Le plancton ne pratique guère la compétition, par Marie-Paule Nougaret

Billet invité.

En ce temps des énigmes, un peu de douceur nous vient du royaume des sciences où on ne l’attendait plus. On s’est habitué à voir la biologie moléculaire comme un grand bric-à-brac de pièces de rechange, où l’on puise des gènes pour adapter les plantes et les microbes aux industries de la pharmacie et de l’agriculture, voire à la finance en mal de royalties. Car côté médecine, la thérapie génique balbutie. Cependant, l’analyse des gènes a montré, dans plusieurs maladies héréditaires, que par endroits dans le corps, une mutation néfaste pouvait revenir à la normalité. On ignore les régulations qui y président. Mais déjà se dessine une nouvelle thérapie génique, naturelle, sans virus, par auto-greffe de cellules guéries. Merci la biologie  moléculaire, donc.

Cette discipline numérique – et radioactive – vient aussi au secours de notre moral, quelque peu affecté par les discours sur la compétition, voire la « compétitivité », un mot chéri par les autoritaires. Ils en ont plein la bouche, ils n’arrêtent jamais. Alors consolons nous, les plus gros ordinateurs du CEA, à Cadarache, ont tourné pour dresser la carte génétique du plancton marin ; et l’analyse des premiers résultats réfute cette conception belliciste de la vie.

Des chercheurs sont partis trois ans et demi sur toutes les mers du globe, à bord de la goélette Tara, à la voile le plus souvent. Ils ont pêché le plancton jour et nuit, 60 h d’affilée, à trois niveaux de profondeur dans la surface éclairée, dans 68 endroits. Expédié tous les trois mois 20 t d’eau congelée par avion vers l’Europe, Paris, Liège, Naples, Roscoff ou Villefranche sur mer. Trouvé de l’ADN déjà connu, sur terre comme sur mer, et davantage. Un million de protéines virales différentes, soit 5476 types de virus, dont on ne connaissait que 39. Des bactéries représentant 40 millions de gènes, inconnus à 80 %. Et dans la taille au dessus, des organismes à noyaux (eucaryotes) : micro algues et micro animaux du phyto et zooplancton. Ce sont eux qui nous intéressent ici.

Colomban de Vargas, de la station biologique de Roscoff a étudié l’écologie du méso-plancton, de 0,8 µ à quelques mm, méso signifiant moyen, situé entre les microbes et les organismes visibles à l’œil nu. Ce méso plancton représente aujourd’hui 150 000 types génétiques quand on en connaissait 11 200. Il s’agit à 85 % de protistes, animaux incapables de se nourrir comme les algues, de lumière, d’eau et de CO2. Ils doivent donc manger, ou échanger avec les autres. « Ils ont inventé la fonction de manger » dit Vargas, par allusion au fait que la vie serait sortie des mers.

Diatomée

Protiste acanthaire avec micro-algues en symbiose (points vert clair) photos Tara

Mais les protistes peuvent aussi s’allier aux algues qui leur procurent l’oxygène, pour un bénéfice mutuel. Analysant les relations dans ce monde oublié, le chercheur découvre beaucoup de parasitisme, un peu moins de symbiose, très peu de compétition. En effet, le plancton se révèle très spécialisé. Certaines espèces vivent en petite colonie, où un individu procure le déplacement de tous ; un autre la nourriture etc. Vargas conclut, dans Science du 22 mai 2015  : « les interactions, davantage que la compétition pour les ressources ou l’espace, paraissent les moteurs de la diversification des organismes dans le plancton marin. »

On sait de longue date qu’à épuiser son hôte un parasite prend le risque de mourir. Mais comment passe-t-on du parasitisme à la symbiose ? D’où vient l’intelligence de l’armistice et du traité de paix ? Le mystère s’épaissit.

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