Billet invité.
Deux jours après les attentats de Paris, quels sont les dangers de demain auxquels nous pourrions être confrontés ?
On pourrait en identifier 3 :
« Nous sommes en guerre »
Qui est ce ‘nous’ ainsi mobilisé dans l’urgence ? Etaient-ce les victimes des terroristes et leurs familles ? Tous les citoyens français, tous les habitants de France ?
S’il est indubitable que la France, à travers son Etat et son armée, sont bien en guerre et ce depuis déjà quelques années au Sahel par exemple ou depuis quelques semaines en Irak et en Syrie ensuite, cette mobilisation du ‘nous’ est pour le moins incongrue et ce à plusieurs niveaux.
En premier lieu, si guerre il y a, cela ne peut être la guerre à la terreur, absurdité néo-conservatrice s’il en fut et dont on connaît les résultats. C’est donc qu’en second lieu, pour que guerre il y ait, qu’une armée nous assaille ou qu’un état nous attaque, que celui-ci ‘nous’ ait ou non par ailleurs préalablement déclaré la guerre (le Japon n’avait pas formellement déclaré la guerre aux Etats-Unis en 1941 avant que de les frapper à Pearl Harbor). Ceci signifierait donc tout simplement la reconnaissance du statut d’Etat à Daech, une reconnaissance qui vaut son pesant d’or à une organisation terroriste.
Enfin, si ‘nous’ sommes en guerre, contre un état donc, pourquoi dès lors ne pas instaurer non pas l’état d’urgence mais bien l’état de siège en France ?
A l’évidence, c’est bien dans l’urgence que l’État nous a mobilisé dans une guerre qui est effectivement conduite en notre nom en des contrées lointaines, une guerre qui a frappé en plein cœur subitement et qui ne peut pas être gagnée militairement, comme le prouvent les multiples exemples récents et passés, notamment dans cette région.
Mobiliser ainsi les populations civiles dans une guerre, c’est prendre le risque d’une guerre à outrance, d’une guerre totale, qui est le but recherché par les terroristes, la répression entraînant les attentats, etc.
Or, comme le savent déjà les autorités politiques et militaires mais qu’ignorent peut-être les populations civiles, il ne peut y avoir militairement qu’une seule solution dans une guerre asymétrique, à fortiori ‘contre le terrorisme’ : l’extermination, non seulement des terroristes mais aussi de tous ceux qui le deviendront ensuite. Ce but là étant inatteignable, militairement (il faudrait pour ce faire plusieurs centaines de milliers de combattants sur le terrain, que personne, même à plusieurs, ne peut et ne souhaite mettre en œuvre) et politiquement, a fortiori pour une démocratie, cette mobilisation générale est donc tout simplement parfaitement irresponsable, sinon pour le moins cynique.
Faut-il dès lors renoncer à utiliser l’emploi de la force, notamment militaire ? Certainement pas, car ce serait livrer à Daech un constat d’impuissance qui ne ferait que le renforcer. La guerre n’étant qu’un outil permettant à la politique de poursuivre son action, pour paraphraser Clausewitz, l’action militaire doit essentiellement viser à stabiliser une situation où Daech cherche à étendre son territoire d’action et à permettre éventuellement à des acteurs locaux de regagner du terrain et de lutter contre lui, le temps que la politique puisse continuer son action, à savoir trouver une solution à la situation politique actuelle en Syrie et en Irak avec l’ensemble des acteurs, ce qui demande évidemment du temps, surtout si cette action ne commence qu’à peine à se concrétiser.
Mais pour ce qui concerne le terrorisme, il y a essentiellement le travail des services, de renseignements et de police, notamment grâce à des moyens humains conséquents (analyse, infiltration, etc.) qui manquent dramatiquement actuellement, avec un cadre de coopération international en la matière, notamment en Europe où l’on constate avec stupeur l’absence quasi hallucinante d’une telle coopération systématique et systémique pour un continent pourtant confronté depuis des décennies au terrorisme contemporain.
Le terrorisme, sur ce plan là, est là encore un point aveugle des nationalismes borgnes, bien incapables à eux seuls d’agir pour y faire face, quand il y faudrait au contraire plus d’Europe …
Les terroristes sont des barbares
Si les actes commis par les terroristes sont effectivement barbares, au sens que ces actes n’ont aucune signification dans la Cité en paix (sans traduction possible dans le langage autrement que par ces termes), il reste qu’assigner ainsi une identité si aisément à ces terroristes est un danger potentiel.
La violence aveugle envers des civils peut ainsi être aisément retournée à ceux qui l’utilisent par des bombardements ou des attaques de drones qui provoquent ce que nous appelons dans notre Cité des ‘bavures’ ou des ‘dégâts collatéraux’ dans les populations civiles touchées par ces attaques.
Certes, à la différence du terrorisme, ces attaques ne visent pas expressément les populations civiles mais le résultat apparaît comme identique aux populations civiles concernées : ce qui est barbare in fine, c’est bien la guerre, aveugle dans sa finalité, cet état des relations humaines qui nous fait sortir de notre Cité de la paix. Est barbare, ou pouvant le devenir, celui qui participe à une guerre, ce qui est bien le cas puisqu’on nous rappelle sans cesse que ‘nous’ le sommes bien, en état de guerre.
Mais par-delà donc les intentions, il y a surtout la notion que ces hommes ne sont pas comme ‘nous’, à savoir des êtres humains, ou à tout le moins des êtres humains qui ne s’apparentent pas à l’état de sauvagerie, placé hors de tout état possible de civilisation : une guerre somme toute entre une (ou des) civilisation(s) et une ‘non-civilisation’. Pourtant, ce sont bien 3 terroristes à minima (à l’heure actuelle) qui sont nés sur le sol européen ou français, avec des nationalités européennes, ayant vécu parmi nous, éduqués au sein de notre propre système social. Si barbares donc il y a, il y a alors à s’interroger sur l’état de notre Cité qui est capable de produire de tels barbares, dont Daech est évidemment passé maître dans la capacité à détecter puis instrumentaliser à son seul bénéfice les failles énormes en leur sein.
On ne peut pas à la fois ainsi analyser, définir et cibler l’existence d’un apartheid social, ethnique et territorial en France selon les dires mêmes de notre Premier Ministre M. Valls sans dénier dans le même mouvement qu’un tel système puisse produire parfois des individus risquant de devenir des barbares par la suite, sans en conclure qu’un tel système social est lui-même barbare, sans que l’on s’attelle immédiatement et avec toute l’énergie requise à son démantèlement.
De deux choses l’une donc : soit ces hommes étaient des barbares et nous devons conclure que ‘nous’ en portons une responsabilité partagée avec Daech (nous avons laisser le terrain en jachère et Daech y a semé la haine), soit nous rejetons cette responsabilité partagée mais alors il nous faut reconnaître que ces terroristes ne sont pas des barbares, pas même des terroristes, mais bien des soldats, ce qui paraît par ailleurs aller en cohérence avec l’état de guerre et la mobilisation générale proclamée.
De fait, le terrorisme se greffe à chaque fois sur des terreaux fertiles, de misère (culturelle, sociale, affective, économique, etc.) le plus souvent et le combattre, puis gagner ce combat, implique souvent de répondre sur ce terrain là également.
Historiquement, la France ne fait pas face au terrorisme depuis seulement ces décennies récentes : il y eut des périodes dramatiques aussi, à la fin du XIXe siècle où le terrorisme anarchiste a ébranlé l’ordre social d’alors, parvenant même à assassiner un Président de la République (Sadi Carnot, en 1894).
Pendant 10 ans, des attentats firent régner la terreur en France, avec pas moins de cohérence et de volonté que Daech aujourd’hui, y compris idéologique et stratégique avec une ‘propagande par les faits’ dont la médiatisation de la terreur n’avait alors rien à envier, la grande différence d’avec aujourd’hui est que seuls les institutions et les dirigeants politiques étaient ciblés. On retrouve d’ailleurs les mêmes relents de parallèles entre les migrants et les terroristes que certains font aujourd’hui, avec les Italiens dans une France en crise économique aiguë prise comme aujourd’hui dans une Grande dépression (1873-1896). On prit alors des lois que l’on fit dénommées ‘scélérates‘ par la suite (notamment Léon Blum) pour tenter de faire face à ce terrorisme anarchiste, dont une loi votée en 1894 ciblant les anarchistes et qui ne fut abrogée que cent ans plus tard, en 1992. En réalité, le terrorisme anarchiste fut surtout vaincu par le mouvement et le syndicalisme ouvrier et par la République radical-socialiste, qui s’imposa d’abord avec l’Affaire Dreyfus puis par les lois sociales et la séparation de l’État et de l’Eglise.
Il y aurait là quelques enseignements à tirer pour nous aujourd’hui, de savoir qu’on ne gagne contre le terrorisme qu’en luttant contre son attractivité, en instaurant justement non pas des lois scélérates mais bien un système social qui permet de répondre à la misère, notamment de ceux qui sont susceptibles de basculer dans la violence par absence de perspectives. Dans la dizaine d’années qui suivront l’assassinat de Sadi Carnot, c’est bien toute une République, en bonne partie d’ailleurs celle que nous connaissons aujourd’hui encore (loi 1901, séparation Etat/Eglise, syndicats, etc.), qui fut instaurée au sortir d’une Grande dépression économique et après un affrontement idéologique majeur qui vit la victoire, certes temporaire, de la justice contre l’antisémitisme et le nationalisme.
L’extrême-droite et le néo-fascisme
Quels ont été les médias français, certes accaparés par les attentats, qui ont parlé de la manifestation ‘anti-étrangers et anti-migrants’ à Pontivy, qui a tourné à la ratonnade et à la bastonnade d’un homme d’origine maghrébine dont le seul tort était probablement d’avoir un faciès par trop ‘basané’ ?
Assez peu, au regard pourtant de l’importance du type de danger que ce genre d’événement révèle.
Car si le risque de guerre civile en France reste encore faible entre des ‘communautés’ qui se constitueraient ou s’agrégeraient dans l’instauration de la terreur (c’est l’objectif de Daech), c’est bien l’extrême-droite et ses groupuscules de type ‘identitaire’ comme en Bretagne qui sont un véritable danger pour demain, pour une raison simple : l’extrême-droite est l’alliée naturelle de Daesh dans cette instauration de la terreur dont le but unique est de prendre le pouvoir.
Si on suit le descriptif de cet événement, hors évidemment (et heureusement) la résultante, on s’aperçoit ainsi que les deux, Daech et l’extrême-droite, poursuivent les mêmes moyens (la terreur : des adolescents obligés de se cacher dans les maisons) et le même objectif (régner dans les rues et sur les esprits).
Autant que les attentats de Daech qui ont cette fois-ci visé n’importe qui en lieu et place des cibles désignées auparavant (juifs, caricaturistes), attentats qui révéleront par ailleurs que de nombreuses personnes issues de l’immigration auront été aussi victimes et pourraient même contribuer à ressouder une ‘communauté’ française passablement malmenée par les politiques mises en œuvre ces dernières décennies, c’est cette extrême-droite violente, qui n’hésite pas et n’hésitera pas demain à faire la chasse aux maghrébins et aux migrants dans les rues, qui portera les germes d’une guerre civile française : c’est son intérêt, et l’intérêt parallèle de Daech.
Le néo-fascisme lui est un danger plus global parce qu’il se présente sous les habits ripolinés d’un FN qui assoit aujourd’hui son rapport de force sur le champ politique, mais aussi parce qu’il est représenté en partie par les ‘va-t-en-guerre’ et les jusqu’auboutistes du ‘parti de l’ordre’ qui emprunteront d’autant plus ce boulevard qui finira en impasse du ‘nous sommes en guerre’ qu’ils se sentent piégés dès aujourd’hui sur ce même champ politique.
A cela, il faut bien évidemment adjoindre la ‘religion féroce’ d’un néo-libéralisme qui s’accommodera fort bien d’un néo-fascisme politique au pouvoir tant que celui-ci respectera les règles imposées, celles qui prévalent aujourd’hui sur le champ économique.
Ce dernier danger n’est pas le moindre et malheureusement sans doute le plus structuré au regard des autres dangers de demain, tant son inscription dans le temps depuis des décennies et sa montée en puissance ces dernières années avec la crise depuis 2008 est une réalité.
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Si la guerre civile n’est pas pour demain en France (et encore moins le ‘Califat’ de Daech qui appelle surtout les musulmans à venir vivre sur son territoire), il se peut qu’elle le soit pour l’après-lendemain par la volonté d’une extrême-droite qui se sent suffisamment forte pour traquer en toute impunité ceux qu’elle désignera comme coupables, aidée en cela par la récurrence attendue des actes de terrorisme de Daech, lequel sera d’autant plus fort que l’on continuera à dénommer ‘barbares’ ceux que Daech aura réussi à embrigader, donnant ainsi une identité à ceux qui pensaient en être dénié, que l’on continuera à bombarder obstinément une Syrie et un Irak où vivent des populations civiles sans perspectives politiques autres que Daech ou l’extermination, que l’on continuera à oublier les leçons de notre passé qui nous enseigne que pour gagner contre le terrorisme, il est nécessaire de lutter contre tous les terrorismes et surtout de donner des perspectives politiques et sociales nécessaires, a fortiori à ceux qui en sont dépourvus.
1) On peut utiliser des bombes nucléaires pour stériliser l’entrée d’abris souterrains (au sens galeries bien bouchées, comme au sens…