Billet invité.
C’est à la « chute » d’une nouvelle que l’on saisit tout ce que la narration d’un récit comporte : des petites balises, des petits clignotants qui, distillés et éparpillés dans le texte, font sens une fois le dénouement de l’histoire posé.
Livrés au compte goutte au lecteur ou de manière allusive à travers descriptions ou dialogues, ces éléments apparaissent en 2° lecture, une fois connue la « morale » de l’histoire, comme autant de jalons pour nous préparer à la fin du texte…
La grande journée commémorative d’union sacrée, avec un rassemblement quasi mondial incongru de 50 chefs d’Etat, qui est venue conclure, ce 11 janvier 2015, la protestation nationale devant les assassinats perpétrés par trois fêlés embrigadés par un courant politique religieux néo-fasciste, s’est terminée, après un raz-de-marée républicain… à la synagogue.
Hommage qui pour certains va de soi quand des citoyens français juifs sont tués sur le sol de la République. Hommage que l’on peut comprendre au vu de la sensible culpabilité post pétainiste de la France. Mais pourquoi et depuis quand un chef d’Etat et ses ministres auraient à se revêtir d’une kippa, signe de réelle appartenance religieuse, tandis qu’un quelconque couvre-chef suffit, en signe de respect et d’observance stricte de l’espace sacré, à l’intérieur d’une synagogue, celui de la Thorah et de la salle de prière, et non sur le perron ou sur les marches extérieures du temple ?
Un quelconque couvre-chef, oui comme ceux que portaient les coreligionnaires juifs de mon enfance ; casquettes, chapeaux et même mouchoirs noués aux quatre coins pour ceux qui avaient… oublié !
Curieuse conclusion et chute d’une journée où s’est exprimé laïquement la nation, à quoi s’est rajouté le transfert immédiat du corps des victimes pour inhumation en Israël, territoire, qui n’est pas, que l’on sache, un département français ?
D’autant qu’un manque se signale par son absence dans la trame du récit : les plus hautes autorités de l’Etat français laïc et républicain sont-elles allées également se déchausser pour pénétrer dans une mosquée en hommage au policier d’origine musulmane lui aussi victime de la tuerie à Charlie Hebdo ?
A reprendre le fil des événements et remonter en amont dans le « texte », l’on peut alors constater que :
– depuis 3 jours, on est devenu Charlie, juif et… flic, acclamant ainsi la « violence légitime des forces de l’ordre » en oubliant que juif et police accolés cela fait parfois un drôle d’effet, en oubliant également qu’avoir crié « je suis juif allemand » en 68 le fut en protestation de l’expulsion de Cohn-Bendit par les mêmes forces de l’ordre ! Tout le monde devient « Charlie » mais ne devient pas « Lassana Bathily », l’employé de l’épicerie casher de Vincennes qui a caché plusieurs otages dans la chambre froide. Ce n’est qu’un simple employé d’épicerie un peu black !
– depuis trois jours, on s’est également découvert une nouvelle passion : la « liberté d’expression », en oubliant que les libertés sont plurielles et que la formule magique « liberté d’expression » ne peut avoir de sens sans action ou possibilité de l’être.
Il devient ainsi indifférent que des chefs d’Etat racistes, xénophobes, corrompus, certains menant une politique coloniale avec le soutien des grandes puissances aient participé à la « grande messe » du jour. Il importe peu que le « Patriot Act » nous guette et que le Premier Ministre prévoit encore et encore davantage de répression et de contrôle pour combler l’absence dramatique d’éducation et de culture générale, ces dernières laminées depuis plus de 20 ans à l’école, avec vente de marchandises culturelles avariées à la télévision… Il importe peu que trois assassins fanatisés soient « purs produits » de France, comme mille autres avec eux, élevés en batterie dans les banlieues, « éduqués » par la prison, le trafic de shit et des organisations néofascistes financées, elles, par les « amis » des Occidentaux. Du moment que l’émotion coule et que l’on puisse vaincre ensemble la peur, la colère et la détresse…
Pendant trois jours, on est devenu patriote, on chante la Marseille, on exhibe des drapeaux bleu-blanc-rouge après le grand show télévisuel où l’on assiste en direct aux assauts, où l’on se projette comme de futures victimes possibles : du jour au lendemain, chic alors, on pourrait tous entrer dans un film à la love story ou à la ferme…
Voilà le contre-volet de la « transformation d’une blessure en fierté »*, de la remontée d’un sentiment d’appartenance qui n’appartient pas qu’au FN, et qui permettra, nul n’en doute, de faire remonter l’audimat du gouvernement.
L’engeance humaine ne peut-elle marcher qu’au symbole en oubliant les faits ? Les bons sentiments et la peur doivent–ils à ce point nous faire oublier nos responsabilités ? Et nous faire croire que 4 millions de citoyens dans la rue, devenus tous subitement Charlie, éradiqueront des situations aussi terribles que cette fillette de 10 ans qui vient s’exploser au Nigéria en faisant des centaines de morts civils… Trois lignes dans la presse, pétrole et mines d’uranium obligent.
La seule « liberté d’expression » face à tout cela qu’est-ce ?
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* Régis Debray à France Culture ce matin.
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