…bruits de bottes.

  16. Avatar de Ton vieux copain Michel
    Ton vieux copain Michel

    Je me suis mal exprimé. Il ne s’agit pas d’un » agissement » et encore moins d’un « agissement isolé » du genre Jérôme Kerviel. Je voulais seulement souligner le caractère systémique de l’effondrement d’Hypo Real Estate, lié à la stratégie d’une filiale en Irlande (et à l’éclatement de la bulle immobilière irlandaise)

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