Repenser Keynes, chacun à sa manière

Keynes avait trop souffert de voir la « concurrence déflationniste » entre les nations, durant l’entre-deux-guerres (ce type de concurrence qui conduit à pressurer sans cesse le coût du travail pour réaliser des exportations), les conduire de la guerre économique à la guerre, pour ne pas être obsédé par l’idée d’une régulation mondiale de l’économie.

Les lignes qui précèdent figurent à la page 80 du Keynes ou l’économiste citoyen (1999) de Bernard Maris.

Quand j’ai entrepris il y a un an et demi l’écriture de « Rebâtir, à partir de Keynes » (*), je m’étais donné comme programme de lire tout ce qui me paraissait digne d’intérêt dans les trente volumes des œuvres complètes de l’économiste anglais, mais je n’avais certainement pas l’intention de tenter de lire tout ce qu’on avait pu écrire à son sujet, ni même en lire une part significative, tant il y en a !

Quand j’ai découvert cependant, après l’assassinat de Bernard Maris le mois dernier, qu’il avait consacré un petit volume à Keynes, j’ai regretté de ne pas l’avoir lu avant de mettre un point final à mon manuscrit.

Pourquoi lire le livre de Maris plutôt que les dizaines d’autres consacrés à Keynes ? Parce qu’il existait, à Maris et à moi, une parenté entre nos manières de concevoir l’économie. En étaient conscients, nos hôtes aux événements où ils avaient tenu à nous réunir, et ne me contredira certainement pas non plus celui d’entre vous qui, au lendemain de l’assassinat d’« Oncle Bernard », m’écrivait : « Qui d’autre que vous pourrait le remplacer à Charlie Hebdo ? » Certains compliments vous touchent davantage que d’autres et celui-ci me restera très cher.

C’est donc avec une très grande curiosité que j’ai ouvert hier Keynes ou l’économiste citoyen (Presses de Sciences Po, 1999 ; 2ème édition, 2012) et, il faut bien le dire, aussi un peu d’appréhension : la proximité de nos pensées ne m’avait-elle pas conduit à répéter des choses qui se trouvaient déjà fort bien exprimées chez Maris ?

J’ai eu la surprise de découvrir que ce qui chez Keynes a retenu nos attentions respectives est quasiment entièrement distinct – même curieusement quand il s’agit de différents passages au sein du même article – et que quand ce n’est exceptionnellement pas le cas, nos points de vue sur le même aspect de la pensée de Keynes sont diamétralement opposés. Ainsi dans le cas des mécanismes psychologiques postulés par Keynes et que Maris considère comme l’une de ses contributions majeures, alors que je lis dans chacun d’eux, l’aveu implicite du maître qu’à ce point précis il a été incapable de découvrir l’explication qu’il cherchait à capturer.

La différence réside clairement dans nos formations différentes : Maris s’intéresse à ce qui distingue Keynes des autres économistes, alors que je m’efforce de mon côté d’extraire de son œuvre ce qui pourra servir de briques dans la reconstruction de la pensée économique, loin des économistes essentiellement.

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(*) À paraître en septembre chez Odile Jacob.

 

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