Retranscription de Le temps qu’il fait le 27 mars 2015. Merci à Olivier Brouwer !
Bonjour, nous sommes le 27 mars 2015. Et probablement comme moi, hier dans la journée, vous avez découvert les circonstances de cet accident d’avion. Cet avion qui s’est écrasé en France, qui s’est écrasé sur la montagne, et on a appris ce qui s’était passé, je dirais, de minute en minute.
Et aussitôt, bon, on s’est posés des questions sur la personne de ce copilote, Andreas Lubitz, qui s’est enfermé dans le cockpit aussitôt que le pilote s’est retiré un moment, justement, du cockpit. Il a fermé la porte, et avec ce nouveau système qui permet de se protéger contre d’éventuels terroristes – et apparemment, dans la législation européenne, on n’a pas pris la précaution de faire, d’imposer qu’il y ait nécessairement une deuxième personne dans le cockpit, comme apparemment aux Etats-Unis on l’a imposé – et du coup il est possible, pour la personne qui se trouve dans ce cockpit, eh bien, de désarmer le système qui permet par un digicode d’entrer dans le cockpit à celui qui connaît le code pour y rentrer. Et le résultat, ce qui c’est passé, donc ce copilote a fermé le cockpit, il a aussi désarmé le système qui permettait d’entrer par un code. Et donc, on entend, il y a apparemment, quand on nous raconte d’autres incidents – ou accidents ! – du même ordre, on nous parle d’un autre avion qui s’est écrasé et on entend le pilote ou le copilote, en tout cas l’autre, en train de tambouriner sur la porte ou essayer de la défoncer avant que ça s’écrase.
Une fois qu’on a compris ce qui s’est passé, donc ce copilote a décidé délibérément, eh bien, de crasher un avion avec l’ensemble de son équipage, l’ensemble de ses passagers qui ont, eh bien, tous les âges – comme souvent dans un avion, c’est distribué de manière un peu statistique – et on entend des cris, les cris de ceux qui se rendent compte de ce qui est en train de se passer. Voilà. Alors évidemment, on essaye de supputer des choses sur la personnalité d’une personne qui fait ça. Et la tentation, bien entendu, la tentation immédiate, c’est de dire : « Eh bien, il est fou. » Voilà. Quand on a quelque chose qui est de l’ordre de la monstruosité, eh bien on dit, on dit qu’il est fou ou qu’elle est folle.
Alors, monstruosité, eh bien oui, parce que, si nous admettons, je crois chacun, qu’à partir du moment où on se rend compte qu’on peut mourir, il y a bien une chose qu’on peut faire, si on veut exercer, je dirais : « sa liberté », pour autant qu’on imagine qu’il existe une chose comme le libre-arbitre, eh bien, c’est de se priver de sa propre vie. Voilà. C’est une manière de terminer, de terminer l’aventure.
Mais, délibérément entraîner dans sa mort un grand nombre de personnes, des « innocents », comme on dit habituellement – innocents de quoi, on ne sait pas trop, mais on veut dire : qui n’ont pas pris cette décision – il emmène dans sa mort des gens qui n’ont pas pris la décision de se priver de la vie. Alors, ça le fait entrer dans la catégorie de la monstruosité. Et alors, on peut effectivement essayer de gommer l’idée de monstruosité en disant : « Eh bien voilà, il n’a pas son jugement, il est fou ! » Il est fou. Euh, « Hitler était fou ! ». on explique le National-socialisme allemand en disant : « Voilà, Hitler était fou », et donc l’explication se termine là. Il faudrait expliquer alors pourquoi des dizaines de millions de personnes l’ont suivi avec enthousiasme. Ça devient plus compliqué de dire qu’il y avait des dizaines de millions de gens qui étaient prêts à suivre un fou, ou qui étaient fous eux-mêmes. Evidemment, ça accroche un peu au niveau de l’explication ! Le fou ou la folle doivent rester exceptionnels.
Alors, dans la journée, il y a un monsieur, dont le métier, apparemment, est d’être psychothérapeute, qui nous a dit : « Eh bien, il a fait ça par amour ! » Hmm, il a fait ça par amour parce qu’il a trouvé une solution, il a trouvé l’explication, et alors, eh bien, il a essayé d’entraîner dans la mort un certain nombre de personnes avec lui. Si un jour j’avais besoin de soins de ce type, psychothérapeutiques, je ne suis pas sûr que je m’adresserais à cette personne en particulier ! Euh, on peut dire le contraire, aussi, hein, on peut dire : « Il déteste tout le monde. » Il déteste tout le monde. Et alors voilà, c’est un fou qui déteste tout le monde, et alors il emmène le plus grand nombre possible de gens dans sa mort.
Mais qu’il s’agisse du fait qu’il adore tout le monde et qu’il veut sauver tout le monde ou qu’il déteste tout le monde et qu’il voudrait tuer le plus grand nombre de gens possible, eh bien, il ne l’a pas fait ! Il ne l’a pas fait, il s’est contenté des [150] personnes qui se trouvaient dans son avion, et il n’a pas essayé de tuer le plus grand nombre [possible] de gens. Quand on pilote un avion entre Barcelone et Düsseldorf, je ne sais pas si vous avez regardé la carte, ou vous n’en avez même pas besoin, mais il y a moyen de tuer un plus grand nombre de personnes que [150], c’est de choisir une centrale nucléaire – ça ne manque pas sur le trajet – ou une grande ville. La grande ville de départ, Barcelone, c’est un très bon choix, la grande ville d’arrivée, Düsseldorf, c’est un très bon choix aussi. Je ne recommande ça à personne, mais – et il y en a d’autres, hein, il y en a d’autres, voilà, sur le chemin. Il y a Lyon, ça ne doit pas être très loin, etc., ça doit être possible. Il est passé tout près de Toulon, et ainsi de suite. Donc il n’a pas fait ça non plus, il n’a pas essayé de tuer le plus grand nombre de personnes pour leur bien ou parce qu’il les détestait, il n’a pas essayé de faire ça non plus. Qu’est-ce qu’il a essayé de faire, alors ? Qu’est-ce qu’il a essayé de faire ?
Je me suis réveillé tout à l’heure, et la première chose qui m’est venue à l’esprit, c’est cette idée qui m’était venue dans la soirée, de faire ma vidéo sur ce sujet. Et ce qui m’a frappé, au moment où je réfléchissais à ça en me levant, en me disant : « C’est extraordinaire ! Tu te lèves, et avant même d’être réveillé, tu te remets à penser à ça. Comment est-ce possible ? Mais est-ce que tu n’étais pas en train de rêver, avant ? » Et en fait oui, j’étais en train de rêver. Alors, je réfléchis : « A quoi rêvais-tu ? » Et en fait, voilà, eh bien, je rêvais à ça. Je rêvais à ça précisément. Bon.
Alors, on peut avoir différentes interprétations du rêve. Le rêve, on peut considérer que ça dit des vérités éternelles, que c’est de l’ordre de l’oracle, et que le rêve de chacun a une signification pour tout le monde. Ou bien, on peut imaginer – et c’est ma représentation à moi – que le rêve, c’est un peu un parcours en roue libre sur la mémoire qu’on a, sur la mémoire qui s’est constituée. Cette mémoire n’est pas simplement des accumulations d’images et de mots et de choses comme ça, c’est une accumulation qui s’est faite dans un ordre particulier. Il s’est constitué un réseau mnésique, comme dit Freud. Il s’est constitué une mémoire. Et chacun s’est constitué une mémoire à sa façon, parce qu’il y a un ordre chronologique. Les choses viennent s’accrocher à des choses qui sont déjà là.
Et cette mémoire, elle a une signification, c’est-à-dire qu’un sens lui est attaché. Et d’où vient ce sens ? Eh bien, ce sont les valeurs émotionnelles qui se sont attachées à ça, et qui font que quand on parcourt cette mémoire parce qu’on veut raconter quelque chose, on le fait dans un ordre particulier. On le fait dans l’ordre de l’urgence des choses qu’on a envie de dire, et si ça tombe bien, c’est aussi l’ordre de la pertinence des arguments. Ça se confond en une mémoire qui s’est construite sur un mode, je dirais, rationnel au sens de Socrate, eh bien, c’est une mémoire qui est aussi pertinente : vous allez dire des choses qui ont un sens dans le contexte. Mais c’est quelque chose à vous : c’est quelque chose à vous ! Vos rêves, quand cette mémoire est en train d’être parcourue avec les valeurs d’affect un petit peu mises entre parenthèses, ça n’a qu’une signification qui est la vôtre, c’est votre mémoire qui s’est constituée de cette manière-là. Alors, évidemment, vous êtes un être humain, donc ça a une signification un peu universelle aussi, parce que, eh bien, vous êtes représentatif : pourquoi ne seriez-vous pas représentatif du genre humain dans son ensemble ? Mais c’est un type d’explication qui vous est propre. Ce n’est pas une explication, justement, de type rationnel, c’est une explication plus sur le mode intuitif, puisque ce sont des choses qui se sont mises là, et il y a quelque chose qui sort, et dont en général la signification, je dirais en surface, est de l’ordre du ridicule, parce qu’il n’y a pas de contrainte de réalité, de représentation du monde réel.
Mais il y a quand même des choses qui sont dites. Et alors, alors, c’est pour ça que je vais vous le dire : à quoi est-ce que je rêve au moment où je me réveille et qu’aussitôt, je me mets à penser à Monsieur Andreas Lubitz et à son geste ? Eh bien, je suis dans quelque chose qui ressemble à un temple hindou, et je vois une représentation de ce monsieur Lubitz. Il y a une espèce de grand tableau qui le représente. Et vous savez, les religions aiment bien nous dire que ce qu’elles disent est réel, et donc leurs représentations du monde [sont] souvent dans ce style hyperréaliste : on essaye de vous montrer quelque chose qui est de l’ordre de la photo. Et ce que je vois, c’est un immense tableau représentant ce monsieur Lubitz. Et il est assis sur une grande tortue, et cette grande tortue, elle flotte, elle flotte dans les airs, cette grande tortue a la forme d’un buffle. Bon. Alors, ne me demandez pas ce que c’est qu’une grande tortue qui a la forme d’un buffle : c’est le propre des rêves d’arriver à faire des choses comme ça ! Je ne sais pas comment ça se représente. Et alors, assis sur cette grande tortue en forme de buffle, il y a ce personnage, il y a Monsieur Andreas Lubitz qui est assis. Et il a un grand sourire, il a le sourire du Bouddha. Il a le sourire du Bouddha : il a le sourire de quelqu’un qui est arrivé au contentement, à la satisfaction, à l’ataraxie, comme disent les Grecs, à l’absence de stimulations intérieures qui nous apporte l’apaisement, la sérénité. Voilà. Voilà : ce personnage est assis, là, de cette manière.
Qu’est-ce que ça peut vouloir dire pour moi, mon propre rêve ? Ça veut dire que ce personnage est un personnage de type mythologique. Ce n’est pas un fou comme il en passe dans la rue, comme on peut en voir ici ou là, comme on met dans les asiles de fous. Ce n’est pas un fou : c’est quelqu’un qui a un message. Et ce message nous dérange profondément. Il nous dérange profondément parce qu’il est représenté là avec la sérénité. Il a l’impression d’avoir compris quelque chose, mais il ne veut pas non plus essayer de convaincre tout le monde de ça : il est arrivé à une explication pour lui-même.
Mais alors, quelle explication cela peut être ? Eh bien, je vous l’ai déjà dit, je suis en train de réfléchir et [de] faire un long commentaire d’un texte de Nietzsche qui est : « La naissance de la tragédie ». Et il se fait qu’il y a dans ce texte un passage où il y a quelque chose de cet ordre-là. Et je vais vous le lire pour terminer. Nietzsche raconte une vieille histoire, un mythe qui serait le fait que le roi Midas, le roi Midas était convaincu que le compagnon de Dionysos, le demi-dieu Silène, savait, connaissait le secret du destin des hommes. Et voilà ce qu’il dit dans « La naissance de la tragédie » de Nietzsche, à ce propos-là. Je vais vous lire le passage, si je le retrouve.
Le roi Midas, ayant capturé Silène, compagnon de Dionysos, le somma de lui révéler quelle est la chose la plus désirable pour l’homme, ce à quoi le demi-dieu lui jeta à la face : « Ô triste engeance éphémère, enfant du hasard et de la misère ! Pourquoi me forces-tu à te dire ce qu’il vaudrait mieux pour toi que tu n’entendes jamais ? Ce qu’il y a de mieux t’est à jamais hors d’atteinte : ne pas être né, ne pas être, être rien ! Et ce qui vient en second, c’est de mourir au plus vite ! »
Alors voilà, je termine là-dessus : est-ce que c’est vrai ou est-ce que c’est pas vrai ? À chacun de nous de le dire, mais il me semble que plutôt que d’essayer, je dirais, de désarmer nous aussi le message qui est transmis par ce personnage, je dirais, de dimension un peu mythologique, il faut savoir que c’est ça qu’il essaye de dire. C’est ça qu’il essaye de dire, alors à nous, à nous de tirer les mêmes conclusions ou non, mais, voilà : n’essayons pas simplement, je dirais, comme des enfants, de déconnecter ce qu’il dit, d’en faire quelque chose d’innocent, comme le simple passage au hasard de pensées dans la tête d’un fou. Pensons à ce qui est dit par ce personnage.
Voilà. A bientôt !
C’est la méthode descendante (top-down) : avec un LLM en arrière-plan de chaque personnage, répliquant dans chaque instance, un humain…