LE DÉMANTÈLEMENT DE FUKUSHIMA N’EST PAS BIEN PARTI, par François Leclerc

Billet invité.

Le projet de démantèlement à long terme de la centrale de Fukushima, dans lequel les autorités japonaises et mondiales se sont engagés, suscite deux grandes interrogations qui ne sont pas prêtes de trouver une réponse satisfaisante : que faire de l’eau contaminée après refroidissement des réacteurs – dont le stockage précaire actuel est provisoire – et quelles solutions inventer pour récupérer et stocker les trois coriums dont la localisation n’est pas établie, qui représentent 250 tonnes de matière nucléaire hautement radioactive ?

Pour la première d’entre elles, l’Agence Internationale de l’énergie atomique (AIEA), qui renvoie une mission sur le site de Fukushima du 17 au 21 avril, préconise faute d’autre solution un expédient : la rejeter à la mer après l’avoir autant que possible décontaminée. On n’en sera pas surpris, connaissant sa détermination à défendre l’énergie électronucléaire dont elle représente de facto les intérêts. Yukiya Amano, son directeur général, en a fait preuve la semaine dernière en réaffirmant à son propos que « malgré l’accident de Fukushima Daiichi, elle continue à jouer un rôle important dans le mix énergétique mondial ». L’AIEA participe activement à la normalisation en cours en apportant sa caution.

A propos des coriums, on en est aux premiers tâtonnements, poursuivant le modeste objectif d’établir où ils se trouvent, après avoir formellement reconnu qu’ils ont percé l’enceinte de confinement en acier des réacteurs. L’ampleur et la sophistication des moyens nécessaires afin de simplement y parvenir en dit long sur les obstacles qu’il va falloir franchir pour assurer un hypothétique démantèlement. Cela implique une mobilisation des compétences sous les auspices de l’International Research Institute for Nuclear Decommissioning (IRID), qui a été créé à cet effet au Japon afin de les coordonner, dont le long et fort hasardeux parcours a commencé.

En février et mars dernier, de premières mesures effectuées avec des technologies d’imagerie utilisant des détecteurs à muons – particules à haute énergie qui ne sont freinées que par des matériaux très denses, comme le plutonium et l’uranium – ont permis de confirmer que les coriums n’étaient plus dans les cuves des réacteurs n°1 et 2. Un autre dispositif développé par Toshiba et constitué de deux détecteurs de 8 mètres de haut et de 20 tonnes placés de part et d’autre des réacteurs devrait ultérieurement permettre d’approfondir les investigations dans la partie basse des réacteurs. Car l’un des enjeux immédiats est de savoir si les coriums ont été ou non arrêtés par la feuille de blindage d’acier interne aux radiers en béton de 8 mètres d’épaisseur, l’ultime barrière avant leur évasion. Si elle se révélait avoir été franchie, la catastrophe entrerait dans une autre dimension.

Une fois déterminé l’emplacement des coriums, si le détecteur fonctionne comme prévu, il restera rien de moins que de se doter des moyens robotisés destinés à les découper, puis à les enlever et à les stocker. Une situation jamais rencontrée, qui implique de tout inventer. On a peine à croire à ce scénario, vu son démarrage. Ce week-end, la perte au sein du réacteur n°1 d’un petit robot d’exploration développé par Hitachi, qui mesure 60 cm une fois déployé, illustre l’ampleur du défi : il a cessé de répondre aux commandes au bout de trois heures et dû être déclaré abandonné dans un endroit où les humains ne peuvent pas pénétrer. Il avait pourtant bénéficié d’une ingénierie mécatronique de pointe combinant des savoir-faire mécanique, électronique et informatique, visant notamment à accroître sa résistance aux interférences électromagnétiques et aux hauts niveaux de radiation.

Plus de trois ans après le déclenchement de la catastrophe, un premier bilan peut être fait des progrès accomplis sur le site de la centrale : la stabiliser par des aspersions massives d’eau de refroidissement des réacteurs crée un nouveau problème sans autre solution semble-t-il que de contaminer l’océan, et la démanteler est un pari technologique hasardeux de plus pour une industrie électronucléaire coutumière des faits accomplis, dont on sait désormais qu’elle ne les gagne pas à tous les coups.

Le parc des centrales du pays toujours à l’arrêt, le gouvernement japonais prépare la relance de deux réacteurs de la compagnie Kyushu Electric Power, après avoir obtenu l’approbation de l’autorité de sureté nucléaire et des autorités locales. Takashi Imai, le président du Forum de l’industrie atomique du Japon (JAIF), n’a pas manqué de s’en réjouir : « cette année marque la fin de la période sans énergie nucléaire » a-t-il déclaré, poussant à ce que les centrales ayant passé avec succès les contrôles de sûreté soient remise en marche « dès que possible ».

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