Merci à Olivier Brouwer !
Journaliste : Le regard, à 8h19, d’un économiste. Paul Jorion est en direct au téléphone avec nous. Bonjour.
Paul Jorion : Bonjour.
Journaliste : Vous êtes notamment membre du groupe de réflexion sur l’économie positive, groupe dirigé par Jacques Attali. Il n’y a donc toujours pas d’accord à ce stade. Ce qui coince, notamment, c’est le refus d’Alexis Tsipras, refus d’une nouvelle aide du FMI. Pourtant, c’est ce qu’exigent les Européens. Il a raison de refuser cette nouvelle aide de la part du FMI, le Premier Ministre grec ?
Paul Jorion : Mais ce n’est pas à ça qu’on assiste en ce moment ! Ce [à quoi] on assiste en ce moment, c’est à l’éclatement de la Troïka, ce sont les divisions de la Troïka. C’est ça, le problème. C’est le fait qu’il y a maintenant deux camps, deux camps à l’intérieur du reste de la zone euro. Il y a maintenant un camp qui est dirigé, on pourrait dire, par la France, mais qui a le soutien, en sous-main, de Madame Merkel, qui a le soutien, on l’a entendu hier soir, du Ministre des Affaires Etrangères du Luxembourg, qui a le soutien du FMI qui a reconnu des erreurs par rapport à l’austérité. Et de l’autre côté, on a un camp qui se rallie autour de Monsieur Wolfgang Schäuble, le Ministre des Finances allemand, et qui a une position de droite extrêmement dure – on peut appeler ça une extrême-droite économique – et qui reçoit le soutien, c’est assez significatif, d’un parti d’extrême-droite finlandais. Il y a deux positions, maintenant, à l’intérieur [de la Troïka].
Les Grecs ont affaire à deux positions devant eux. Ce n’est un secret pour personne, le fait que la position grecque a été écrite à Paris avec le soutien de Monsieur Valls et de Monsieur Hollande. Non, c’est l’Europe, à part la Grèce, qui est en train de se diviser. On a entendu [dire] – c’était, je crois, vendredi – qu’une réunion a dû être interrompue parce que Monsieur Schäuble s’en est pris violemment à Monsieur Mario Draghi à la tête de la Banque centrale européenne. Non, le problème des Grecs, c’est qu’ils ont maintenant, devant eux, deux positions européennes.
Journaliste : Les Grecs, aussi, qui vont sans doute subir une nouvelle cure d’austérité, si un plan, un accord, est adopté. Est-ce que ce plan pourrait permettre à la Grèce de se remettre sur pied ? Question posée aussi à l’économiste que vous êtes, Paul Jorion.
Paul Jorion : Oui, non, l’austérité… Une des raisons pour lesquelles les choses coincent, c’est que [à cause de] l’austérité qui a été imposée à la Grèce, c’est que maintenant, l’argent dont elle a besoin continue d’augmenter de jour en jour. Et là, j’y ai fait allusion, mais l’économiste en chef du Fonds monétaire international, Monsieur Olivier Blanchard, a dit que sa propre institution s’était trompée dans les calculs et que ce n’est pas l’austérité qu’on aurait dû appliquer à l’Europe entière, mais au contraire la relance, qu’une erreur avait été faite sur ce qu’on appelle le multiplicateur.
Non : c’est là qu’on en est. Ce qui s’écroule, c’est le mythe que les propositions qui sont faites à la Grèce seraient justifiées par une théorie économique. Cette théorie économique n’existe pas. Ce sont des mesures d’ordre purement politique. C’est une représentation, c’est celle de Messieurs von Hayek, von Mises, Milton Friedman. C’est la position qui a été défendue par l’école de Chicago pour soutenir Augusto Pinochet au Chili, il faut bien le savoir. C’est cette même politique qui est défendue par Monsieur Schäuble.
C’est très bien pour l’Europe, que l’Europe n’est plus unie derrière des positions comme ça et qu’émerge, je dirais, un certain bon sens, un certain bon sens économique et politique contre ces positions.
Non, ce qu’il faut faire maintenant, dans les jours qui viennent, c’est que cette position de Monsieur Schäuble s’écroule, c’est qu’il perde la bataille. Parce qu’on sait aussi, j’y ai fait allusion, qu’en sous-main, Madame Merkel… bon, d’abord, en surface, elle ne peut pas dire à son Ministre des Finances qu’il a tort, mais il représente une position qui est minoritaire en Europe et elle le sait, et elle sait que si c’est la position de Schäuble qui gagne, eh bien, c’en est fini de la zone euro. Il ne faut pas imaginer qu’on va expulser comme ça la Grèce et qu’il ne se passera rien en Espagne, rien au Portugal, dans des pays qui sont dans des situations qui ne sont pas très différentes.
Il faut savoir aussi que le problème de la dette, c’est un problème de tous les pays européens. C’est un système tout entier fondé sur la dette souveraine qui ne fonctionne plus. Il ne faut pas croire que ce sont des problèmes qui ne concernent pas la Belgique [aussi] !
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