Billet invité.
Revenir sur un non-événement, est-ce que cela présente un quelconque intérêt ? Certainement, quand il s’agit de la dernière cartouche tirée par la banque de dernier ressort, la Banque centrale européenne.
La plupart des commentateurs se sont noyés dans les détails de son programme d’achat de titres sans se poser la seule question qui vaille : va-t-il contribuer ou non à relancer l’activité économique et créer une dynamique vertueuse, son véritable objectif ? Certes, Mario Draghi a une fois de plus réaffirmé que la banque centrale ne peut pas régler tout à elle toute seule, et qu’il appartient à la Commission et aux gouvernements de jouer aussi leur partie, mais en quoi consiste exactement la sienne ?
Son objectif est d’obtenir que les établissements financiers, dont les titres obligataires vont être achetés par les banques centrales nationales, utilisent le produit de leurs ventes pour développer le crédit aux entreprises et aux particuliers, et que cela enclenche une dynamique. Une fois évacuées les sempiternelles considérations sur le retour de la confiance, qui ne sont pas d’un grand secours, que pouvons-nous réellement attendre des banques, les vrais arbitres de la situation ?
Elles vont devoir arbitrer deux options : soit développer leurs activités de crédit et contribuer à la relance, mais faire face à des risques accrus de défaut étant donné l’état de l’économie, soit spéculer sur les marchés financiers pour reconstituer leur marge opérationnelle atteinte par le niveau général des taux et les mesures de régulation. S’interroger sur leur choix, n’est-ce pas donner la réponse ?
Est-il par ailleurs cohérent de mener simultanément une politique fiscale récessive et une tentative de relance en accroissant encore la masse monétaire ? Martin Wolf a décelé dans le Financial Times un « syndrome de déficience de la demande chronique », qui pourrait être la clé, rajoutant pour faire bonne mesure que « la zone euro peut échouer, non pas à cause de sa prodigalité irresponsable, mais plutôt en raison de sa frugalité pathologique » ?
D’autres résultats sont certes attendus du lancement du programme de la BCE, dont la poursuite de la dépréciation de l’euro, qui sans l’attendre a été déjà très largement engagée. Mais quel en sera l’impact réel sur les exportations, si l’on considère le recul de la croissance mondiale et l’importance des relations commerciales au sein de la zone euro, où cela ne joue pas par définition ? Que peut-il être finalement espéré, si ce n’est au mieux contenir la pression déflationniste en espérant que l’inflation sous-jacente (hors énergie et matières premières) ne devienne pas à son tour négative par un effet de second tour? En prévoyant que le programme de la BCE puisse se poursuivre au-delà de son échéance de septembre 2016, Mario Draghi n’a-t-il pas lui même reconnu que rien n’est garanti ?
De quoi ce dernier est-il allé discuter à Berlin avec Angela Merkel, le 14 janvier dernier ? On peut supposer – dans le plus absolu respect de l’indépendance de la BCE que la chancelière n’a pas manqué de rappeler hier – que Mario Draghi s’y est rendu pour mettre au point son dispositif. L’Allemagne y est protégée de tout risque de perte : la Bundesbank achètera des titres de la dette allemande (ou à risque équivalent), et la BCE des titres d’agences européennes dont le risque est déjà mutualisé. Ses réserves pourront dans le pire des cas éponger d’éventuelles pertes, sans faire appel à ses actionnaires, dont la Bundesbank. Mais, selon le schéma retenu, les autres banques centrales nationales encaisseront les pertes éventuelles, créant un obstacle de plus à toute restructurations de dette ou enclenchant sinon une dynamique d’éclatement de la zone euro.
Marqués par l’empreinte de la stratégie dans laquelle les dirigeants européens sont enfermés, le programme de la BCE et le plan d’investissement de la Commission Juncker sont leurs dernières munitions. Syriza devrait leur donner l’occasion d’ouvrir le jeu, s’ils savent en saisir l’opportunité. Angela Merkel et François Hollande auront l’occasion d’en discuter le 30 janvier à Strasbourg, après avoir du remettre leur rencontre.
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