Retranscription de Le temps qu’il fait le 21 août 2015. Merci à Cyril Touboulic !
Bonjour, nous sommes le vendredi 21 août 2015. Et bien que je sois en train de terminer un ouvrage qui s’appellera Le dernier qui s’en va éteint la lumière – qui est un petit peu une réflexion sur la « collapsologie » comme on dit maintenant, c’est-à-dire sur les dangers qui menacent l’espace humaine quant à sa survie. – je ne peux pas m’empêcher de penser au fait que c’est dans quelques jours (dans 12 jours) que paraît mon livre qui s’appelle Penser tout haut l’économie avec Keynes.
Et ce qui m’a forcé à y penser un peu plus encore hier, c’est le fait que Roberto Boulant que vous connaissez, qui fait des billets très intéressants sur le blog, et en particulier un où il avait parlé au nom du détective américain Columbo, vous vous en souvenez peut-être. Ça a été beaucoup regardé, ça a été beaucoup diffusé. Roberto m’a fait un petit compte rendu du livre. Il a eu l’occasion de le lire. Je l’ai prêté à quelques personnes – le manuscrit – autour de moi, et il a eu l’occasion de le lire et il me dit qu’il fera d’autres billets sur ce livre.
Et voir ce que d’autres pensent de ce que vous avez écrit, ça vous oblige à poser un autre regard. Et en fait, ce n’est pas vraiment poser un « autre regard ». Vous connaissez peut-être un petit peu les idées que j’entretiens du côté de la psychanalyse. Et j’ai l’impression que nous nous comprenons nous-même de la même manière que nous comprenons les autres, c’est-à-dire essentiellement en nous observant. Et « en nous observant », c’est en nous regardant, par exemple, sur des vidéos, sur des photos, en nous écoutant nous-mêmes parler. Nous comprenons qui est la personne que nous sommes. Pourquoi ? Parce que le fait d’ingurgiter cette information supplémentaire relance, à mon sens, la dynamique d’affect qui nous fait poser des questions sur la personne que nous sommes : si nous avons le sentiment de coller ou non à cette réalité extérieure à nous.
Et donc je vois apparaître le petit texte de Roberto Boulant sur mon Keynes. J’avais déjà découvert un petit peu [ceci] aussi avec un texte extérieur : la quatrième de couverture que les éditions Odile Jacob ont rédigé. Et en voyant ça – la quatrième de couverture – et en voyant ce que dit Roberto Boulant, je me dis : « Ah oui ! Ah oui, c’est ça que je suis en train de faire ! C’est ça que j’ai essayé de faire ! ». On pourrait se dire qu’en passant deux ans à rédiger un livre, qu’on a eu l’occasion, à de multiples reprises, de comprendre ce qu’on était en train de faire, eh bien, oui d’une certaine manière, mais les autres sont le miroir qui vous permet de comprendre encore mieux ce que vous avez essayé de faire. Et dans ce que j’ai essayé de faire, – comme le dit Roberto Boulant, comme le dit cette quatrième de couverture – c’est d’essayer de nous remettre un peu sur les rails dans la manière dont nous envisageons les phénomènes économiques.
Comme vous le savez, moi, j’ai une formation dans un domaine connexe qui s’appelle l’« anthropologie économique ». Ça ne ressemble pas du tout, en fait, à la science économique. Pourquoi ? Parce que cette anthropologie économique s’est faite essentiellement par la comparaison de ce qu’on voit dans des sociétés extrêmement différentes de la nôtre, et donc ça met en perspective déjà, d’une certaine manière. Mais surtout l’anthropologie économique ne m’a pas permis quand même d’avancer beaucoup quand j’ai réuni des données : quand je suis allé travailler à l’île de Houat, et ensuite sur la côte du Bénin et d’autres pays africains comme le Congo, le Ghana, le Liberia, le Sierra Leone. J’ai commencé à voir apparaître une certaine réalité dans ces données, et même l’anthropologie économique ne me donnait pas la grille qui me permettait de comprendre de quoi il s’agissait.
Et c’est en retombant sur ce petit texte de Karl Polanyi qui s’appelle Aristote découvre l’économie [1957], que j’ai trouvé la méthode qui marchait. Donc je suis allé ressusciter ce qu’a dit Aristote sur l’économie. Et évidemment, l’économie de la Grèce du IVe siècle avant Jésus-Christ, ce n’est pas la nôtre. Il y a beaucoup de choses à ajouter, il y a beaucoup de choses qui se sont passées depuis, il y a la finance qui est apparue, qui est un domaine assez complexe. Tout ça, Aristote, évidemment, ne l’a pas vu mais il y avait là une grille pour comprendre, et ça a été vu [par lui].
Voilà, c’est ce qu’on appelle un « nouveau paradigme ». Et donc ce paradigme n’est pas neuf : il date, comme je viens de le dire, du IVe siècle avant Jésus-Christ, mais il n’a pas été utilisé. On peut dire qu’Aristote n’a pas été utilisé [en économie], avant qu’au milieu des années 80, j’aille ressusciter ce petit texte et ai commencé à analyser les choses dans ma pratique d’anthropologue : donc pour analyser une société bretonne traditionnelle, pour analyser ce que je voyais sur des plages dans des pays africains mais aussi par la suite, à partir de 1990, ce que je voyais dans le domaine de la finance, là où la grille de lecture d’Aristote marchait toujours.
Avant que je continue. Il y a quelqu’un qui a bien vu ça. Ça, c’est un livre qui s’appelle – que je vous ai déjà montré – Repenser l’économie, c’est de Philippe Herlin. Et il y a le chapitre 11 qui s’appelle La théorie de la proportion diagonale : c’est la théorie d’Aristote. Et ce chapitre, bon, il m’est consacré. Il est consacré à Aristote mais il m’est surtout consacré puisque Philippe Herlin dit, très gentiment, que si je n’étais pas allé ressusciter ça, eh bien, on n’en parlerait toujours pas.
Donc voilà ce que j’essaie de faire dans ce bouquin sur Keynes. C’est bien entendu ce qu’on appelle un nouveau paradigme. C’est une autre façon de voir les choses. Et je l’ai déjà dit mais je vais encore le répéter : ça ne ressemble pas à ce que l’on a appelé « keynésien » ou « post-keynésien » ou des mots où se trouvent « Keynes » dedans. Pourquoi ? Parce que je remets en question aussi la manière dont Keynes voit, regarde les choses. Parce que d’une certaine manière il était encore trop dans la grande tradition, même s’il se distingue fort de cette tradition dans laquelle il se trouvait, mais il y est encore suffisamment pour qu’il faille encore aller ailleurs, qu’il faille encore sortir de ce cadre.
Et c’est pour ça, lorsque ce livre sortira, je sais que je n’ai pas de cadeaux à attendre des économistes, pas plus des économistes hétérodoxes, comme on dit, que les économistes orthodoxes. Parce que je propose un cadre quand même assez différent, et je l’applique dans ce livre. Je parle non seulement des choses dont Keynes a parlé, mais aussi, je crois que c’est la quatrième de couverture qui le dit, que j’utilise ces grilles d’analyse nouvelles pour regarder les événements, pour analyser les événements récents, en particulier depuis la crise des subprimes en 2007-2008. Et c’est vrai, je crée une nouvelle boîte à outils et j’essaie tout de suite de la mettre en utilisation. Je montre comment on peut l’utiliser sur des exemples précis : j’ai déjà montré ça par quelques petits extraits, ici, en particulier sur les futures – les contrats à terme – « du terrorisme », des choses de cet ordre là ou la crise grecque, la crise de l’euro due à la Grèce en 2010-2012, etc.
Alors voilà, le problème évidemment c’est l’accueil que recevra ce livre. Je viens de le dire : je n’attends pas beaucoup de sympathie du côté des économistes ni orthodoxes ni hétérodoxes. Alors c’est à vous ! C’est à vous qui n’êtes pas économistes de, comme le disait Max Plack : ce sont les étudiants qui vont changer les choses, ce n’est pas les vieux barbons qui sont engoncés dans leurs idées, ce sont les gens qui viennent après : ce sont les jeunes. Alors ça peut être les jeunes, les tout jeunes économistes qui vont pouvoir aider ce livre à trouver sa place, et surtout, j’ai l’impression, les gens qui ne sont pas économistes, comme j’en ai l’expérience ces jours-ci : je montre ça à quelqu’un et puis cette personne me dit « Mais ça va de soi ! », « Ça paraît évident ! », « C’est de l’ordre de l’évidence absolue ! » et je réponds à cette personne « Oui, mais ce n’est pas du tout comme ça que le voient les économistes, ni les uns, ni les autres ! ». Ça paraît sans doute évident à celui qui se pose la question pour la première fois et qui trouve la réponse là.
Alors voilà, vous avez compris : aidez-moi ! Aidez-moi à ce que ce livre ait l’écho qu’il mérite. Pourquoi ? Ce n’est pas pour ma gloire personnelle, c’est parce qu’on a besoin d’outils pour comprendre le monde dans lequel on est si on veut le changer dans la bonne direction, si on veut l’empêcher de continuer d’aller droit au précipice comme il le fait, il nous faut des outils d’analyse, et ce livre sur Keynes c’est un petit peu ma réflexion sur deux ans pour produire, pour proposer, une boîte à outils pour comprendre sur ce qui est en train de se passer et ce qui va encore se passer.
Alors voilà, je vous le confie à votre lecture. Ça sera disponible dans 12 jours en librairie.
Merci, à bientôt !
Forcément, à partir du moment où une doctrine d’utilisation est définie – mais cela reste du « secret défense » pour permettre…