Billet invité.
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Nous venons de l’apprendre, la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration), par l’intermédiaire de son département National Centers for Environmental Information, vient de déclarer, comme ce fut déjà le cas pour le mois de mai 2015, le mois de juin 2015 le plus chaud jamais enregistré depuis 1880, du fait notamment d’une anomalie de température moyenne globale (continents + océans) de +0,85°C, sachant en outre que pour l’ensemble des continents de l’hémisphère Nord, cette anomalie prend elle aussi la première place du classement des mesures à +1,57°C [1], soit une anomalie de +0,21°C par rapport à mai 2015, bien loin devant l’anomalie déjà record à l’époque de juin 2012 à +1,30°C pour l’ensemble des continents de l’hémisphère Nord [2].
Nous avions déjà écrit dans un billet précédent [3] que tout ceci n’augurait rien de bon, notamment pour l’ensemble de la cryosphère terrestre, compte tenu de la très grande complexité du système climatique en présence et des multiples facteurs, à la fois internes et externes, l’influençant, et dont la contribution d’origine anthropique ne peut plus être contestée.
Dans un autre rapport, mais cette fois-ci annuel, intitulé State of the Climate in 2014 [4] dont la publication via l’AMS (American Meteorological Society) vient récemment d’être annoncée par la NOAA [5], des scientifiques du monde entier expriment très clairement leurs observations face aux évolutions à la fois rapides et records du climat mondial cette année là. Et si certains climato-sceptiques s’ingénient à voir habituellement une certaine stabilité de la région antarctique de la cryosphère terrestre, ils seraient certainement très surpris de constater en parcourant ce rapport, des extrêmes saisonniers à la fois inhabituels et violents pour cette région. Mais il y a encore plus éloquent dans ce rapport, une mesure qui pousse à l’interrogation, voire à la stupéfaction, et qui sonne comme un coup de grisou bien avant la date butoir de la COP21, le 11 décembre prochain à Paris.
La contribution au forçage radiatif des principaux gaz à effet de serre du fait des activités anthropiques, soit une vingtaine de gaz en tout, les WMGHG (Well Mixed Green House Gases), a été retenue pour 2014 par rapport à 1750 à 2,94 Wm-² (Watts par mètre au carré), soit une hausse record de 36% par rapport à la contribution de ces mêmes gaz en 1990, selon les auteurs dudit document [4].
Pas étonnant que l’on s’inquiète en haut lieu, annonçant soudainement l’arrivée prochaine de mesures importantes contre les émissions de gaz à effet de serre ; reste à savoir lesquelles ?
Que l’on comprenne bien ce qui est en train de se passer. Aussi, revenons un instant sur le dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat).
Dans son 5e rapport, l’AR5 [6], déjà largement diffusé depuis 2014, le GIEC a pour principal objectif d’établir, sur la base des dernières données de mesure consolidées en 2013, relatives aux changements climatiques, pas moins de quatre scenarii de forçage radiatif total approximatif pour l’année 2100 par rapport à 1750, les RCPs (Representative Concentration Pathway) [7], qui seront notamment fonction de notre niveau d’effort de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre :
- le RCP2.6 pour un forçage radiatif de 2,6 Wm-² (Watts par mètre au carré) avec une concentration en CO2 (dioxyde de carbone) de 421 ppm (parties par million) en 2100
- le RCP4.5 pour 4,5 Wm-² avec une concentration en CO2 de 538 ppm en 2100
- le RCP6.0 pour 6,0 Wm-² avec une concentration en CO2 de 670 ppm en 2100
- le RCP8.5 pour 8,5 Wm-² avec une concentration en CO2 de 936 ppm en 2100
Et si l’on tient compte également des concentrations en CH4 (méthane) et N2O (protoxyde d’azote), alors les concentrations combinées en équivalent CO2 de ces RCPs deviennent respectivement 475 ppm (RCP2.6), 630 ppm (RCP4.5), 800 ppm (RCP6.0), et 1313 ppm (RCP8.5) en 2100.
Afin de bien percevoir la différence entre ces différents scenarii, il suffit de se reporter au résumé graphique repris ci-dessous opposant deux RCPs extrêmes du rapport et nous présentant pour la période 2081-2100 par rapport à la période 1986-2005, l’anomalie de température (a), l’anomalie de précipitation (b), la surface de la banquise arctique en septembre (c) et l’anomalie d’acidité des océans (d) :
Source : GIEC AR5 WGI ALL FINAL, p 22
D’une manière générale, ce forçage radiatif total exprimé par les RCPs se décompose de la manière suivante ; exemple ici pour l’année 2011 par rapport à 1750 :
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Source : GIEC AR5 WGI ALL FINAL, p 697
On notera quelques années de référence pour lesquelles ce forçage radiatif total évoluait déjà très tôt de manière croissante par rapport à 1750 :
- en 1950 : 0,57 Wm-²
- en 1980 : 1,25 Wm-²
- en 2011 : 2,29 Wm-² (dû au total des gaz d’origine anthropique du tableau ci-dessus)
Et voici les prévisions proposées par le GIEC pour l’ensemble des RCPs (courbes continues) :
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Source : GIEC AR5 WGI ALL FINAL, p 701
Nous pouvons assez facilement percevoir par projection sur ce graphe que la mesure de 2,94 Wm-² pour 2014 est d’ores et déjà au dessus des scenarii RCP2.6 et RCP8.5 proposés par le GIEC pour 2014 et appliqué au seul forçage radiatif des WMGHG (courbes mixtes respectivement bleue et rouge) ; un simple réticule suffit pour apprécier la projection et se faire une opinion (comme ajouté sur le graphe précédent en vert fluo).
Ce qui reviendrait à dire que le scénario RCP2.6 serait d’ores et déjà obsolète si rien n’est décidé rapidement, mais pire encore, que nous nous situerions d’ores et déjà au delà de la prévision 2014 correspondant au RCP8.5, à savoir bien loin du scénario RCP4.5 correspondant à la limite d’anomalie de température moyenne globale de 2°C… et l’année 2015 déjà bien chaude qui nous réserve encore bien d’autres surprises.
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Source : GIEC AR5 WGI ALL FINAL, p 89
Une fois n’est pas coutume, le risque est donc grand que les modèles climatiques actuellement utilisés par le GIEC, aussi sophistiqués soient-ils, sous-estiment grandement la réalité des impacts des gaz à effet de serre sur l’ensemble du système climatique mondial. Nos dirigeants doivent se rendre à l’évidence et faire preuve d’une largesse d’esprit sans précédent dans l’histoire et d’une sagesse politique historique, tant nous ne maîtrisons absolument plus rien du tout… et ceci en dépit de la qualité incontestable de l’AR5 ; mais c’est justement la très grande richesse de ce rapport qui doit nous faire admettre notre échec absolu en terme de modélisation/simulation du système complexe observé en présence, et cela-même au regard des dernières données de mesure retenues pour l’année 2014 du fait du réchauffement climatique en cours. Il y a sans nul doute de l’entropie de changement d’état d’un corps pur [8] à tous les étages de ce système, d’où les changements exponentiels non maîtrisés qui s’opèrent à tous les niveaux sans qu’on puisse les prévoir avec précision par manque cruel de variables de mesure. Il y a donc beaucoup trop d’interactions qui nous échappent et nous serions sans doute surpris d’apprendre que nos modèles n’approchent tout au plus que 10% de la réalité… allez savoir !
Pour bien comprendre notre problème, il suffit simplement de s’imaginer le modèle idéal d’un tel système, un modèle ou le langage binaire n’a pas sa place, un modèle où l’ensemble des données de mesure du système climatique mondial peuvent être représentées selon un espace euclidien de dimension n encore inconnue à ce jour, voire infinie [9]. Chaque variable faisant l’objet de collecte de mesures (températures, élévation du niveau des océans, concentration en CO2, forçage radiatif total, etc.) peut alors être représentée dans cet espace par un vecteur dit d’observation dont la norme ne cesse de croître au fur et à mesure de la collecte en quasi temps réel des données de mesure. Chaque couple de variables pouvant être identifié par exemple par le triplet de données suivant (variance/covariance, corrélation croisée, corrélation de Pearson) qui permettra la localisation dans cet espace euclidien de l’ensemble des vecteurs dits d’observation du système complexe observé ; la corrélation de Pearson correspondant au cosinus de l’angle formé par deux vecteurs d’observation. Imaginez la combinatoire d’un tel modèle et vous comprendrez alors qu’il n’existe actuellement aucun supercalculateur sur Terre nous permettant d’en venir à bout ne serait-ce qu’en quelques minutes. Et même en simplifiant ce modèle par un procédé d’aplatissement en 3 dimensions de cet espace euclidien de dimension n, il ne sera toujours pas possible d’en venir à bout.
L’astrophysicien Roland Lehoucq écrivait dans Le Monde diplomatique de janvier 2005 cet article indispensable : Compte à rebours [10]. Et ce compte à rebours est bel et bien lancé, certes, si ce n’est que les bactéries n’ont pas la capacité d’inventer les machines et l’IA, encore moins les lobbies. Notre situation est donc aujourd’hui bien pire que celle de simples bactéries en milieu fini. Il aurait donc fallu envisager le scénario d’une croissance exponentielle de base nettement supérieure à 1. Par exemple, une première approche aurait pu consister à fixer la base de la manière suivante :
1 pour l’humain
2 pour l’humain + les machines (la révolution industrielle)
3 pour l’humain + les machines + les lobbies (l’emprise du capitalisme)
4 pour l’humain + les machines + les lobbies + l’IA (la révolution numérique)
voire 5 pour l’humain + les machines + les lobbies + l’IA + les fourmis (La Révolution des Fourmis [11])
… peut-être nous serions-nous alors rendu compte dès 2005 qu’il était déjà trop tard ?
À ce stade, une prise de recul sur l’ensemble des observations/mesures relatives aux états successifs du système complexe observé, au sein duquel nous parvenons encore, on ne sait comment, à évoluer, laisserait penser que nous serions dans une sorte de régime forcé sans avoir atteint sa fréquence de résonance, mais nous serions vraisemblablement bien au delà de sa première fréquence de coupure (certains parleraient ici de PNR) et donc dans la bande passante à -3dB~20log(1/√2), les bulles ne semblant guère vouloir aller plus haut faute de ressources ou d’espace (pétrole, population, etc.). Certains parlent alors naïvement de reprise ; mais une reprise en trompe l’œil pour l’espèce humaine du fait de l’arrivée imminente de la face encore cachée du « soliton » [12]… l’inconnu !
Peut-être aurions-nous dû méditer plus avant cette citation de Laplace ?
« Nous devons donc envisager l’état présent de l’univers, comme l’effet de son état antérieur, et comme la cause de celui qui va suivre. Une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée, et la situation respective des êtres qui la composent, si d’ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l’analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome », Laplace, Essai philosophique sur les probabilités.
Or, nous sommes pour ainsi dire aujourd’hui complètement désarmés même si nous nous efforçons de jouer depuis plus de 30 ans les apprentis sorciers. Or, face à un tel système sur le point de s’emballer, il n’y a pas 1000 alternatives possibles, si ce n’est éventuellement un choc : IL FAUT TOUT STOPPER ET VITE !
Les signaux d’alerte ne manquent pas pour s’en convaincre et suffisent à eux seuls pour se rendre compte de notre échec. Il ne suffit plus de les écouter. Il faut aussi reconnaître les avoir entendus. C’est la seule chance qu’il nous reste afin que nous puissions espérer prendre le recul nécessaire à la réparation de l’environnement, à la sauvegarde de la biodiversité, ainsi qu’à la reconstruction de notre modèle de civilisation dont le préalable sera d’abord de le repenser complètement, sur la base, sans doute, de réflexions d’ores et déjà déposées et partagées, telles que toutes celles que l’on peut trouver sur le blog de Paul Jorion. C’en sera alors définitivement terminé de la longue agonie du capitalisme aveugle et prédateur, et certains devront probablement rendre des comptes.
Comme l’écrit le Pape François dans son Encyclique [13], je cite :
« La notion de bien commun inclut aussi les générations futures. Les crises économiques internationales ont montré de façon crue les effets nuisibles qu’entraîne la méconnaissance d’un destin commun, dont ceux qui viennent derrière nous ne peuvent pas être exclus. On ne peut plus parler de développement durable sans une solidarité intergénérationnelle. Quand nous pensons à la situation dans laquelle nous laissons la planète aux générations futures, nous entrons dans une autre logique, celle du don gratuit que nous recevons et que nous communiquons. Si la terre nous est donnée, nous ne pouvons plus penser seulement selon un critère utilitariste d’efficacité et de productivité pour le bénéfice individuel. Nous ne parlons pas d’une attitude optionnelle, mais d’une question fondamentale de justice, puisque la terre que nous recevons appartient aussi à ceux qui viendront. »
En bref, notre problème se résume bel et bien en 3 mots : « usus, fructus et abusus » [14]. IL NE SUFFIT PAS SIMPLEMENT DE REDUIRE NOS EMISSIONS DE GAZ A EFFET DE SERRE, IL FAUT TOUT STOPPER ET VITE !
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Source : GIEC AR5 WGIII FINAL, p 9
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Source : GIEC AR5 WGIII FINAL, p 7
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[1] NOAA National Centers for Environmental Information, State of the Climate: Global Analysis for June 2015, published online July 2015, retrieved on July 21, 2015 from http://www.ncdc.noaa.gov/sotc/global/201506
[2] NOAA National Centers for Environmental Information, State of the Climate: Global Analysis for June 2012, published online July 2012, retrieved on July 21, 2015 from http://www.ncdc.noaa.gov/sotc/global/201206
[4] Blunden, J. and D. S. Arndt, Eds., 2015: State of the Climate in 2014. Bull. Amer. Meteor. Soc., 96 (7), S1–S267
[6] http://www.ipcc.ch/report/ar5/
[7] https://fr.wikipedia.org/wiki/Sc%C3%A9nario_RCP
[8] https://fr.wikipedia.org/wiki/Entropie_d%27un_corps_pur
[9] https://fr.wikipedia.org/wiki/Espace_euclidien
[10] http://www.monde-diplomatique.fr/2005/01/LEHOUCQ/11808
[11] https://fr.wikipedia.org/wiki/La_R%C3%A9volution_des_fourmis
[12] http://www.pauljorion.com/blog/2014/11/06/la-question-du-soliton-est-devenue-indecomposable/
Forcément, à partir du moment où une doctrine d’utilisation est définie – mais cela reste du « secret défense » pour permettre…