Billet invité.
Un peu de chimie s’impose :
Le KCN (cyanure de potassium) et le NaCN (cyanure de sodium), plus communément connus sous l’appellation abusive de cyanure, sont des sels du HCN (cyanure d’hydrogène ou acide cyanhydrique)…
Ainsi, 700 tonnes de cyanure auraient été stockées sur le lieu des explosions de Tianjin ?
Cette information avait d’abord été démentie par les autorités chinoises, avant d’être finalement confirmée au regard de la situation [1]…
Car 700 tonnes, CE N’EST PAS RIEN comparées aux 115 tonnes de cyanure rejetées dans la Tisza depuis le bassin de décantation de Baia Mare en Roumanie, où une digue de 25 m de long sur 2,5 m de large devait céder le 30 janvier 2000 sous l’effet de la pression due aux fortes précipitations. A cette époque, il avait fallu attendre le 18 février 2000 pour mesurer dans le delta du Danube situé en Mer Noire, c’est à dire à près de 2000 km en aval du lieu de l’accident, une densité de cyanure dans l’eau de l’ordre de 0,05 mg/l d’ores et déjà mortelle pour les truites après 5 jours d’exposition. La vague cyanurée qui déferla sur le Danube mesurait de 30 à 40 km de long, affectant directement les populations locales de 5 Etats (Roumanie, Hongrie, Serbie, Bulgarie et Ukraine). C’est ce que révèle notamment une fiche de synthèse du BARPI (Bureau d’Analyse des Risques et Pollutions Industriels) mise à la disposition du public depuis la base ARIA (Analyse Recherche et Information sur les Accidents) [2]. Les rivières situées autour du lieu de l’accident, telles que le Sasar, le Lapus et la Somes, devaient demeurer polluées durant plus de 3 semaines. En tout, pas moins de 20 espèces protégées furent décimées à la suite de cet accident industriel [3], considéré avant les explosions de Tianjin du 12 août dernier, comme l’un des plus graves depuis la catastrophe nucléaire de Tchernobyl le 26 avril 1986 [4]. Un rapport publié en mars 2000 par l’UNEP/OCHA (United Nations Environment Programme / Office for the Co-ordination of Humanitarian Affairs) fait état de diverses densités de produit toxique dans l’eau mesurées dans la région s’étendant de Tisza au delta du Danube suite à la rupture du bassin de décantation de Baia Mare en Roumanie [5].
Voici ci-dessous un tableau récapitulatif de ces mesures comparées notamment aux seuils de tolérance admissibles à la fois européens et internationaux :
Source : The REC (The Regional Environmental Center for Central and Eastern Europe) [6] Cliquer pour agrandir.
Rq. 1 µg/l = 0,001 mg/l, ce qui signifie que la densité de cyanure dans l’eau du bassin de décantation se situait après l’accident entre 66 et 81 mg/l, soit entre 1320 et 1620 fois le seuil de tolérance fixé par l’Union Européenne à 0,05 mg/l, à quelques exceptions près…
Il est inutile de rappeler ici la toxicité bien connue de ce produit. Par contre, il peut-être utile d’en rappeler les symptômes selon la dose ingérée [7] :
– à petite dose, maux de tête, vertiges, vomissements et palpitations
– à forte dose, convulsions, baisse de la tension et du rythme cardiaque, troubles respiratoires, perte de connaissance, coma et décès
Ainsi, une forte dose provoquerait des troubles respiratoires ?
La Roumanie fut condamnée le 27 janvier 2009 par la CEDH (Cours Européenne des Droits de l’Homme) pour violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée), à verser aux requérants souffrants de troubles respiratoires une indemnité de 6266 euros, la CEDH considérant notamment que « l’activité de l’usine […] pouvait causer une détérioration de la qualité de vie des riverains et, en particulier, affecter le bien-être des requérants et les priver de la jouissance de leur domicile de manière à nuire à leur vie privée et familiale » [8] ; ici, les requérants n’ont vraisemblablement pas eu la chance de croiser la route d’une Erin Brockovick [9] [10], à moins que ce ne soient tout simplement les lois américaines qui se révéleraient finalement bien plus avantageuses pour les victimes que ne le sont en réalité nos lois européennes ? Toujours est-il que la lecture de cet arrêt de la CEDH, qui reprend notamment les conclusions du rapport Task Force Baia Mare réalisé en décembre 2000 sur demande du Commissaire en charge de l’environnement à la Commission Européenne [11], en dit long quant aux agissements des lobbies du secteur de l’or, l’un des communiqués de presse de la Commission Européenne plaçant notamment la société minière Aurul, responsable du bassin de décantation de Baia Mare en Roumanie, dans la catégorie des activités industrielles dites « à haut risque » [12] [13]. Le rapport Task Force Baia Mare visait en outre la modification de la directive Seveso II (96/82/CE) en matière de dangers liés aux accidents industriels afin d’« y inclure le traitement minéral des minerais et, en particulier les bassins où digues de stériles dont l’usage est associé à ce traitement. ». Cette directive européenne est devenue depuis le 1er juin 2015 la directive Seveso III [14], suite à de nouvelles modifications qui concernent notamment la classification des établissements, mais aussi l’étiquetage et l’emballage des produits dangereux, certains établissements pouvant depuis l’entrée en vigueur de cette directive, bénéficier de dérogations spéciales selon les produits utilisés [15].
Quel étrange enchaînement des faits :
– entrée en vigueur le 1er juin 2015 de la directive Seveso III en Europe
– explosion le 12 août 2015 d’un important site de stockage de plus de 2400 tonnes de produits chimiques dangereux en Asie
Que ne ferait-on pas « au pays des merveilles » du capitalisme pour un peu d’or et d’argent ?
L’entreprise Tianjin Dongjang Port Rui Hai International Logistics Co. Ltd. créée en 2011 et propriétaire du site de stockage à l’origine des explosions, était spécialisée dans la distribution de produits chimiques dangereux et réalisait un chiffre d’affaire annuel de plus de 4 millions d’euros [16]. Le 12 août dernier, au cœur même de l’un des ports les plus importants au monde, deux explosions se produisirent provoquant un séisme d’une magnitude de 2,9 sur l’échelle de Richter, soit l’équivalent d’une explosion de 21 tonnes de TNT (trinitrotoluène). A partir de là, l’opacité chinoise demeurant fidèle à elle-même, il devient très vite difficile de s’y retrouver entre communiqués, démentis, confusions, chiffres contradictoires, rumeurs d’internautes chinois dont les comptes ont été supprimés, sites internet bloqués, vidéos HD supprimées, images de propagande, etc.. Toutefois, de nouvelles explosions ne pouvant être éludées se produisirent jusqu’au 17 août 2015, l’eau ne faisant pas bon ménage en présence de produits chimiques tels que le CaC2 (carbure de calcium) ou le TDI (diisocyanate de toluène), renforçant ainsi la colère des sinistrés de quelques 17000 logements détruits et des familles des 114 victimes officielles et 700 blessés [17]… d’aucuns diront : seulement ?
En attendant, selon les autorités chinoises, 150 tonnes de cyanure de sodium auraient d’ores et déjà été enlevées du site de stockage qui contenait plus de 2400 tonnes de produits chimiques, dont 700 tonnes de produits hautement toxiques [18], et une densité de cyanure dans l’eau 356 fois supérieure au seuil de tolérance aurait été mesurée à plusieurs endroits autour du site [19]. Il faut alors noter que cette densité serait comparable à celle mesurée en février 2000 à proximité de la rupture de digue du bassin de décantation de Baia Mare en Roumanie, et 388 fois supérieure au seuil de tolérance européen. Il semble encore trop tôt pour pouvoir tirer des conclusions. Toutefois, si ces chiffres devaient être confirmés, alors cela signifierait que plus de 100 tonnes de cyanure sur les 700 qui étaient entreposées au moment des explosions se seraient d’ores et déjà déversées dans les eaux usées de Tianjin. Aussi, que seraient devenues les 450 tonnes restantes ? Du HCN (cyanure d’hydrogène ou acide cyanhydrique) [20] ?
En attendant la réponse à cette question, dévoilée huit jours après les explosions, une vidéo éloquente prise le 14 août par un drone de Greenpeace, témoigne de l’ampleur de la catastrophe [21]. On y aperçoit des conteneurs et des installations éventrés sur des centaines de mètres autour du lieu des explosions où persiste encore une épaisse fumée noire…
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[1] D. Roulette, Tianjin: les journalistes face à la censure gouvernementale, rtbf, 18/08/2015 :
[2] Pollution des eaux par des effluents cyanurés en Europe de l’Est, BARPI, Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie, n°17265, mars 2008, 8 p : http://www.aria.developpement-durable.gouv.fr/wp-content/files_mf/FD_17265_baia_mare_2000_fr.pdf
[3] Emma Batha, Death of a river, BBC News Online, 15/02/2000 : http://news.bbc.co.uk/2/hi/europe/642880.stm
[4] Chronologie de catastrophes industrielles, Wikipédia, L’encyclopédie libre, 20/08/2015 :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Chronologie_de_catastrophes_industrielles
[5] Cyanide Spill at Baia Mare Romania, Spill of liquid and suspended waste at the Aurul S.A. Retreatment plant in Baia Mare, UNEP/OCHA Assessment Mission, mars 2000, 60 p : http://reliefweb.int/report/hungary/cyanide-spill-baia-mare-romania-unepocha-assessment-mission-advance-copy
[6] Paul Csagoly, The Cyanide Spill at Baia Mare, Romania, Before, During and After, Summary of the UNEP/OCHA Assessment Mission, REC for Central and Eastern Europe, juin 2000, 8 p : http://archive.rec.org/REC/Publications/CyanideSpill/ENGCyanide.pdf
[7] Intoxication au cyanure, Wikipédia, L’encyclopédie libre, 24/06/2015 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Intoxication_au_cyanure
[8] AFFAIRE TÄ‚TAR c. ROUMANIE, CEDH, Arrêt, n°67021/01, 27/01/2009, 51 p : http://www.rtdh.eu/pdf/20090127_tatar_c_roumanie.pdf
[9] Erin Brockovich (personne), Wikipédia, L’encyclopédie libre, 04/06/2015 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Erin_Brockovich_(personne)
[10] Erin Brockovich, seule contre tous, film de Steven Soderbergh, avec Julia Roberts et Albert Finney, Jersey Films, 2000 : http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=23980.html
[11] Tom Garvey, Kaj Barlund, Liliana Mara, Philip Weller (de WWF), et al., Report of the International Task Force for Assessing the Baia Mare Accident, BMTF, décembre 2000, 42 p : http://wwf.panda.org/downloads/baia_mare_task_force_report_2000.pdf
[12] La Commission prépare des initiatives sur la sécurité des mines, Commission Européenne, IP/00/1236, 30/10/2000 : http://europa.eu/rapid/press-release_IP-00-1236_fr.htm?locale=FR
[13] La Commission se félicite de la sortie du rapport de la task force Baia Mare, Commission Européenne, IP/00/1471, 15/12/2000 : http://europa.eu/rapid/press-release_IP-00-1471_fr.htm?locale=FR
[14] Concernant la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs impliquant des substances dangereuses, modifiant puis abrogeant la directive 96/82/CE du Conseil, Directive 2012/18/UE du Parlement Européen et du Conseil, 04/07/2012, date d’effet 01/06/2015, 37 p : http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/di2012_18.pdf
[15] Nomenclature ICPE/Seveso III, Sécurité industrielle, UIC (Union des Industries Chimiques) : http://www.uic.fr/Activites/Securite-industrielle/Nomenclature-ICPE-Seveso-III
[16] Note d’information : la société possédant des entrepôts pour explosifs à Tianjin, Xinhuanet, 13/08/2015 : http://french.xinhuanet.com/2015-08/13/c_134511729.htm
[17] Explosions à Tianjin : les sinistrés veulent être indemnisés, Le Parisien, 17/08/2015 : http://www.leparisien.fr/faits-divers/explosions-a-tianjin-les-sinistres-reclament-une-indemnisation-au-gouvernement-17-08-2015-5015823.php
[18] Claude Fouquet, Tianjin : l’entrepôt qui a explosé contenait plus de 2400 tonnes de produits toxiques, Les Echos, 20/08/2015 : http://www.lesechos.fr/monde/chine/021271359946-tianjin-lentrepot-qui-a-explose-contenait-plus-de-2400-tonnes-de-produits-toxiques-1146476.php#
[19] Timothée Vilars, Tianjin : taux de cyanure démentiels, des milliers de poissons morts, L’OBS, 20/08/2015 : http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20150820.OBS4460/tianjin-taux-de-cyanure-dementiels-des-milliers-de-poissons-morts.html
[20] Cyanure d’hydrogène, Wikipédia, L’encyclopédie libre, 17/08/2015 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Cyanure_d%27hydrog%C3%A8ne#Propri.C3.A9t.C3.A9s_physiques
[21] Jessica Dubois, VIDEO. Explosion de Tianjin : Greenpeace dévoile de nouvelles images filmées par drone, LE HUFFINGTON POST, 20/08/2015 : http://www.huffingtonpost.fr/2015/08/20/video-tianjin-explosion-greenpeace-drone_n_8014834.html
1) On peut utiliser des bombes nucléaires pour stériliser l’entrée d’abris souterrains (au sens galeries bien bouchées, comme au sens…