Billet invité.
Peu d’observateurs attentifs de notre monde contestent aujourd’hui la responsabilité de la finance globalisée dans le déclenchement de la crise actuelle. Mais peu de responsables politiques s’inquiètent de la remettre à sa place, qui est d’être au service de la collectivité ; la majorité d’entre eux font même au contraire tout leur possible pour la rétablir dans sa splendeur parce que ce serait la seule façon d’éviter un cataclysme financier systémique, et de renouer avec une croissance qui tarde à se manifester avec la vigueur qui permettrait de résorber un sous-emploi de plus en plus difficile à dissimuler dans les circonvolutions de la langue de bois des statisticiens et des commentateurs complaisants, parce qu’il n’est pas conjoncturel, mais résulte de la révolution du traitement de l’information, et de la mise en concurrence fiscale et sociale sauvage des états nations au nom de la « compétitivité » des entreprises.
Plus grave sans doute, les modes de fonctionnement qu’impose la main magique des marchés financiers est probablement totalement incompatible avec l’Eldorado du développement durable qui est devenu le nouvel opium pour faire patienter les peuples en attendant des jours forcement meilleurs. Dès que l’on réfléchit un peu sérieusement aux modalités concrètes de la transition vers des modes de fonctionnement plus durables, on bute très vite sur le fait que le fonctionnement actuel de la finance de marché n’est pas compatible avec ce type de modèle de développement, pour une raison toute simple : le durable remplace en fait la « cueillette » et la pollution de ressources épuisables par la « culture » de ressources renouvelables dont l’impact sur la biosphère est minimisé parce qu’au lieu de produire des déchets que l’on jette pour pouvoir produire et vendre toujours plus, on introduit le concept d’économie circulaire dans lequel, comme c’est le cas dans la biosphère, les déchets des uns sont les matières premières des autres. Pour simplifier, la transition vers le durable, c’est l’intégration harmonieuse de l’activité humaine dans la biosphère par la suppression des comportements parasitaires qui ont marqué l’ère industrielle qui n’ont été supportables que tant que la population humaine était peu nombreuse et vivait en moyenne dans des conditions rustiques, voire rudimentaires
Pour réaliser cette transition, il va falloir réaliser des investissement lourds et rentables dans le temps souvent très long (50 ans et plus pour les infrastructures à base de génie civil par exemple), comme l’ont fait nos ancêtres quand ils sont passés du nomadisme des chasseurs/cueilleurs à la sédentarité des agriculteurs: il suffit d’un panier pour cueillir des champignons, mais il faut un bâtiment et pas mal de matériel pour créer une champignonnière.
Ces investissements longs et lourds ne peuvent pas être amortis si les cash-flows ne sont pas stables, car les marges sont faibles : un agriculteur peut supporter certaines variations du prix de ses productions et de ses intrants, surtout quand il est propriétaire de ses terres, mais dans une fourchette bien plus étroite que celle qu’imposent désormais des marchés qui varient de plusieurs points de pourcentage au moindre événement dans le monde. La plupart des états l’ont compris dans le cas de l’agriculture, et, pour garantir le panem de leur bon peuple ont introduit pour les productions agricoles des mécanismes de garantie, le plus souvent dans notre monde marchand sous forme d’assurances qui assurent bon an mal an un minimum vital de revenu à tous les producteurs.
La finance de marché fonctionne sur des principes inverses :
– elle ne garantit pas la stabilité des cours par des mécanismes assurantiels, mais par la spéculation
– son objectif n’est pas d’être immobilisée dans des investissements au long cours, mais de faire tourner le capital aussi vite que possible, en le « liquéfiant » au point de faire des instruments qui le représentent une quasi monnaie, que l’on peut transformer en cash à tout moment ou presque,
– sa rémunération ne vient pas pour l’essentiel d’une création de richesse réelle, mais des variations aussi spéculatives que browniennes des cours de cette quasi-monnaie. Autant dire qu’elle s’applique à les multiplier, se contentant pour sauver la face de les organiser autour de « tendances lourdes » qui permettent de faire passer la supercherie sous le tapis.
Les solutions pour échapper à ce délire courtermiste existent et sont connues depuis longtemps. En schématisant, elles consistent d’une part à passer l’achat « d’objets » consommables, à l’achat de l’usage de ces objets, – une transition difficile dans un monde ou le droit de propriété individuelle est souvent considéré comme un héritage révolutionnaire et s’applique aux choses, plus qu’à l’usage de ces choses -, et de l’autre, la création de coopératives de filières regroupant usagers, producteurs et fournisseurs de ces producteurs. Les exemples existent déjà sous forme d’AMAP dans le domaine agricole, ou dans le cas particulier des vignobles où des consommateurs/investisseurs sont rémunérés en caisses de vin. Le même principe pourrait s’appliquer à l’automobile : au lieu d’acheter une voiture et de la changer périodiquement, l’automobiliste investirait une certaine somme d’argent qui lui donnerait un « droit de propriété » sur l’usage d’un certain type de véhicule, qui resterait propriété du fabricant pendant toute sa durée de vie, quel que soit l’utilisateur. Accessoirement, ce type de schéma présente techniquement l’avantage que le fabricant à intérêt à réutiliser, si possible directement, le maximum de composants des véhicules qui lui sont retournés. On passe alors d’un modèle de business qui incite fortement à des changements de gammes aussi fréquents que possible pour maximiser les ventes d’objets véhicules à un schéma, plus vertueux écologiquement, dans lequel l’intérêt du constructeur est de vendre un maximum d’usage (km, mois, etc.), en extrayant pour cela le maximum de valeur d’usage possible de chacun des constituants des véhicules.
Ce genre de montage ne peut être financé que par des institutions fonctionnant elles aussi sur le mode coopératif, – même si elles sont de droit privé -, car elles ne peuvent exister que si les intérêts des associés de la banque convergent avec ceux des emprunteurs, ce qui est le cas des banques locales et de la plupart des banques coopératives. Mais jusqu’à présent, le système s’est empressé de récupérer ou de détruire ces organisations dès qu’elles sont devenues gênantes (Crédit Agricole, Banque Populaire en France par exemple). Réinventer de véritables banques coopératives, comme il en existe beaucoup plus qu’on ne le pense en général, même aux Etats-Unis, est une priorité. Les protéger en les mutualisant dans le cadre d’organisations de type Visa ou Mastercard adapté à leurs particularités sera probablement une nécessité.
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