Billet invité.
L’Europe ! Ce matin on pouvait voir en direct le discours d’Alexis Tsipras au Parlement européen ; il devrait rester dans l’Histoire.
Dans cette enceinte dominée majoritairement par des gens cravatés dans une pensée unique néolibérale, son message n’était ni une proclamation d’extrême-gauche, ni un appel à une confrontation nationaliste mais il a au contraire prononcé un discours de gauche, pour l’Europe de peuples solidaires. Il était la voix de la Gauche, celle du combat de la Vie contre le Veau d’Or, celle de Jean Jaurès, celle qui a pratiquement été annihilée en Europe – et en France. C’était un moment formidable que le peuple grec nous a offert par l’intermédiaire d’Alexis Tsipras. Il était revigorant de voir Pablo Iglesias, le leader de Podemos, se lever pour l’applaudir, comme un aperçu d’un monde nouveau, à venir. Une parole libre : elle va forcément avoir un impact dans les peuples européens. Une subversion, une fissure dans le barrage …
Mais une question, peut-être naïve, se pose. Dans sa piqûre de rappel (la carte secrète d’Alexis Tsipras), Paul Jorion évoquait « les propos très conciliants de M. Obama [hier] à l’égard de M. Tsipras » : les États-Unis semblent ne pas apprécier la tournure des événements et interviennent ainsi en arrière-plan. Or le Premier ministre grec veut rester dans la zone euro mais clairement pas à n’importe quel prix. On ne peut douter que la situation des Grecs serait terriblement difficile dans une éventuelle période de transition suivant le Grexit. N’oublions pas le cynisme infâme de M. Schulz (suivi par les autres eurocrates) osant proposer une aide humanitaire à un pays dont l’effondrement économique a été provoqué par la politique qu’il défend obstinément.
Les dirigeants grecs de Syriza, légitimés par le NON massif, ont donc entre les mains une arme de dissuasion, le Grexit – Obama et les dirigeants US le savent et l’appréhendent –, mais comment peuvent-il utiliser cette menace si leurs interlocuteurs n’arrivent même pas à en imaginer les conséquences, et pire, veulent eux-mêmes l’utiliser en poussant la Grèce dehors ? Frédéric Lordon dans son dernier article, ‘Le crépuscule d’une époque’, parle des cyniques et des imbéciles. Je le cite :
« Quitte à être du mauvais côté de la domination, il faut regretter qu’il n’y ait pas plus de cyniques. Eux au moins réfléchissent et ne se racontent pas d’histoires – ni à nous. On leur doit l’estime d’une forme d’intelligence. Mais quand les cyniques manquent ce sont les imbéciles qui prolifèrent. Le néolibéralisme aura été leur triomphe : ils ont été partout. Et d’abord au sommet. Une génération d’hommes politiques non-politiques. Le pouvoir à une génération d’imbéciles, incapables de penser, et bien sûr de faire de la politique. »
Pour simplifier, chez les dirigeants actuels, il y aurait davantage de cyniques en Amérique et trop d’imbéciles en Europe.
Pour reprendre son ironie mordante, ce matin au Parlement européen, on a bien vu dans certaines travées ou aux premiers rangs « des poules perplexes devant un démonte-pneus. » Avec en prime pour certains, de la haine dans les yeux … Paul Jorion a inventé la formule de « Religion Féroce » résumant cela : des dogmes au delà de toute rationalité, que l’on impose quelles qu’en soient les souffrances et les échecs induits.
La question est donc : comment négocier si l’arme ultime que l’on pense avoir est celle que l’adversaire veut secrètement utiliser ? En un mot, comment négocier avec des imbéciles ou, comme dit Thomas Piketty, avec des « apprentis sorciers » ?
@ Hervey Et nous, que venons-nous cultiver ici, à l’ombre de notre hôte qui entre dans le vieil âge ?