Billet invité.
Plus l’on se rapproche des échéances de la semaine – demain jeudi pour la BCE, et dimanche pour les élections grecques – plus les hypothèses se multiplient et le paysage se trouble. Sauf pour les Bourses, qui nous ont accoutumés à produire des signes d’impatience dans la période précédant les injections de liquidités des banques centrales, la grande question est celle de la Grèce.
Il en est plus attendu du traitement qui lui sera finalement réservé, quel que soit d’ailleurs le résultat des élections, que des effets du nouveau programme de la BCE, ce qui en dit long sur celui-ci. Ne pouvant en espérer une relance économique – déjà que le mirifique plan Juncker d’investissement s’est lamentablement dégonflé – il est espéré un assouplissement des contraintes infligées à la Grèce, sans le dire ouvertement. Signe précurseur, est-il espéré, d’une modération qui atteindrait toute l’Europe, ce tournant qui ne vient toujours pas. Le ministre des finances français Michel Sapin n’a pas exprimé autre chose dans les colonnes du Financial Times, depuis Tokyo, en préconisant des négociations entre le gouvernement grec issu des élections et les autorités de l’Union européenne.
Sigmar Gabriel, le ministre social-démocrate allemand de l’économie, a été plus explicite dans une interview au quotidien économique Handelsblatt. Il considère qu’il faut desserrer le calendrier des réformes mis en place, car « si on ne fait rien pour 26 millions de chômeurs, si nous envoyons au chômage une génération entière de jeunes, alors la résistance même à la réforme la plus sage sera si massive que les gouvernements seront balayés ». La politique [de réduction des déficits] a échoué en profondeur », poursuit-il, mettant en cause une « fixation idéologique sur la baisse rapide des déficits publics ».
Les discussions sont vives au sein de Syriza, à lire la diversité des prises de positions de ses responsables à propos de l’attitude à suivre en cas de victoire électorale. D’autant que l’éventualité d’une coalition avec le nouveau parti To Potami s’éloigne en raison de son exigence que les discussions avec la Troïka soient bouclées avant d’engager toute négociation sur la suite des opérations, prenant Syriza à contre-pied. Tout un parcours a déjà été effectué par celui-ci, depuis qu’il appelait à un défaut unilatéral sur la dette et envisageait une sortie de l’euro.
Syriza aurait même déjà entamé des négociations avec la Commission et des gouvernements européens en vue de dégager un compromis. Ce qui fait écrire dans Macropolis à Francesco Saraceno, économiste à l’OFCE-Sciences Pô, que l’étiquette radical toujours accolée à Syriza (acronyme de « coalition de la gauche radicale ») exprime par comparaison la dérive des partis socialistes européens « vers une acceptation de facto de l’orthodoxie macroéconomique européenne », car ses principales demandes n’ont rien de déraisonnables… Il n’est d’ailleurs pas le seul à le penser. Mais le réalisme n’est pas la qualité la plus partagée parmi les dirigeants européens, a-t-on déjà eu le loisir de remarquer.
Dans son discours sur l’État de l’Union, Barack Obama s’efforce d’en faire preuve en promettant de s’attaquer aux inégalités, ce sujet ignoré en Europe mais dont les Américains se sont emparés. Mais quel sera l’impact des mesures limitées qu’il préconise, si elles sont adoptées, qui mêlent hausse du salaire minium, développement des congés de maternité et de maladie, gratuité sous condition des « community colleges » (formations universitaires courtes) et suppression d’une niche fiscale sur la taxation du capital ? La défense des classes moyennes, au revenu et au patrimoine atteints, est au cœur des préoccupations électorales, mais la dynamique d’un enrichissement reposant sur la rente n’est en rien enrayée.
La concentration extrême des richesses dans les mains d’une infime minorité n’est pas seulement en cause. Le salaire horaire moyen américain est à peine plus élevé qu’en 1964, en dollars constants, et le montant du salaire minimum est bloqué depuis 2009. Conjugués, les deux phénomènes illustrent la fin du rêve américain, car l’ascension sociale ne fonctionne plus, les inégalités s’agrandissant démesurément. Quand les Européens en viendront-ils à le considérer à leur tour ?
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